Contrairement au procès pénal, devant le juge des prud’hommes, les éléments de preuves produites doivent être licites. Les parties demeurent toutefois libres d’utiliser les preuves qu’elles estiment nécessaires au soutien de leurs prétentions. La loi n’impose pas aux parties de présenter un mode de preuve spécifique mais elle laisse les juges apprécier de manière souveraine les éléments qui leur sont soumis, la preuve est alors dite libre. Cette liberté de la preuve ne prévaut pas sur le principe de licéité de la preuve qui régit les procès civils.

Initialement, le juge prud’homal exigeait que la preuve soit recueillie et utilisée de manière licite mais de récents arrêts montrent une évolution de la position de la jurisprudence sur le sujet. Maître Johan Zenou expert en droit du travail vous présente la nouvelle tendance jurisprudentielle qui admet la production d’une preuve même illicite dès lors que certaines conditions sont réunies.

I. Qu’entend-on par preuve illicite ?

Le Code du travail ne contient pas de dispositions spécifiques sur la licéité de la preuve, il est donc fait application du droit commun édicté par le Code de procédure civile. L’article 9 dudit code dispose qu’: « il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ». Cet article implique que dans le procès civil la preuve ne puisse être recueillie qu’à travers des moyens légalement acceptés. Le recours à des stratagèmes ou à des moyens vicieux pour l’obtention de la preuve n’est pas permis.

La jurisprudence a retenu deux principales conditions pour qu’une preuve puisse être licite. Il s’agit de :
 

  • L’obligation générale de loyauté de la preuve
  • L’obligation de respect de la vie privée dans l’obtention et l’utilisation de la preuve.

Toute preuve qui ne répond pas à ces exigences est illicite et doit en principe être rejetée des débats. Les juges ont ainsi pu juger irrecevables, pour manquement à l’obligation de loyauté, l’enregistrement, au moyen d’une caméra, du comportement et des paroles d’une salariée à son insu (Cass. Soc,20 novembre 1991 n° 88-43.120). Il en a été de même pour l’enregistrement d’une conversation téléphonique effectué à l’insu de la personne intéressée (Cass. ass. Plén, 07 novembre 2011, n 09-14.316 et 09-14.667).

En outre dans ses anciens arrêts, lorsqu’une preuve même obtenue de manière loyale portait atteinte à la vie privée de la personne contre laquelle elle était utilisée, la Cour de cassation la rejetait automatiquement des débats. (Cass. soc,18 octobre 2011 n°10-25.706, Cass, Soc 08 octobre 2014.13-14.991).

L’observation des récents arrêts rendus par la haute juridiction sur le sujet démontre une certaine flexibilité. Désormais, une preuve même illicite peut ne pas être rejetée des débats. Les juges doivent cependant examiner certains éléments de fond afin de déterminer si l’utilisation de cette preuve peut être tolérée ou non.

II. A quelles conditions une preuve illicite peut-elle être acceptée dans un procès prud’homal ?

L’acceptation de l’utilisation des preuves illicites devant le juge prud’homal se fait à l’issue d’un contrôle concret de l’adéquation entre les fins et les moyens utilisés, il s’agit du contrôle de proportionnalité. En général, le droit au respect de la vie privée et personnelle est celui qui est en confrontation avec le droit à la preuve. Ces dernières années, la Cour de cassation fait de plus en plus pencher la balance du côté du droit à la preuve. Lors de son contrôle de proportionnalité, le juge vérifie deux éléments essentiels. Il vérifie notamment que la production d’éléments de preuves portant atteinte à la vie privée et personnelle est : 

  • Nécessaire à l’exercice du droit à la preuve
  • Proportionnée au but poursuivi

 

La Cour de cassation a pu illustrer ce contrôle de proportionnalité dans une décision du 9 novembre 2016 (Cass. Soc, 09 novembre 2016 n°15-10.203), dans laquelle elle a jugé « que le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle d'un salarié à la condition que cette production soit nécessaire à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi ». Elle a par la suite expliqué que cette décision avait été prise à la lumière de la jurisprudence européenne qui reconnaît sur le fondement de l’article 6 de la convention de la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales « le droit d'une partie à un procès de se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause - y compris ses preuves ».
 

Dans plusieurs arrêts qui ont suivi celui de 2016, la Cour de cassation a autorisé la production au débat d’éléments de preuves portant atteinte à la vie privée et personnelle. Elle a ainsi pu autoriser la production à titre de preuves d’éléments extraits du compte Facebook privé d’un salarié au motif que cela était indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur (Cass. Soc, 30 septembre 2020, n° 19-12.058). La jurisprudence a, en outre, toléré l’utilisation à titre de preuve d’un système de vidéosurveillance dans une pharmacie ouverte au public et particulièrement exposée à des risques d'agression ou de vol, mais n'ayant pas fait l'objet d'une consultation des représentants du personnel (Cass. soc, 10 novembre 2021, n° 20-12.263).

Il convient néanmoins de préciser que ce ne sont pas toutes les preuves illicites qui pourraient être utilisées devant le Conseil de prud’hommes. En effet, le juge à travers le contrôle de proportionnalité se réserve un pouvoir assez discrétionnaire sur le sujet. Pour deux situations similaires, la décision du juge peut être totalement différente. C’est ainsi que dans un arrêt de 2021, la Cour de cassation a rejeté des enregistrements issus d’une vidéosurveillance mise en place par l’employeur au motif que le dispositif était attentatoire à la vie privée du salarié et disproportionné au but recherché de sécurité des personnes et des biens (Cass. Soc, 23 juin 2021 n° 19-13.856). L’admission des preuves illicites aux prud’hommes est alors très conditionnée et n’est pas toujours garantie.
 

Un employeur a d’ailleurs tenté d’échapper à cette incertitude en se prévalant de l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme, et en invoquant que le rejet de sa preuve illicite porterait atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble (Cass. Soc, 04 octobre 2023 n°22-18.105). Force est de constater que cet argument n’a pas convaincu les juges, qui après avoir effectué le contrôle de proportionnalité au regard des éléments de faits ont décidé que la preuve n’était pas recevable.

A contrario, dans un arrêt rendu le même jour, la Cour de cassation autorise la production par un employeur, à titre de preuve, de photos et de messages partagés sur un groupe Messenger privé pour justifier un licenciement pour faute grave en raison de la consommation d’alcool sur le lieu de travail par une salariée. Le juge a ainsi fait primer le droit à la preuve de l’employeur sur le droit au respect de la vie privée de la salariée (Cass. Soc, 04 octobre 2023, n°21-25.452). Il est important de préciser que dans cet arrêt, les photos avaient été prises sur le lieu de travail. La gravité de la faute de la salariée relève également du fait qu’elle était infirmière et affectée aux soins d’urgences. La consommation d’alcool sur le lieu de travail a alors pu altérer la qualité de son travail et mettre en danger la vie des patients. Ces éléments de faits ont dû influer la décision des juges de la haute cour.
 

En définitive, il n’est à ce jour pas possible d’être certain de la recevabilité d’une preuve illicite, par le juge prud’homal puisque le contrôle de proportionnalité est un contrôle concret prenant en compte énormément d’éléments factuels. En fonction des différentes situations, le juge peut décider d’accepter ou non une preuve illicite. Afin d’éviter de prendre le risque du rejet de leurs preuves, les parties devraient privilégier l’obtention de manière loyale des preuves et le respect de la vie privée de la personne contre laquelle la preuve sera utilisée.

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