Les praticiens du droit social la redoutent comme une tâche sur le rabat : la prescription est un chausse-trappe que la Cour de cassation s’ingénie à rendre toujours plus glissant. En faisant parfois preuve d’une étonnante magnanimité… Rappel sur les règles applicables …et quelques coquetteries.

La publication d’un récent arrêt par la Cour de cassation1 fait l’effet d’une oasis au milieu du désert. Aride, impitoyable, la prescription est, rappelons-le, une fin de non-recevoir qui empêche le plaideur de triompher, quelle qu’imparable soit la force de ses arguments. Le texte est clair : la prescription proscrit l’examen au fond. Circulez, il n’y a rien à plaider !

La sanction est d’autant plus amère qu’outre le resserrement progressif des délais, la jurisprudence multiplie les particularismes concernant notamment le point de départ du délai de prescription ou les causes d’interruption.

Rappelons donc, sans être exhaustif, les règles de prescription aujourd’hui applicables suivant la dichotomie habituelle tenant à la contestation de l’exécution ou de la rupture du contrat de travail.

 

1. L’exécution du contrat de travail se prescrit donc par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.

Simple ? Pas vraiment, surtout si l’on considère le paiement du salaire comme l’exécution par essence du contrat de travail.

Car, si les actions en contestation de l’exécution du contrat obéissent à une prescription biennale, l’action en paiement du salaire se prescrit par 3 ans à compter de la rupture du contrat ou du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû avoir connaissance de son droit.

Qu’en est-il, alors, de l’action fondée sur le repositionnement salarial d’un salarié arguant de ce qu’il a été sous-classé ? La Cour de cassation fait ici primer la demande pécuniaire (prescrite par 3 ans) sur le classement professionnel (prescrit par 2 ans), qui n’en est que le préalable indispensable 2.

A noter, pour compliquer la chose, que le point de départ est celui de l’exigibilité du paiement, à condition que le salarié ait eu connaissance des éléments ouvrant droit à rémunération, ce qui génère une incertitude, en matière de commissions par exemple.

Encore plus subtile est la distinction opérée en matière de requalification du contrat de travail précaire dont le point de départ diffère selon le moyen soulevé par le plaideur.

La prescription est naturellement biennale mais, fondée sur le motif de recours, elle commence à courir au terme du contrat ou du dernier contrat irrégulier alors que, fondée sur le formalisme du contrat, elle débute à la date de conclusion du premier contrat irrégulier.

Notons que les demandes de dommages et intérêts, et même de rappel de salaire, fondées sur une discrimination ou un harcèlement, conservent le bénéfice de la prescription de 5 ans, mais pas celle fondée sur l’inégalité de traitement, qui demeure soumise à la prescription triennale.

Rappelons, enfin, que l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, cousine germaine de l’exécution du contrat de travail, se prescrit par deux ans à compter du jour de l’accident, de la cessation du travail, du dernier jour du paiement des indemnités journalières ou de la reconnaissance du caractère professionnel de l’accident ou de la maladie professionnelle.

Précisons encore que l’exercice de l’action pénale en la matière complique singulièrement la chose, point trop épidermique pour le rédacteur qui attend avec impatience l’analyse qui voudra en être faite par moins sensible que lui.

 

2. Ayant connu une réduction législative aussi sévère que celle des budgets de la justice, la durée de la prescription en matière de contestation de la rupture du contrat de travail est désormais fixée à un an suivant la date de notification de la rupture.

Encore faut-il ici préciser que la notification de la rupture s’entend de la date d’envoi de la lettre de licenciement ou, pour la rupture conventionnelle, de celle de l’homologation de la convention par l’autorité administrative.

Mais, même si le délai de prescription est uniformément fixé à un an, le point de départ varie selon que le licenciement est fondé sur un motif individuel ou un motif économique et encore, dans ce dernier cas, si ce licenciement intervient dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi ou non.

Débutant à la notification du licenciement en l’absence de PSE, la prescription débute à la dernière réunion du PSE lorsqu’il en est prévu un.

Le délai, désormais très bref, s’inscrit dans la volonté de sécurisation de la relation de travail voulue par les gouvernements et dont l’aspect le plus marquant est l’instauration du barème tant discuté d’indemnisation du licenciement abusif.

La Cour de cassation, toutefois, dans sa décision du 25 janvier 2023, ramène un peu de douceur dans ce monde de brutes, prouvant que le droit n’est pas si vil.

En l’espèce, la salariée, licenciée le 2 novembre 2015, alors que la prescription était de 2 ans, a saisi le Conseil de Prud’hommes le 2 février 2018.

Le juge du fond, approuvé par la Haute Juridiction, se fondant sur l’article 2234 du code civil, rappelle que la prescription ne court pas contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou d’un cas de force majeure.

Constatant que la salariée avait été hospitalisée dès juillet 2015 pour des troubles anxio-dépressifs s’accompagnant de crises de panique incessantes l’empêchant de mener à bien toute démarche tant personnelle que sociale et administrative, notamment lors de la gestion de son dossier prud’homal, son état de santé s’étant aggravé en février 2016, la Cour retient l’existence d’un cas de force majeure suspendant la course de la prescription.

La décision est suffisamment exceptionnelle, tout en étant d’une rigueur juridique incontestable, pour être remarquée.

Elle consacre, dans une publication assez restreinte toutefois, le droit à la faiblesse comme celui permettant de se remettre psychologiquement avant de passer à l’offensive. La traversée du désert comme une étape parfois incontournable de la vie du contrat…

 

3. Cette décision a aussi le mérite de rappeler la distinction entre la suspension et l’interruption de la prescription.

La première, aux termes de l’article 2230 du code civil, arrête temporairement le cours de la prescription, sans effacer le délai déjà couru alors que la seconde fait courir un nouveau délai de même durée dès lors qu’elle survient.

Notons alors que la reconnaissance de sa dette par l’employeur et son accord pour le régler, même partiellement, interrompt la prescription du paiement du salaire pour toute la dette.

La saisine de la juridiction, même incompétente, ou en référé, interrompt le délai de prescription, tout comme la mise en œuvre de poursuites pénales visant des faits susceptibles de fonder une procédure disciplinaire, l’interruption courant jusqu’à la décision définitive de la juridiction répressive lorsqu’il est partie à la procédure ou jusqu’à la connaissance qu’il a de l’issue de la procédure pénale lorsqu’il ne l’est pas.

Elle est en revanche suspendue en cas d’impossibilité d’agir, notamment par force majeure (voir la décision du 25 janvier 2023 précitée) ou, pour les mineurs, jusqu’à la date de leur majorité

On le voit, s’y retrouver dans le désert prescriptif nécessite, sans être un roi mage des temps modernes et bénéficier d’une bonne étoile, de savoir se repérer au sein de dunes mouvantes au gré du vent jurisprudentiel.

La matière sociale, déjà fort affectée par son adoption dans la famille des procédures avec représentation obligatoire, se trouve désormais confrontée au défi de la procédure civile dans ce qu’elle a de plus rigoureux.

Mais, comme le rappelle la Cour de cassation, chaque désert porte une rose, fut-elle de sable.

 

1 Cass. Soc. 25 janvier 2023 n°21-17.791

2 Cass. Soc. 30 juin 2021 n°19-10.161