Le bail commercial face au covid-19

 

Suite à l’épidémie du covid-19 et les impacts des mesures de confinement qui en ont été la conséquence, il convient d’étudier le sort de l’exécution du bail commercial entre les parties.

 

I- Sur le droit

Le droit commun des contrats prévoit un outil pour traiter de l’inexécution des contrats résultant de l’épidémie de Coronavirus : la force majeure.

En vertu de l’article 1218 alinéa 1 du Code civil, un évènement revêt la qualification de force majeure lorsqu’il répond aux critères d’extériorité (évènement échappant au contrôle du débiteur), d’imprévisibilité (évènement ne pouvant être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat) et d’irrésistibilité.

 

Soit :

-      Extériorité : L’article 1218 du Code civil évoque un évènement échappant au contrôle du débiteur, qui semble correspondre à cette condition d’extériorité. L’épidémie ne résultant pas de la faute du débiteur de l’obligation, cette condition devrait être caractérisée sans difficulté.

-      Imprévisibilité : Si l’évènement était prévisible au moment de la formation du contrat, le débiteur a entendu supporter le risque de ne pas pouvoir exécuter son obligation. L’imprévisibilité, qui permet d’établir avec certitude que l’inexécution n’est pas imputable au débiteur, est appréciée au moment de la formation du contrat.

Si le contrat a été conclu avant l’apparition de l’épidémie, l’imprévisibilité semble être constitué, bien que la jurisprudence ait jugé, concernant des épidémies antérieures, qu’elle ne constituant pas en soit, un critère d’imprévisibilité. Toutefois, ces épidémies n’ont pas entraînés des mesures équivalentes à celles prises pour le covid-19 qui, elles, semble revêtir le critère de l’imprévisibilité.

-      Irrésistibilité : cette notion comprend deux composantes que sont l’inévitabilité (évènement irrésistible dans sa survenance) et l’insurmontabilité (évènement irrésistible dans ses effets).

Dans le domaine contractuel, l’irrésistibilité se matérialise en une impossibilité d’exécution. Aussi, tant que l’exécution est possible, bien que plus onéreuse pour le débiteur, il n’y a pas de force majeure.

Outre l’exonération de la responsabilité du débiteur, la force majeure peut entrainer soit la suspension, soit l’extinction du contrat (C. civ., art. 1218, al. 2).

Lorsque l’empêchement est temporaire, l’exécution est, en principe, suspendue. Néanmoins, cet empêchement temporaire peut entraîner l’extinction du contrat si le retard qui en résulterait justifie la résolution de ce contrat.

Si toutefois l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit (donc sans intervention du juge).

 

II- Sur les mesures spécifiques relatives au covid-19

Des mesures gouvernementales ont été prises pour faire face à la propagation du virus, impactant directement les activités commerciales.

Selon l’article 1 de l’arrêté du 14 mars 2020 :

« Afin de ralentir la propagation du virus covid-19, les établissements relevant des catégories mentionnées à l’article GN1 de l’arrêté du 25 juin 1980 susvisé figurant ci-après ne peuvent plus accueillir du public jusqu’au 15 avril 2020 :

- au titre de la catégorie L : Salles d’auditions, de conférences, de réunions, de spectacles ou à usage multiple ;

- au titre de la catégorie M : Centres commerciaux ;

- au titre de la catégorie N : Restaurants et débits de boissons ;

- au titre de la catégorie P : Salles de danse et salles de jeux ;

- au titre de la catégorie S : Bibliothèques, centres de documentation ;

- au titre de la catégorie T : Salles d’expositions ;

- au titre de la catégorie X : Établissements sportifs couverts ;

- au titre de la catégorie Y : Musées.

Pour l’application du présent article, les restaurants et bars d’hôtels, à l’exception du « room service », sont regardés comme relevant de la catégorie N : Restaurants et débits de boissons. L’ensemble des établissements de cette catégorie sont en outre autorisés à maintenir leurs activités de vente à emporter et de livraison.

Les dispositions du présent article sont applicables sur le territoire de la République. »

Par ailleurs, cet arrêté a été complété par l’article 1er 2°de l’arrêté du 15 mars 2020 :

2° L’article 1er est remplacé par les dispositions suivantes :

« Art. 1. - I. - Afin de ralentir la propagation du virus covid-19, les établissements relevant des catégories mentionnées à l’article GN1 de l’arrêté du 25 juin 1980 susvisé figurant ci-après ne peuvent plus accueillir du public jusqu’au 15 avril 2020 :

« - au titre de la catégorie L : Salles d’auditions, de conférences, de réunions, de spectacles ou à usage multiple ;

« - au titre de la catégorie M : Magasins de vente et Centres commerciaux, sauf pour leurs activités de livraison et de retraits de commandes ;

« - au titre de la catégorie N : Restaurants et débits de boissons, sauf pour leurs activités de livraison et de vente à emporter, le “room service” des restaurants et bars d’hôtels et la restauration collective sous contrat ;

« - au titre de la catégorie P : Salles de danse et salles de jeux ;

« - au titre de la catégorie S : Bibliothèques, centres de documentation ;

« - au titre de la catégorie T : Salles d’expositions ;

« - au titre de la catégorie X : Etablissements sportifs couverts ;

« - au titre de la catégorie Y : Musées ;

« - au titre de la catégorie CTS : Chapiteaux, tentes et structures ;

« - au titre de la catégorie PA : Etablissements de plein air ;

« - au titre de la catégorie R : Etablissements d’éveil, d’enseignement, de formation, centres de vacances, centres de loisirs sans hébergement, sauf ceux relevant des articles 4 et 5.

« II. - Les établissements relevant de la catégorie M peuvent toutefois continuer à recevoir du public pour les activités figurant en annexe du présent arrêté. »

En annexe de ce décret, il est précisé :

Les activités mentionnées au II de l’article 1er sont les suivantes, et donc les activités autorisées d’un centre commercial sont les suivantes :

-      Entretien et réparation de véhicules automobiles, de véhicules, engins et matériels agricoles

-      Commerce d’équipements automobiles

-      Commerce et réparation de motocycles et cycles

-      Fourniture nécessaire aux exploitations agricoles

-      Commerce de détail de produits surgelés

-      Commerce d’alimentation générale

-      Supérettes

-      Supermarchés

-      Magasins multi-commerces

-      Hypermarchés

-      Commerce de détail de fruits et légumes en magasin spécialisé

-      Commerce de détail de viandes et de produits à base de viande en magasin spécialisé

-      Commerce de détail de poissons, crustacés et mollusques en magasin spécialisé

-      Commerce de détail de pain, pâtisserie et confiserie en magasin spécialisé

-      Commerce de détail de boissons en magasin spécialisé

-      Autres commerces de détail alimentaires en magasin spécialisé

-      Les distributions alimentaires assurées par des associations caritatives

-      Commerce de détail de carburants en magasin spécialisé

-      Commerce de détail d’équipements de l’information et de la communication en magasin spécialisé

-      Commerce de détail d’ordinateurs, d’unités périphériques et de logiciels en magasin spécialisé

-      Commerce de détail de matériels de télécommunication en magasin spécialisé

-      Commerce de détail de matériaux de construction, quincaillerie, peintures et verres en magasin spécialisé

-      Commerce de détail de journaux et papeterie en magasin spécialisé

-      Commerce de détail de produits pharmaceutiques en magasin spécialisé

-      Commerce de détail d’articles médicaux et orthopédiques en magasin spécialisé

-      Commerce de détail d’aliments et fournitures pour les animaux de compagnie

-      Commerce de détail alimentaire sur éventaires et marchés

-      Vente par automates et autres commerces de détail hors magasin, éventaires ou marchés n.c.a.

-      Hôtels et hébergement similaire

-      Hébergement touristique et autre hébergement de courte durée lorsqu’il constitue pour les personnes qui y vivent un domicile régulier

-      Terrains de camping et parcs pour caravanes ou véhicules de loisirs lorsqu’ils constituent pour les personnes qui y vivent un domicile régulier

-      Location et location-bail d’autres machines, équipements et biens

-      Location et location-bail de machines et équipements agricoles

-      Location et location-bail de machines et équipements pour la construction

-      Activités des agences de placement de main-d’œuvre

-      Activités des agences de travail temporaire

-      Réparation d’ordinateurs et de biens personnels et domestiques

-      Réparation d’ordinateurs et d’équipements de communication

-      Réparation d’ordinateurs et d’équipements périphériques

-      Réparation d’équipements de communication

-      Blanchisserie-teinturerie

-      Blanchisserie-teinturerie de gros

-      Blanchisserie-teinturerie de détail

-      Services funéraires

-      Activités financières et d’assurance

 

Dès lors, outre les exceptions listées ci-dessus, une partie importante des boutiques et magasins qui exploitent un commerce de vente, ont interdiction de recevoir du public, ce qui entraîne inexorablement la fermeture du magasin.

Il se pose alors la question du sort des loyers et charges dues par le locataire commercial durant cette période.

Comme il a été développé ci-dessus, les critères de la force majeure semblent remplis par la cessation de l’activité commerciale en raison d’un élément extérieur, imprévisible et irrésistible.

Ces fermetures étant par ailleurs imposées aux exploitants par l’arrêté du 15 mars 2020, il apparaît que les critères de la force majeure s’imposent de plus fort.

Même s’il convient d’apprécier la situation de chaque activité au cas par cas, le critère de la force majeure pouvant suspendre le contrat de bail et donc les obligations qui en découlent, comme le paiement du loyer et des charges, la partie au contrat de bail qui en a le plus intérêt serait en droit d’invoquer cette force majeure pour n’abstenir de régler ses loyers et charges, jusqu’à ce que le contrat puisse reprendre sous cours, soit lorsque la mesure d’interdiction de réception du public sera levée.

Une nouvelle mesure est venue renforcer la protection des locataires par ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 qui dispose en son article 4 que :

Les personnes mentionnées à l’article 1er ne peuvent encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d’astreinte, d’exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d’activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, nonobstant toute stipulation contractuelle et les dispositions des articles L. 622-14 et L. 641-12 du code de commerce.

Les dispositions ci-dessus s’appliquent aux loyers et charges locatives dont l’échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai de deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 précitée.

Cet article est applicable aux personnes aux personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique qui sont susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité mentionné à l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020.

La liste de ces personnes doit être fixé par décret, non paru ce jour, toutefois le dossier de presse du gouvernement précise à ce sujet que les personnes concernées seraient les bénéficiaires d’un fonds de soutien pour prévenir la cessation d’activité des très petites entreprises (TPE), micro-entrepreneurs, indépendants et professions libérales, avec un chiffre d’affaires annuel inférieur à un million d’euros et un bénéfice annuel imposable inférieur à 60 000 euros, particulièrement touchées par les conséquences économiques du covid-19.

Il s’agit d’entreprises qui ont fait l’objet d’une interdiction d’accueil du public ou d’une perte de chiffre d’affaires d’au moins 70 % en mars 2020 par rapport à mars 2019.

En conclusion, et en pratique, les personnes impactées dans leur activité par les mesures gouvernementales précitées doivent débuter le processus de suspension du paiement des loyers et charges par l’envoi d’une demande à leur cocontractant, notamment à leur bailleur, pour les informer de cette suspension.

La mise en place d’un dialogue paraît alors nécessaire dans la mesure où la situation des deux parties dont être appréciée dans le cadre d’une exécution de bonne foi des contrats.

En effet, les bailleurs peuvent également souffrir de la suspension du paiement des loyers et charges, une discussion entre les parties pourrait alors tenter de prendre en compte les intérêts des deux parties au contrat afin d’organiser les relations contractuelles, pour permettre de sortir de ces difficultés économiques passagères du mieux possible.

En cas de blocage, il conviendra d’en revenir à l’application du droit et des critères de la force majeure, évoqués dans le présent article.

Julien LEYMARIE, avocat au barreau de Paris