Merci à « 7 JOURS » de m’avoir permis d’apporter un éclairage sur le thème de l’emploi des étrangers en France notamment dans les secteurs en tension et du point de vue des entreprises, sujet ô combien actuel avec le futur débat du 6 novembre sur le projet de loi sur l’immigration…

 

L’emploi des travailleurs étrangers en France : défis et responsabilités des employeurs - 7 jours

La création d'un nouveau titre de séjour « métier en tension » a été annoncée par le gouvernement, et doit être débattue au Sénat à partir du 6 novembre. Un sujet aussi épineux qu’urgent, pour les dirigeants des secteurs en tension, les entreprises en mal de main-d’œuvre qui prennent le risque des sanctions pénales et financières, en employant des travailleurs illégaux.

Klit DELILAJ, avocat au barreau de Rennes

Klit DELILAJ, avocat au barreau de Rennes

Thierry Marx, président de l’Umih, principal syndicat patronal du secteur de l’hôtellerie et la restauration, demandait clairement il y a quelques semaines, «une régularisation rapide de nos salariés étrangers, reconnus pour leurs compétences et qui se retrouvent plongés dans l’illégalité du jour au lendemain », un secteur faisant le constat de difficultés d’embauche avec 200 000 postes non pourvus.

Certaines entreprises se heurtent ainsi à une situation kafkaïenne : elles œuvrent dans des secteurs où la pénurie du travail se fait ressentir, tout en faisant face à des difficultés d’embauche. L’emploi des travailleurs étrangers représente alors pour elles une solution, mais des obstacles législatifs rendent cette option extrêmement périlleuse.

On pourrait penser qu’il s’agit d’une blague de Coluche : C’est l’histoire d’un mec qui avait des idées et une vision sur comment son quotidien de travail devait se dérouler. Il ne compte pas ses heures, ne voit pas ses enfants grandir, se fait connaitre de par sa qualité de travail et son sérieux professionnel, et décide de s’agrandir en embauchant des salariés. Et là, en publiant une offre sur Pôle Emploi, il se rend compte qu’il n’y a pas de candidats aux profils adaptés au poste, voire pas de candidats tout court.

Il décide alors d’embaucher un travailleur étranger et là, est confronté au paradoxe d’une administration qui poursuit un double objectif politique :

– Répondre aux besoins des entreprises dans des secteurs d’activité dits sous « tension » – Maitriser le flux de l’immigration entrante en France.

Peut-on embaucher une personne de nationalité étrangère en France ?

La réponse est oui. Pas de difficultés particulières si la personne est ressortissante d’un pays membre de l’UE.

Si la personne est ressortissante d’un pays étranger hors Union européenne ?

Oui, mais il faut distinguer deux cas de figure différents.

Si l’étranger vit à l’étranger, l’employeur doit d’abord faire des démarches auprès de la DREEDS (anciennement DIRECCTE) grâce à une plateforme dématérialisée mise en place depuis le 1er avril 2023, puis inviter son futur salarié à se rapprocher des autorités consulaires / ambassade française de son pays d’origine, pour obtenir un visa long séjour portant la mention travail.

Lorsque l’étranger est déjà présent en France, l’employeur doit vérifier que ce dernier possède une autorisation de travail lui permettant d’exercer une activité professionnelle. À défaut, l’étranger doit changer de statut.

Si l’étranger ne possède aucun titre de séjour l’autorisant à séjourner en France, une procédure de régularisation peut lui permettre, sous certaines conditions, d’obtenir un titre de séjour et de travail. L’actualité médiatique met en avant surtout la question de l’embauche des personnes en situation irrégulière en France, cela met en avant le lien indissoluble entre cette réalité, et la question de la maitrise de l’immigration en France…

Certaines entreprises, notamment dans des secteurs en tension, prennent le risque d’employer des travailleurs illégaux pour répondre à des besoins urgents et immédiats. Suivre la voie légale prend en effet beaucoup plus de temps : pour obtenir une autorisation de travail pour une personne résidant à l’étranger, l’employeur devra mettre en place une procédure et attendre le retour de la DREEDS qui dispose d’un délai de 4 mois pour se prononcer. Si elle se prononce par la négative, un recours devant le juge administratif est possible, mais il prendra des mois. Or la nécessité d’embauche est urgente.

Idem si l’employeur a obtenu l’autorisation de travail, mais que l’étranger, lui, s’est vu refuser le visa de travail. Les procédures administratives urgentes (les référés) ne vont pas prospérer pour autant. L’urgence au sens du droit administratif, n’est pas (encore?) caractérisée par l’urgence au sens économique du point de vue de l’entreprise qui souhaite embaucher.

La justice manque de moyens pour aller vite, et c’est de plus en plus dénoncé.

À l’heure actuelle, la seule arme juridique contre la lenteur excessive de l’administration, et/ou de la justice, est l’action en responsabilité contre l’État. Or, l’entreprise ne veut pas faire des procédures pour obtenir des dommages et intérêts, elle veut pouvoir embaucher et continuer à développer son secteur d’activité.

Des incohérences législatives qui perturbent

Si un étranger en situation irrégulière travaille en France, il peut, sous certaines conditions, être régularisé sur le plan administratif.

Mais si une entreprise lui offre du travail, elle risque des sanctions pénales et financières. Un étranger peut régulariser sa situation en France, notamment lorsqu’il justifie, au bout d’un certain temps, d’un certain degré d’intégration.

L’intégration peut notamment être analysée sous l’angle de l’emploi en France.

Une circulaire du 28 novembre 2012 du ministère de l’Intérieur, à l’attention des préfets, indique notamment que, pour être admis au séjour au titre du travail, l’étranger doit justifier :

– d’un contrat de travail ou d’une promesse d’embauche et du formulaire d’engagement de l’employeur de verser la taxe à l’Ofii (Office Français de l’Immigration et de l’Intégration) ;

– d’avoir travaillé – de manière consécutive ou non : huit mois sur les vingt-quatre derniers mois, ou trente mois sur les cinq dernières années ;

– d’une ancienneté de séjour d’au moins cinq ans sauf exception.

Mais, il n’est pas interdit alors d’embaucher un étranger en situation irrégulière ?

Officiellement si !

Le travail illégal recouvre plusieurs infractions définies à l’article L. 8211-1 du Code du travail, telles que le travail dissimulé, l’emploi d’étrangers non autorisés à travailler, le marchandage, le prêt illicite de main-d’œuvre, le cumul irrégulier d’emplois et certaines fraudes ou fausses déclarations.

L’infraction d’emploi d’un étranger sans autorisation de travail est constituée dans plusieurs exemples :

-Un employeur qui a connaissance de la qualité d’étranger du salarié et qui omet volontairement de vérifier la possession du titre de travail commet une infraction à l’article L. 8251-1 du Code du travail (Cass. crim., 29 mars 1994, n° 93-82.178 Cass. crim., 14 mai 1996, n° 94-85.616).

-Le gérant d’une société exploitant une entreprise de construction s’était rendu compte de la fausse identité de l’étranger qu’il s’apprêtait à embaucher, mais n’a pas sollicité la production de l’original de sa pièce d’identité, comme il en prenait habituellement la précaution, ni vérifié la situation de ce salarié étranger (Cass. crim., 8 août 2018, n° 17-84.920, n° 1649 F – P + B).

-L’employeur comptait dans son restaurant six ressortissants étrangers sans autorisation de travail. Ni les dispositions de l’article L. 8256-2 (relatives à l’exonération de responsabilité de l’employeur de bonne foi), ni la circonstance que le travailleur étranger se prévaut de la qualité de ressortissant de l’Union européenne, ne dispensent l’employeur de son obligation première de vérifier la nationalité invoquée par le salarié qu’il s’apprête à embaucher, en exigeant la production de l’original du titre présenté à cet effet et, s’il s’agit d’un étranger soumis à autorisation, de s’assurer de la détention du titre approprié (Cass. crim., 30 oct. 2018, n° 17-84.724).

-Le gérant avait omis de vérifier les allégations du cédant concernant l’emploi de salariés et leur situation (Cass. crim., 11 juill. 2017, n° 16-80.521).

– Le chef d’entreprise ne peut prétendre qu’il ignorait la situation de ses employés du fait des conditions d’emploi qui ne pouvaient être acceptées que par des étrangers en situation irrégulière (emploi sans contrat, rémunération à la journée, paiement en liquide) (Cass. crim., 16 sept. 2009, n° 09-80.416).

Quelles sont les sanctions encourues ?

Elles sont lourdes, à la fois pénales et administratives Toute infraction aux dispositions du premier alinéa de l’article L. 8251-1 du Code du travail est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende.

Les personnes morales peuvent être déclarées responsables pénalement et voir prononcer des peines d’amendes et peines complémentaires, à l’instar des personnes physiques (C. pén., art. 121-2).

Sur le plan administratif, une double amende salée doit être payée. La contribution forfaitaire due pour chaque étranger employé irrégulièrement. Le montant de la contribution spéciale s’élève au plus à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti (MG).

Le montant de la contribution peut être majoré en cas de réitération et porté au plus à 15 000 fois le MG. Il y a en outre la contribution forfaitaire aux frais de réacheminement, dont le montant de la contribution est fixé par arrêté en fonction du coût moyen des opérations d’éloignement vers la zone géographique à destination de laquelle est éloigné le salarié.

Que doit faire une entreprise alors ?

Essayer de maitriser le régime juridique applicable aux différents cas de figure, anticiper le risque administratif et pénal au besoin en se faisant accompagner par un avocat qui suit l’actualité juridique en la matière. L’actualité de certaines entreprises françaises, c’est l’histoire d’un mec dont le nouveau défi est de travailler plus, financer la solidarité nationale par le biais des impôts, mais avec le moins de salariés possible à disposition.

Une vraie blague de Coluche…

Par Me Klit DELILAJ, avocat au barreau de Rennes