La prise d’acte est un mode de rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié en raison de la gravité des faits qu’il reproche à son employeur rendant impossible la poursuite de leur relation contractuelle en raison des griefs invoqués. La prise d’acte par le salarié entraine la rupture immédiate du contrat de travail.
Ces reproches doivent témoigner d’une certaine gravité pour être caractérisés de manquements graves. La procédure accélérée de qualification de la rupture par le conseil des prud’hommes (CPH) intervient à terme et en principe dans un délai d’un mois sur saisine du salarié. En pratique, la requalification de la prise d’acte intervient en moyenne douze mois après devant les juridictions parisiennes.
C’est la loi n°2014-743 du 1er juillet 2014 qui a codifié par son unique Article L1451-1 du Code du travail : le régime juridique de la prise d’acte : « Lorsque le conseil de prud'hommes est saisi d'une demande de qualification de la rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié en raison de faits que celui-ci reproche à son employeur, l'affaire est directement portée devant le bureau de jugement, qui statue au fond dans un délai d'un mois suivant sa saisine. »
Jusqu’alors, en l’absence de texte, la chambre sociale de la Cour de cassation fournissait une jurisprudence consistante précisant la nature, le champ d’application ainsi que les effets attachés au mécanisme de rupture.
Le salarié prenant acte de la rupture peut saisir la chambre du bureau des jugements du CPH dans un délai de deux ans afin d’imputer la rupture à l’employeur. L’élément déterminant de la prise d’acte de la rupture du contrat de travail par le salarié réside dans la preuve de l’existence des griefs qu’il invoque contre l’employeur. Effectivement, la qualification de la rupture en un licenciement sans cause réelle et sérieuse dépend de l’appréciation de la gravité des faits par les juges et n’intervient qu’a postériori par les juges.
Ceux-ci s’appuient d’ailleurs exclusivement sur les faits allégués par le salarié à la date de la prise d’acte. A défaut d’éléments suffisants, la Cour assimile à la prise d’acte la démission du salarié.
Ainsi, cette qualification conditionne de manière décisive les droits alloués au salarié. Cette décision au fonds est d’autant plus déterminante que le salarié se trouve depuis la prise d’acte dans une situation souvent précaire s’il n’a pas trouvé d’autre emploi dans l’attente de sa qualification par le CPH qui lui octroie ou non des droits consécutifs à la rupture. Dès lors, la motivation initiale de la prise d’acte par le salarié est décisive et conditionne l’entièreté de la saisine.
I - L’EXERCICE DE LA PRISE D’ACTE
QUI PEUT L’EXERCER ? QUALITE
La prise d’acte est ouverte à tous les salariés quelle que soit :
- la nature de leur contrat de travail pour un contrat à durée déterminée (Cass. soc. 9 avril 2009 ; Les juges examinent les manquements invoqués à l’appui de la demande en rupture anticipée du CDD pour faute grave qui de manière analogue emporte les mêmes effets que la prise d’acte par le salarié (Cass. Soc., 3 juin 2020, n°18-13.628.
- la situation personnelle (pour un salarié victime d’un accident du travail Cass. soc 28 sept 2011 n°10-18.520.
- la qualité du salarié protégé Cass. soc. 4 juillet 2012 n°11-13.346 ou encore, lorsque la prise d’acte émane d’un salarié protégé, l’inspecteur du travail doit se déclarer incompétent pour statuer sur une éventuelle demande d’autorisation de licenciement sollicitée par l’employeur.
- le statut occupé au sein de l’entreprise (la prise d’acte a été reconnu au gérant de la succursale : Cass. soc. 16 sept. 2015 n°14-17.371. Cette décision est intéressante à plusieurs égards. Effectivement, elle rappelle d’une part que l’existence de griefs à l’encontre de l’employeur constitue le prérequis nécessaire à la qualification de la prise d’acte ; dès lors, la formulation des reproches ne peut être postérieure (en l’espèce, 3 mois après). A cet égard, la non caractérisation d’un différend antérieur à la volonté de mettre fin à la relation contractuelle remet de ce fait en cause le caractère équivoque de la volonté de rupture de la salariée.
« qu'en requalifiant en prise d'acte de la rupture la manifestation de volonté claire et non équivoque de Madame Y... tendant à rompre le contrat de travail, sans caractériser l'existence d'un différend antérieur ou contemporain de ladite manifestation de volonté ni faire ressortir en quoi celle-ci était équivoque, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1184 du Code civil ensemble les articles L. 1237-1 et L. 1221-1 du Code du travail ; »
SOUS QUELLE FORME LA PRISE D’ACTE SE MATÉRIALISE T-ELLE ? - La prise d’acte doit être signifiée directement à l’employeur et non au conseil des prud’hommes -sinon elle s’analyse comme une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail. C’est un mode de rupture immédiat du contrat de travail à compter de sa signification ne nécessitant ainsi aucun préavis.
D’apparence simplifiée la prise d’acte de rupture de contrat n’impose au salarié aucun formalisme rédactionnel particulier. Celle-ci se fait généralement par lettre recommandée adressée à l’employeur et détaillant l’entièreté des griefs. A compter de sa signification à l’employeur, le salarié rompt son contrat volontairement et peut saisir le Conseil en qualification de la rupture de la prise d’acte.
Attention : l’ouverture de la phase contentieuse connait en réalité déjà des éléments de la prise d’acte puisque c’est exclusivement au regard des griefs invoqués par le salarié lors de la prise d’acte que le conseil des prud’hommes apprécie s’ils sont ou non justifiés.
LE CONTENU DE LA PRISE D’ACTE
- L’existence avérée des manquements graves à l’encontre de l’employeur par le salarié permet à la rupture de produire SOIT les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou au contraire, SOIT ceux d’une démission si les éléments déplorent une insuffisante gravité. Cette étape est donc cruciale.
« Les manquements avérés doivent être suffisamment graves ». Lorsque le salarié a exposé par écrit ses griefs, pour autant l’appréciation du juge le document qu’il a établi ne fixe pas de limites du litige. Le juge est tenu d’examiner l’ensemble des griefs invoqués par le salarié, même ceux qui ne sont pas mentionnés dans ce document (Cass . soc. 9 avril 2008 n°07-40.668).
Les manquements graves de l’employeur sont susceptibles d’être constatés dans une pluralité de situations telles que :
-le harcèlement sexuel ou moral dont est victime le salarié : La Cour de Cass. soc 8 déc. 2021 - 20-11.738 a considéré que l’ « insulte grave, pratique de toute forme de violence ou d'agression dirigée contre le salarié, harcèlement sexuel, incitation à la débauche » démontre l’existence d’un manquement suffisamment grave de son employeur pour empêcher la poursuite du contrat de travail.
-le non-paiement du salaire, d’heures supplémentaires et de commissions : La Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 14 novembre 2018, 17-18.890, statuait sur la sollicitation du salarié pour non-paiement d’heures supplémentaires sur les cinq dernières années sans en avoir jamais fait la demande de régularisation officielle. La Cour a ainsi rappelé l’importance de la diligence du salarié ainsi que l’absence d’éléments suffisamment graves susceptibles de faire obstacle à la poursuite ou rendre impossible l’exécution du contrat de travail.
Mais encore,
- la modification du contrat de travail par l’employeur sans l’accord du salarié, ou encore, telle que l’affectation du salarié à des fonctions de qualification différente ;
- l’absence d’organisation des visites médicales obligatoires (sauf si l’absence de visite médicale est due à une simple négligence de l’employeur).
Dès lors, la prise d’acte doit être savamment réfléchie au regard des circonstances et de la véracité des griefs exposés de manière suffisamment étayée dès sa signification par le salarié. Le salarié peut saisir le juge afin que la prise d’acte produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et conduise ainsi au paiement des indemnités afférentes.
Cette procédure accélérée ouverte, le conseil d’un avocat avant et après la prise d’acte permet de renforcer la défense du salarié. En effet, l’exposition de la gravité des faits est décisive à l’effectivité de la requalification de la prise d’acte a postériori. En pratique, le délai moyen est de 12 mois devant les juridictions parisiennes la tardiveté de cette qualification conditionnant l’allocation d’indemnités participe de l’imprévisibilité du mécanisme. Effectivement, rien n’assure au salarié que sa prise d’acte soit qualifiée de démission en présence d’éléments insuffisamment graves.
Par ailleurs, l’affaire citée plus haut (Cass. soc. 16 sept. 2015 n°14-17.371 : Décision - Pourvoi n°14-17.371 | Cour de cassation) rappelle que la requalification de la prise d’acte en démission s’appuie sur l’existence d’un consentement vicié. Effectivement, la relation contractuelle doit être rendue impossible par les reproches étayés dans la prise d’acte. A ce titre, la Cour d’Appel n’a pas suffisamment justifié que la manifestation de rupture n’était pas claire et non équivoque.
QUELLES CONSÉQUENCES ENTRAINENT LA PRISE D’ACTE ?
L'employeur doit fournir au salarié les documents suivants : Certificat de travail ; l’Attestation France Travail (anciennement Pôle emploi) ; le reçu de son solde de tout compte ainsi que les dispositifs de participation, d'intéressement, plans d'épargne salariale au sein de l'entreprise, état récapitulatif de l'ensemble des sommes et valeurs mobilières épargnées.
A compter de la saisine du bureau des jugements du Conseil de prud'hommes, par le salarié sur le fondement de l’Article L1451-1, la décision du bureau des jugements détermine promptement :
- La prise d’acte qualifiée en licenciement par le Conseil de prud'hommes,
Cette qualification permet au salarié de La prise d’acte qualifiée de licenciement par le Conseil de prud'hommes octroie au salarié les indemnités suivantes :
- L’indemnité de licenciement légale ou conventionnelle ;
- L’indemnité compensatrice de congés payés et de préavis ;
- Les indemnités pour licenciement injustifié ou nul ; ainsi que,
- Les sommes diverses éventuellement dues en cas de rupture du contrat (épargne salariale, primes...).
Le salarié (s'il en remplit les conditions) perçoit après décision du Conseil de prud'hommes des indemnités chômage d'aide au retour à l'emploi (ARE) dès la fin du contrat de travail. Un simulateur est disponible ci-joint : https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F14860
- La prise d’acte qualifiée en démission par le Conseil de prud'hommes
Lorsque la prise d’acte produit les effets d’une démission, le salarié ne peut ni prétendre aux indemnités de rupture, ni aux indemnités versées par France Travail.
La prise d’acte connait donc des effets du régime d’une démission comprenant :
- L’indemnité compensatrice de congés payés, ainsi que ;
- Les sommes diverses éventuellement dues en cas de rupture du contrat (épargne salariale, primes...)
Dans certains cas, le salarié peut même être amené à verser une indemnité à son employeur aux fins de compensation du préavis non exécuté, et ce même en l’absence de preuve de préjudice (Soc. 10 avril 2013, n° 10-13.614).
La prise d’acte qualifiée en démission par le Conseil de prud'hommes permet à l’employeur l’ayant réclamé devant cette juridiction, au versement d’une indemnité compensatrice de préavis pour le préavis non effectué par le salarié. Attention néanmoins cette indemnité n'est pas automatique et rèleve de l'appréciation souveraine des juges du fond. Ils apprécient au cas par cas et condamnent assez rarement les salariés.
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