I. LE CONSTAT : LA JUSTICE DU TRAVAIL NE REPOND PLUS AUX BESOINS DES JUSTICIABLES

 

En tant que praticien spécialiste du contentieux devant les conseils de prud'hommes, j'ai assisté depuis plusieurs années à une dégradation de la Justice du travail, qui ne peut plus prétendre aujourd'hui aux attentes des justiciables d'une grande démocratie.

On a déjà beaucoup écrit et le constat est amer : 

Des délais de traitement excessifs malgré une baisse des saisines : Le mouvement se prolonge maintenant depuis plusieurs années sous l'effet conjugué du recours massif à la rupture conventionnelle du contrat de travail et du recours quasi-indispensable à un avocat pour présenter ses demandes en justice. L'avocat offre bien entendu une aide précieuse mais elle a un coût pour les justiciables. De fait, lorsque les enjeux du litige sont faibles, les salariés renoncent à faire valoir leurs droits.

Pour être plus concret, il n'est pas raisonnable d'attendre 2 ans pour la notification d'un jugement de première instance sans difficulté technique particulière.

En appel, le traitement moyen d'un dossier n'est lui pas inférieur à 2 ans, sachant que plus d'un jugement sur 2 fait l'objet d'un appel !

La mise en place du plafonnement des indemnités (Barème Macron) pour absence de cause réelle et sérieuse du licenciement a clairement découragé les salariés dont l'ancienneté est faible car la réparation financière espérée est drastiquement limitée.

L'effet de la représentation obligatoire par avocat en appel n'a malheureusement pas été anticipé en termes de moyens matériels et humains.

Certes la justice prud'homale n'est pas la seule touchée par l'insuffisance de moyens, le contentieux du divorce ou des expulsions étant aussi totalement engorgé.

Mais on notera ici l'exception notable de la justice commerciale qui fonctionne plutôt vite et bien. Or est -il légitime dans un système judiciaire moderne que des salariés soient moins bien considérés que des personnes morales ?

Ensuite, il faut bien se poser la question de la qualité des décisions rendues par les conseils de prud'hommes et ce, que l'on se place du côté des employeurs ou des salariés.

Les chiffres sont implacables : Plus de 60 % des jugements font l'objet d'un appel alors que ce pourcentage est inférieur à 20% pour la justice civile et inférieur à 15% pour la justice commerciale.

Il se déduit de ces chiffres une évidence : LES JUSTICIABLES N'ACCEPTENT PAS LES JUGEMENT DES CONSEIL DE PRUD'HOMMES.

- L'échec des modes alternatifs de règlement des conflits du travail

Au stade du bureau de conciliation, seules 8% des affaires font l'objet d'une conciliation, même si ce chiffre ne prend pas en compte les très nombreuses transactions confidentielles entre employeurs et salariés,

La médiation quant à elle, fait l'objet d'un traitement ubuesque :

Il est fréquent qu'elle soit proposée par les conseillers de la Cour d'Appel le jour même de l'audience, que les parties ont attendue pendant des années.  Or la motivation des parties est nulle à ce stade : l'employeur a depuis longtemps provisionné dans ses comptes une somme au titre du risque de condamnation, les collaborateurs ont changé, et le salarié à lui souffert de la durée de la procédure et a engagé des frais importants. 

De plus, les avocats sont le plus souvent favorables à un accord amiable au départ du litige et ont donc déjà recherché une solution négociée qui n'a pas aboutie...

En résumé, il y a des nombreux dossiers dans laquelle un accord est introuvable. Il faut l’accepter, et rendre une décision.

LE DROIT DE FAIRE TRANCHER LE LITIGE PAR LE JUGE RESTE ET RESTERA FONDAMENTAL.

II. LA RECHERCHE DE SOLUTIONS 

Il serait évidemment d'une prétention maladroite de lister des réformes pour soigner les maux dont est atteinte la justice prud'hommale. Néanmoins, au contact des juridictions j'ai acquis la conviction que des mesures simples peuvent contribuer à améliorer les choses :

1. Modifier la composition du Conseil de Prud’hommes pour l'ajout d'un magistrat professionnel ayant une voie prépondérante en cas de désaccord entre les salariés,

2. Limiter l'application du barème Macron aux seuls licenciements pour "cause réelle et sérieuse" et dissuader ainsi les licenciements immédiats pour faute grave lorsque celle-ci n'est pas réellement caractérisée,

3. En Cour d'Appel sociale, donner au conseiller de la mise en état le pouvoir établir pour les affaires les plus simples, un calendrier de mise en état avec audience à 8 mois de l'appel.

4. Rendre publique les performances des juridictions : délais de traitement, taux d'appel, taux de réformation, taux de cassation.

5. Dissuader les saisines farfelues ou malveillantes avec la mise en place automatique du droit de procédure fixe à payer uniquement par la partie perdante, au profit du budget de l'aide juridictionnelle,

6. Introduire un taux réduit de TVA sur les honoraires d’avocat à 5,5% pour toutes les personnes physiques.

7. Affecter de nouveaux budgets, et harmoniser territorialement les moyens matériels et humains au sein des juridictions sociales.

8. Mettre en place la communication électronique avec les greffes pour toutes les procédures.

Je ne suis pas le seul à dénoncer le mauvais fonctionnement de notre justice prud’homale. Les articles de confrères sur le sujet sont nombreux. Puissent-ils être lus et compris par le législateur. Il est grand temps d’agir.