Retour sur la mise à mort de la SPL et sa tentative de sauvetage par proposition de loi du 7/2/2019

 

Le Conseil d’Etat a jugé que la participation d’une collectivité ou d’un groupement au capital social d’une SPL est irrégulier lorsque cet actionnaire n’exerce par l’ensemble des compétences prévues dans l’objet social de ladite SPL (Conseil d'État, 14 novembre 2018, n°405628)

 

Usant de son déféré préfectoral, le préfet du Puy-de-Dôme a saisi le tribunal administratif de Clermont-Ferrand aux fins d’annulation d’une décision du syndicat mixte pour l'aménagement et le développement des Combrailles (SMADC) validant la transformation d’une SEM d’exploitation des réseaux d’eau potable et d’assainissement en SPL et la modification en conséquence de ses statuts. Suite à l’annulation de cette décision par le tribunal administratif et la confirmation du jugement par le juge d’appel lyonnais, la SMADC et la SEM se sont pourvus en cassation.

 

Le Conseil d’Etat met fins aux divergences des juges du fond sur une question essentielle pour les collectivités et leurs groupements : ces personnes publiques doivent-elle exercer l’ensemble des compétences mises en œuvre par une SPL au regard de son objet social pour en être régulièrement actionnaire ?

 

Le couperet – quoique non surprenant à la lecture stricte du texte – tombe : en effet, la participation d’une collectivité territoriale ou d’un groupement (type EPCI) à l’actionnariat d’une SPL est désormais exclu lorsque cette personne publique n’exerce pas l’ensemble des compétences sur lesquelles porte l’objet social de la société.

 

Il convient dès lors de préciser que cette décision ne s’applique pas aux compétences transférées intégralement par une commune à un EPCI, cas d’ores et déjà réglé par le législateur (I). En effet, la solution du Conseil d’État vise le recours à la SPL par les collectivités et leurs groupements lorsqu’elles mettent en œuvre soit des compétences distinctes, soit des compétences partagées par ces acteurs au moyen de la notion d’intérêt communautaire ou métropolitain, ou encore réparties autrement entre ces acteurs par le législateur[1] (II). Emus – et on les comprend au regard des enjeux juridiques et financiers en présence – par la situation de blocage dans laquelle sont placées les SPL[2] depuis la lecture de l’arrêt commenté au mois de novembre dernier, des sénateurs viennent de déposer une proposition de loi venant modifier l’article L. 1531-1 du CGCT, et partant, les activités pouvant être exercées par ces SPL (III).

 

 

I.                  Sur la participation minoritaire au capital de la SPL de la commune ayant totalement transférée sa compétence à un EPCI

 

Nous ne nous attarderons pas sur ce point. Il convient uniquement de retenir que la SPL est constituée sous la forme juridique d’une société anonyme régie par le code de commerce (cf. al. 4 de l’article L. 1531-1 du code général des collectivités territoriales, le « CGCT ») comme son ainée, la société d’économie mixte locale, et se voit appliquer par renvoi les mêmes dispositions du CGCT, dont la règle rappelée par le Conseil d’Etat selon laquelle une commune actionnaire d’une SPL dont l’objet social s’inscrit dans le cadre d'une compétence qu'elle a intégralement transférée à un EPCI « peut continuer à participer au capital de cette société à condition qu'elle cède à l'établissement public de coopération intercommunale (…) plus des deux tiers des actions qu'elle détenait antérieurement au transfert de compétences » (alinéa 2 de l’art. L. 1521-1 du CGCT).

 

A titre de piqure de rappel, précisons brièvement que la distinction entre SPL et SEM résulte de la composition du capital social de la SPL, les actionnaires étant uniquement des personnes publiques, et ce, aux fins de lui faire bénéficier du mécanisme du « in-house ». Ceci étant précisé, nous pouvons nous concentrer sur la portée de l’arrêt (II). 

 

II.                Sur l’impossibilité d’utiliser l’outil SPL par des collectivités et groupement n’exerçant pas l’ensemble des compétences portées par son objet social

 

Pour mémoire, l’article L.1531-1 du CGCT dispose que les SPL sont créées par les collectivités et leurs groupements « dans le cadre des compétences qui leurs sont attribuées par la loi ».

 

Qu’en est-il lorsqu’une compétence mise en œuvre par l’objet social de la SPL est exercée par un actionnaire mais non par un autre ou encore lorsque cette compétence est partagée entre ses actionnaires ? Le Conseil d’État vient ici trancher une question faisant l’objet de divergences entre ses juges du fond, partagés entre les « libéraux », soucieux de ne pas faire obstacle à l’effectivité de l’outil pratique que constitue la SPL (1) et ceux qui privilégiaient une lecture déjà stricte du texte (2). Par une lecture encore plus sévère de la loi, le Conseil d’Etat conditionne le recours à la SPL aux cas dans lesquels les actionnaires exercent l’ensemble des compétences constituant l’objet social de la SPL, et ce faisant, paralyse la poursuite en l’état de leurs activités par celles-ci (3).

 

1.      Une lecture constructive de certains juges du fond afin de garantir l’effectivité de l’outil « SPL »

 

  Le juge des référés du tribunal administratif de Lille[3] avait jugé que :

 

« Considérant qu'en application de l'article L. 1531-1 du code général des collectivités territoriales, si les collectivités territoriales et leurs groupements ne peuvent être actionnaires d'une société publique locale dont l'objet social ne comporterait aucune des compétences attribuées à ceux-ci, en revanche, il ne résulte pas des dispositions précitées de l'article L. 1531-1 du code général des collectivités territoriales que les actionnaires d'une société publique locale doivent être attributaires de l'ensemble des compétences regroupées dans l'objet social de la société publique locale ; qu'il ne résulte pas davantage des mêmes dispositions qu'un actionnaire d'une société publique locale ne détiendrait les pouvoirs attachés à la qualité d'actionnaire d'une société anonyme qu'en ce qui concerne la compétence initiale ayant permis son entrée dans le capital ; qu'il s'ensuit que la composition d'une société publique locale par deux actionnaires ayant des compétences complémentaires mais néanmoins distinctes, ne méconnaît pas la règle du minimum de deux actionnaires posée par l'article L. 1531-1 du code général des collectivités territoriales ; »

Ainsi, le juge administratif lillois a considéré que l’article L. 1531-1 du CGCT n’imposait pas que les actionnaires de la SPL exercent l’intégralité des compétences de la SPL telles que définies par son objet social. Cette lecture de l’article précité a été confirmé par un jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 1er juillet 2014[4] :

 

« la circonstance qu'une collectivité territoriale ou un groupement actionnaire ne disposent pas de l'ensemble des compétences entrant dans l'objet social de la société publique locale entraîne comme seule conséquence pour la société publique locale l'impossibilité de pouvoir intervenir au titre des prestations intégrées sur le territoire de cette collectivité pour la ou les compétences qui ne sont pas partagées en commun ; »

 

Il était dans cette affaire encore question de la légalité de la délibération déférée par le préfet d’un syndicat mixte décidant d’adhérer à une SPL. Le juge administratif de première instance avait considéré que les dispositions de l’article L. 1531-1 du CGCT n’imposaient pas que la collectivité ou le groupement actionnaire de la SPL exerce l’intégralité des compétences constituant l’objet social de la SPL. La seule conséquence résultait – selon ce tribunal administratif – de ce que la collectivité ou le groupement en cause ne pouvait pas bénéficier de prestations in-house sur son territoire pour la réalisation d’une compétence qu’il ou elle ne partage pas avec la SPL. A cet égard, le rapporteur public dans cette affaire précisait dans ses conclusions que « rien en revanche dans le texte de loi n’impose que la collectivité souhaitant créer une SPL dispose de l’ensemble des compétences que se donne la future société anonyme et qui figureront dans son objet social »[5].

 

Notons que dans l’affaire présentement commentée, la cour administrative d’appel de Lyon[6] s’était montrée consensuelle : en présence d’une SPL dont l’objet social visait plusieurs activités, la cour avait admis qu'une « collectivité territoriale ou un groupement pouvaient être actionnaires d'une société publique locale à la condition que la partie prépondérante de ses missions n'outrepasse pas le domaine de compétences des collectivités actionnaires ».

 

2.      La lecture stricte opérée par d’autres juges du fond : l’impossibilité d’opter pour une SPL hors le cas de la mise en œuvre d’une compétence partagée entre les actionnaires par la notion « d’intérêt communautaire » ou « métropolitain »

 

Le tribunal administratif de Rennes, dans un jugement du 14 mars 2013[7] a pour sa part adopté une lecture plus stricte de l’article L. 1531-1 du CGCT :

 

« 4. Considérant qu'il ressort des pièces des dossiers que, depuis le 1er janvier 2011, les collectivités membres de la communauté d'agglomération LTA, dont les communes de Ploubezre, de Pleumeur-Bodou et de Ploumilliau et les communes membres des syndicats du Léguer et de la Baie, ont intégralement transféré à cet établissement public de coopération intercommunale la compétence “assainissement collectif et non collectif” ; que ce transfert de compétence fait ainsi obstacle à ce que les collectivités concernées puissent entrer au capital d'une SPL, dont l'objet social s'inscrit dans le cadre de cette compétence transférée, dès lors que cela aurait pour effet de les faire participer, en leur qualité d'actionnaires, aux décisions de la SPL concernant la mise en œuvre de cette compétence en méconnaissance des principes de spécialité et d'exclusivité régissant les transferts de compétences ; que, de même, la communauté d'agglomération LTA, qui ne dispose que de la seule compétence relative à la protection de la ressource en eau, notamment dans le cadre d'actions de restauration et d'entretien des cours d'eau et des zones humides ne peut, pour les mêmes motifs, être actionnaire d'une SPL compétente en matière de gestion de l'eau potable, demeurée de la compétence des communes de Pleumeur-Bodou, Ploubezre, Ploumilliau et des syndicats du Léguer et de la Baie ;

 

 5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que dès lors qu'une collectivité ne peut adhérer à une SPL dont seulement une partie de l'activité relèverait de son champ de compétence, le préfet des Côtes-d'Armor est fondé à demander l'annulation des délibérations litigieuses ; que si le préfet des Côtes-d'Armor demande également l'annulation des actes qui découlent de la création de la SPL LTEau, il n'assortit pas cette demande de précisions suffisantes sur la nature des actes en cause et il appartient, en tout état de cause, aux collectivités concernées de tirer elles-mêmes les conséquences des annulations prononcées par le présent jugement ; »

 

Ainsi, après que le juge rennois se soit fondé sur les principes de spécialité et d’exclusivité qui régissent les transferts de compétence entre communes et EPCI pour considérer qu’une compétence intégralement transférée à un EPCI ne peut être exercée de nouveau par les communes membres via à leur actionnariat dans la SPL, ce dernier a écarté la possibilité pour une commune ou un EPCI d’être actionnaire d’une SPL lorsque la compétence de cette personne publique ne lui permettrait d’exercer qu’une partie de l’activité de ladite SPL.

 

Dans ses conclusions[8] sous le jugement du TA de Rennes, le rapporteur public a d’ailleurs critiqué l’ordonnance rendue par le juge administratif de Lille sur le fondement de la lettre même de la loi qui prévoit expressément que la SPL peut être créée « dans le cadre des compétences qui leur sont attribuées par la loi » :

 

« Nous ne souscrivons pas pour notre part à cette lecture de l'article. Peut-on raisonnablement interpréter le texte comme écartant les règles de compétences des collectivités territoriales et le principe de spécialité des EPCI ? La première phrase de l'article L. 1531-1 ne rappelle-t-elle pas au contraire que la création d'une SPL doit s'inscrire dans le cadre de la compétence de ses membres ? (citation) : « Les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent créer, dans le cadre des compétences qui leur sont attribuées par la loi, des sociétés publiques locales (...) ».

 

S'il était possible à une collectivité locale ou à un EPCI d'être actionnaire d'une SPL dont l'objet excède leurs compétences, ces personnes publiques exerceraient indirectement, en tant qu'actionnaires de la SPL, des compétences qu'ils ne possèdent pas ou plus. Ainsi, par exemple, les représentants des syndicats intercommunaux chargé de la compétence « eau potable » participeraient à des décisions sur la compétence assainissement. De même, les communes membres de la SPL, bien qu'ayant transféré leur compétence « assainissement » à Lannion-Trégor Agglomération, récupéreraient de fait une partie de la gestion de cette compétence.

 

Un tel état du droit aboutirait à brouiller gravement les règles de compétences. Or, ces règles sont essentielles : c'est pour cela qu'elles sont d'ordre public. Elles garantissent en effet un minimun de transparence dans l'action publique. Comment les citoyens, sans ces règles, pourraient-ils déterminer qui est responsable de quoi ? Ce serait encore ajouter à la confusion à laquelle ont conduit les abus de l'intercommunalité

 

(…)

 

Selon nous, les membres d'une SPL doivent posséder chacun toutes les compétences qu'ils attribuent à la société publique locale qu'ils créent ensemble.

 

Cela n'empêche pas une commune et l'EPCI dont elle est membre d'être tous deux actionnaires de la même SPL, dès lors que l'objet social correspond à une compétence partagée entre les deux personnes publiques, comme le relève à juste titre, selon nous, la circulaire du 29 avril 2011 (n° COT/B11/08052/C) relative au régime juridique des SPL. Mais ce cas n'est pas le plus fréquent. Les communes doivent donc en général, pour une compétence déterminée, choisir entre être actionnaires d'une SPL ou membres d'un EPCI. En revanche, les EPCI peuvent former entre eux ou avec des communes extérieures une SPL

 

La circulaire du 29 avril 2011[9] à laquelle le rapporteur public faisait alors référence traitait effectivement de la notion de « compétence partagée » sous le seul prisme de la notion d’intérêt communautaire :

 

« La création d’une SPL ou d’une SPLA entre un EPCI et ses communes membres est possible dès lors que l’objet social se rapporte à une compétence partagée (cf. notion d’intérêt communautaire). A l’inverse, en cas de transfert intégral d’une compétence à un EPCI, il ne peut être constitué une SPL (…) entre l’EPCI et ses communes membres sur ce champ de compétence ».

 

La circulaire précise encore que : « si les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent créer des SPL dans des secteurs variés, elles ne peuvent le faire que « dans le cadre des compétences qui leurs sont attribuées par la loi ». Autrement dit, une collectivité territoriale ne pourra pas faire par une SPL ce qu’elle ne pourrait faire elle-même ».

 

En outre, la Cour administrative d’appel de Nantes[10] a également opté pour l’exercice au sein d’une SPL de compétences partagées :

 

«3. (…) la participation d'une commune et d'un établissement public de coopération intercommunale à une société publique locale, qui a d'ailleurs nécessairement pour effet de leur conférer la qualité d'actionnaire et de leur ouvrir droit à participer au vote des décisions prises par le conseil de surveillance ou le conseil d'administration de la société, n'est possible que lorsque l'objet social de celle-ci se rapporte à une compétence partagée ; que dans l'hypothèse où une commune ou un établissement public de coopération intercommunale n'exerçait pas l'une des compétences sur laquelle porte l'objet social de la société lorsque cette dernière a été créée, les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'il en soit actionnaire ; qu'il en va de même pour l'établissement public de coopération intercommunale lorsque l'objet social de la société porte, notamment, sur des compétences qui ne lui ont pas été transférées ou ne sont pas susceptibles de l'être ;

 

4. Considérant que la société publique locale dont la création a été approuvée par les délibérations en litige a pour objet la réalisation de prestations liées aux services publics d'eau et d'assainissement, comprenant notamment, la production, le traitement, le transport, le stockage et la distribution d'eau potable, la protection de la ressource en eau, le contrôle et la mise en conformité des branchements du réseau d'assainissement collectif, la collecte, le transport et l'épuration des eaux usées ainsi que l'élimination des boues produites ; qu'il est constant qu'à la date à laquelle ces délibérations ont été adoptées, les communes de Ploubezre, de Pleumeur-Bodou et de Ploumilliau et les communes membres des syndicats du Léguer et de la Baie avaient intégralement transféré leur compétence en matière d'assainissement à la communauté d'agglomération Lannion-Trégor agglomération et que cette dernière disposait, en ce qui concerne l'eau, de la seule compétence relative à la protection de la ressource en eau ; que cette répartition des compétences entre la communauté d'agglomération, les deux syndicats de communes et les trois communes faisait obstacle à la création entre elles d'une société publique locale ayant pour objet social la réalisation, au profit de ces collectivités, de prestations portant sur le service de l'eau et sur celui de l'assainissement ; »

 

Ainsi la cour administrative d’appel de Nantes a considéré d’une part que l’actionnariat d’une commune ou d’un EPCI dans une SPL n’était possible que si la SPL visait à réaliser une compétence partagée. D’autre part, elle a également considéré que le transfert intégral de la compétence assainissement et le transfert de la compétence relative à la protection de la ressource en eau des communes membres à leur communauté d’agglomération faisaient obstacle à la création d’une SPL dont l’objet social porterait sur le service de l’eau et de l’assainissement alors même que cette SPL serait composée de communes dessaisies de la compétence assainissement et d’une communauté d’agglomération dont la compétence en matière d’eau était circonscrite à la protection de la ressource en eau. Ce raisonnement appliqué à la compétence « eau » pouvait étonner puisque cette compétence est partagée entre les communes et la communauté qui exerce la compétence « protection de la ressource en eau ». On peut en conclure que la cour administrative d’appel a choisi de circonscrire la notion de compétence partagée à la compétence partagée en vertu de son seul intérêt communautaire.

 

3.      La lecture implacable du Conseil d’Etat : afin d’être régulièrement actionnaire d’une SPL, la collectivité territoriale ou son groupement doit exercer « l’ensemble des compétences sur lesquelles porte l’objet social » de la SPL

 

Le Conseil d’Etat, dans l’arrêt commenté, se prononce enfin: « 4. (…) la participation d'une collectivité territoriale ou d'un groupement de collectivités territoriales à une société publique locale, qui lui confère un siège au conseil d'administration ou au conseil de surveillance et a nécessairement pour effet de lui ouvrir droit à participer au vote des décisions prises par ces organes, est exclue lorsque cette collectivité territoriale ou ce groupement de collectivités territoriales n'exerce pas l'ensemble des compétences sur lesquelles porte l'objet social de la société. »

 

Cette position est justifiée par les principes de spécialité et d’exclusivité évoqués plus haut conformément aux  conclusions sous cet arrêt de Mme le rapporteur public Emmanuelle Cortot-Bouchet : « si une collectivité pouvait participer à une SPL dont l’objet social  excède ses propres compétences, elle prendrait part, en sa qualité d’actionnaire, aux décisions de la SPL concernant la mise en œuvre d’une compétence qu’elle ne détient pas, et « méconnaîtrait ainsi les règles de compétence applicables aux personnes publiques ».

 

Cette solution s’applique évidemment lorsque la SPL exerce plusieurs compétences distinctes (eau et assainissement par exemple) mais également, à notre sens, lorsqu’une compétence est partagée entre plusieurs acteurs soit sur la base de l’intérêt communautaire ou métropolitain, soit en cas de répartition de la compétence entre plusieurs acteurs. Pour ce second cas, on peut citer l’exemple pertinent proposé par M. le Professeur Claude Devès commentant cet arrêt[11], à savoir la répartition de la compétence tourisme entre collectivités et EPCI (dotés – faut-il le rappeler – de la compétence promotion du tourisme[12]) et qui auraient choisi de constituer leur office de tourisme sous la forme d’une SPL[13].

 

Ainsi le Conseil d’Etat impose la constitution de SPL uniquement entre collectivités ou – l’usage de cette conjonction de coordination est inévitable – entre EPCI exerçant la ou les même(s) compétence(s). Ceci étant précisé, nous ne sommes pas plus avancés ! Il conviendra d’examiner au cas par cas l’objet social de chaque SPL, comme le fera la chanceuse cour administrative d’appel de Lyon par renvoi du Conseil d’Etat dans cette affaire et dont la décision est très attendue par les praticiens et les actionnaires des 359 SPL de France et de Navarre.

 

Les SPL s’orientent donc en l’état au mieux vers une cession de leurs part sociales et, au pire, vers une dissolution en cas de paralysie totale de leur activité. Bien plus, la régularité de l’attribution de contrats de la commande publique sans mise en concurrence à une SPL mal constituée au regard de son actionnariat constitue un nid à contentieux[14].

 

Cette insécurité juridique imposait au législateur de revoir sa copie rapidement au risque de mettre fin à l’outil « poison » que constitue désormais la SPL (III).

 

III.             Sur la proposition de loi du 7 février 2019 tendant à modifier l’article L. 1531-1 du CGCT et à remanier l’objet social des SPL [15]

 

Des sénateurs se sont montrés réactifs puisque une proposition de loi tendant à sécuriser l'actionnariat des sociétés publiques locales et des sociétés d'économie mixte, vient d’être déposée devant le Sénat visant notamment à « clarifier », toujours cocasse, l’article L. 1531-1 du CGCT. L’article 1 de la proposition dispose en effet que :

 

« L'article L. 1531-1 du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :

 

1° Le premier alinéa est ainsi rédigé :

 

« Les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent créer des sociétés publiques locales dont ils détiennent la totalité du capital. Aucune collectivité ou groupement de collectivités ne peut participer au capital d'une société publique locale s'il ne détient pas au moins une compétence sur laquelle porte l'objet social de la société. » ;N

 

2° Le deuxième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « Lorsque l'objet de la société publique locale inclut plusieurs activités, celles-ci doivent être complémentaires et chaque actionnaire doit être compétent au moins pour l'une d'entre elles. » ;

 

3° À la première phrase du troisième alinéa, après les mots : « pour le compte de leurs actionnaires », sont insérés les mots : « en ne pouvant réaliser pour chacun d'entre eux que des missions relevant de ses propres compétences ». 

 

Ces « clarifications » visent à circonscrire l’objet social de la SPL aux activités relevant de compétences « complémentaires », notion qui devra en amuser plus d’un lorsqu’il s’agira de remanier l’objet social et l’actionnariat de ces SPL si le législateur, comme à son habitude, légifère sans définir les notions qu’il manipule.

 

On comprend toutefois bien son intention au regard des enjeux : permettre aux SPL de poursuivre régulièrement leur activité tout en mettant fin à l’outil fourre-tout qu’elles ont pu devenir au grand dam de la Cour des Comptes[16] et en méconnaissance des principes que nous venons d’évoquer.

 

Wait and see.

 

Marion Taupenas

Avocat Associé chez Marolleau & Taupenas

 


[1] démontrant au besoin que l’imprécision des contours de certaines compétences partagées imprudemment par le législateur constitue un obstacle pratique à une mise en œuvre efficace, mais nous y reviendrons ci-après

[2] Et les sociétés d’économie mixte locales par ricochet

[3] TA Lilles, 23 mars 2012, n° 1201729

[4] Jugement publié dans la semaine juridique Administrations et Collectivités territoriales, n° 5, 2 février 2015, 2023, Un EPCI peut participer à la création et au capital d’une SPL dès lors qu’il exerce au moins une des compétences dont dispose la société 

[5] Conclusions de M. Philippe Chacot, publiées dans la semaine juridique Administrations et Collectivités territoriales, n° 5, 2 février 2015, 2023,  Un EPCI peut participer à la création et au capital d’une SPL dès lors qu’il exerce au moins une des compétences dont dispose la société

[6] CAA de Lyon, 4 octobre 2016, SEMERAP, n° 14LY02753

[7] TA Rennes, 11 avril 2013, n° 1203243

[8] Conclusions de M. Philippe Bonneville, rapporteur public sous le jugement du TA de Rennes du 11 avril 2013 précité, Les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale ne peuvent faire faire à une société publique locale ce qu'elles ne sont pas compétentes pour faire elles-mêmes, La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 23, 3 Juin 2013, 2164

[9] Relative au régime juridique des SPL et des SPLA

[10] CAA Nantes, 19 septembre 2014, n° 13NT01683

[11] Claude Devès, Les sociétés publiques locales (SPL) au pied du mur des compétences, La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 4, 28 Janvier 2019, 2020

[12] La répartition de la compétence « tourisme » entre ces différents acteurs peut faire l’objet d’un article spécifique, tant le législateur a, une fois n’est pas coutume,  manqué de sens pratique en attribuant la compétence « promotion du tourisme » aux EPCI sans préciser si cette compétence inclut l’accueil et l’information des touristes (transfert aux communautés urbaines et à certaines métropoles par la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles dite loi « MAPTAM » et aux communautés d’agglomération et communautés de communes par la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi « NOTRe »)

[13] Voir en ce sens l’article R. 133-19-1 du code du tourisme

[14] Sur ces deux points, voir l’étude de Michaël Karpenschif, toujours exhaustif, Les nouveaux maux du in house à la française, La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 4, 28 Janvier 2019, 2021

[15] Cette proposition modifie également l’article L. 1531-1 du code général des collectivités territoriales en confirmant qu'une collectivité locale peut prendre des participations dans une SEM dont l'objet social comprend au moins l'une des compétences de cette collectivité, et que les activités relevant de son objet social doivent être « complémentaires »

[16] Pour mémoire, M. le Premier Président de la Cour des Comptes, Didier Migaud, écrivait à M. le Premier Ministre Edouard Phillipe le 15 juin 2017 à propos des « insuffisances du cadre juridique et comptable applicable aux entreprises publiques locales » notamment que « la possibilité de cumuler plusieurs activités a été pleinement utilisée et très au-delà de l’intention initiale. Ainsi, en juin 2016, 57 % des entreprises publiques locales étaient engagées dans une stratégie multi-activités, dont 19 % dans un secteur autre que leur cœur de métier et 31 % de ces entreprises prévoyaient de diversifier leurs activités à court et à moyen terme »