Dans un arrêt du 23 novembre 2022 (n° 21-12.125 ), publié au bulletin, la chambre sociale de la Cour de cassation s’est intéressée à la question du paiement du salaire pour la période antérieure à la rupture du contrat de travail d’un salarié étranger en situation d’emploi illicite, hors faute grave.

Il était question d’un salarié engagé en qualité de veilleur de nuit. Mis à pied à titre conservatoire, il a été convoqué à un entretien préalable en vue d’un licenciement puis licencié pour défaut de titre de séjour. Il lui était reproché de ne pas avoir produit, en dépit de mises en demeure, un titre de séjour valable l'autorisant à travailler. Il a saisi la juridiction prud’homale à l’effet d’obtenir le paiement d’indemnités.

Le salarié fait grief à l’arrêt d’appel de le débouter de ses demandes en paiement de rappel de salaire pendant la mise à pied conservatoire et de remise de documents sociaux, au motif que la mise à pied conservatoire n’emporte perte du salaire correspondant que si la sanction prononcée est un licenciement pour faute grave ou lourde, ce qui n’était pas le cas en l’occurrence.

L’employeur est-il tenu au paiement du salaire pour la période antérieure à la rupture du contrat de travail du salarié en situation d’emploi illicite, lorsqu’il n’a invoqué aucune faute grave à l’appui du licenciement ?

Pour répondre à cette question, la Cour de cassation commence par rappeler le principe applicable en matière de recrutement d’un salarié étranger, issu de l’article L. 8252-1 du code du travail : nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France.

Elle indique ensuite que, selon l’article L. 8252-1, 1° du code du travail, le salarié étranger a droit au titre de la période d’emploi illicite, au paiement du salaire et des accessoires de celui-ci, conformément aux dispositions légales, conventionnelles et aux stipulations contractuelles applicables à son emploi, déduction faite des sommes antérieurement perçues au titre de la période considérée.

Sur le fondement de ces textes, la Cour de cassation vient rappeler et confirmer sa jurisprudence en matière de rupture du contrat de travail d’un travailleur étranger en situation irrégulière : « si l’irrégularité de la situation d’un travailleur étranger constitue nécessairement une cause objective justifiant la rupture de son contrat de travail exclusive de l’application des dispositions relatives aux licenciements et de l’allocation de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, elle n’est pas constitutive en soi d’une faute grave. L’employeur qui entend invoquer une faute grave distincte de la seule irrégularité de l’emploi doit donc en faire état dans la lettre de licenciement ».

Dans la mesure où « seule la faute grave peut justifier une mise à pied conservatoire et le non-paiement du salaire durant cette période », et qu’en fait, l’employeur n’avait invoqué aucune faute grave à l’appui du licenciement, la Cour de cassation a jugé qu’il est tenu de payer au salarié licencié pour défaut de titre de séjour le salaire dû au titre de la période antérieure à la rupture du contrat de travail, période de mise à pied conservatoire comprise.

Deux principes importants ont été confirmés à l’occasion de cette décision.

D’une part, l’irrégularité de la situation d’un travailleur étranger, qu’il n’ait pas obtenu le renouvellement de son titre de travail à l’expiration de sa période de validité ou qu’il soit en situation irrégulière depuis son embauche, constitue une cause objective de rupture de son contrat de travail exclusive de l’application des dispositions relatives aux licenciements et de l’allocation de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. Soc., 04 juillet 2012, n° 11-18.840 ; Cass. Soc., 09 juillet 2014, n° 13-11.027 ; Cass. Soc., 1er octobre 2014, n° 13-17.745).

D’autre part, la situation irrégulière du salarié constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement mais ne caractérise pas en elle-même une faute grave, de sorte qu’il appartient à l’employeur de faire état de cette faute dans la lettre de licenciement puisqu’elle est nécessairement distincte de la seule irrégularité de l’emploi (Cass. Soc., 04 juillet 2012, n° 11-18.840).

En conclusion, le fait que le salarié étranger soit en situation d’emploi illicite n’exonère pas l’employeur du paiement du salaire pour la période antérieure à la rupture du contrat de travail, dès lors qu’aucune faute grave n’a été invoquée à l’appui du licenciement, en ce que seule cette sanction est privative de salaire durant la période de mise à pied conservatoire.

Jérémy DUCLOS
Avocat au barreau de Versailles
Spécialiste en droit du travail

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