RÉSUMÉ
L'employeur doit protéger la santé les personnes employées dans son entreprise (obligation légale de sécurité), notamment en prévenant les agissements sexistes. Le harcèlement discriminatoire, notamment sexuel, est à prévenir comme tout risque professionnel.
Une salariée (ou un salarié) peut faire l'objet d'un harcèlement sexuel au regard d'un environnement de travail sexiste, sans être directement visée. La salariée (ou le salarié) peut obtenir réparation des préjudices subis.
L'employeur doit réagir de manière efficace et rapide pour faire cesser tout agissement sexiste dans son entreprise (enquête interne pertinente, information-formation de la communauté de travail, prise de sanction, etc.).
TEXTES
Interdiction du harcèlement sexuel (discrimination par harcèlement ou harcèlement discriminatoire)
* Aux termes de l'article L. 1142-2-1 du code du travail, nul ne doit subir d'agissement sexiste, défini comme tout agissement lié au sexe d'une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant.
* L'article 1er de la loi n°2008-496 du 27 mai 2008 dispose :
Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non- appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, son âge, son handicap, son orientation sexuelle ou son sexe, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable. (...)
La discrimination inclut :
1° Tout agissement lié à l'un des motifs mentionnés au premier alinéa et tout agissement à connotation sexuelle, subis par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement hostile, dégradant, humiliant ou offensant ; (...)
Obligation légale de sécurité et de prévention de l'employeur
* Aux termes de l'article L.4121-1 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent : 1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 ; 2° Des actions d'information et de formation ; 3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
FAITS (extraits)
* Sur le harcèlement sexuel
Mme [P] soutient qu'elle a subi un harcèlement discriminatoire à raison des propos sexistes qu'elle a essuyés parce qu'elle était une femme et qui s'inscrivaient dans un harcèlement d'ambiance à caractère sexuel et sexiste qui a porté atteinte à sa dignité et a créé un environnement hostile, dégradant, humiliant et offensant. Elle fait valoir que la dégradation de ses conditions de travail ont nui à son état de santé.
Mme [P] se plaint de pressions et d'un acharnement de son manager à son encontre à la suite de la dénonciation des faits sexistes et de discrimination. Elle fait également valoir qu'elle a subi des représailles pour avoir dénoncé un harcèlement discriminatoire.
Mme [P] se prévaut de propos tenus par M. [S] [G]. Elle soutient que ce dernier appelait l'équipe composée de Mme [R] et d'elle-même 'équipe Tampax' en référence à la marque de protection hygiénique à la suite de la victoire de cette équipe féminine lors du concours interne Hackaton et que cette équipe se verrait remettre une boîte de Tampax en guise de trophée.
Mme [P] invoque également un harcèlement d'ambiance à raison des agissements sexistes d'un groupe de collègues travaillant en open space. Elle verse ainsi aux débats une copie des échanges par mails intervenus entre plusieurs collègues (M. [S] [G], M. [D] [B], M. [Z] [E], M. [T]) à teneur sexuelle et comportant des photographies de femmes pour partie dénudées ou dans des positions suggestives, accompagnées de commentaires graveleux et montrant qu'il existait dans l'entreprise un relâchement de nature à mettre mal à l'aise l'ensemble des femmes de l'équipe dont Mme [P].
Mme [P] produit également un courriel démontrant que, dès 2017, des salariées s'étaient plaintes des images visibles depuis l'écran de M. [G] : 'Certaines de nos voisines de [Localité 3] viennent de m'exprimer leur mécontentement quant à la diffusion de gifs, que je qualifierais de NSFW qu'elles peuvent apercevoir depuis l'habitation de @aurélien.girard...' (NSFW signifiant 'not safe for work' et permettant de désigner un contenu inapproprié).
La proximité matérielle des postes de travail, situés en open space ainsi que la nature du travail effectué sur ordinateur exclusivement, sans qu'à aucun moment la société ne fasse usage, comme l'y autorise la charte relative à l'utilisation des outils informatiques et de communications en vigueur en son sein, de son pouvoir de contrôle des messages, ne permettaient pas à Mme [P] de s'abstraire de cet environnement et d'ignorer les images à caractère sexuel et les propos sexistes échangés portant atteinte à sa dignité de femme - cette situation ayant eu pour conséquence une dégradation de ses conditions de travail et une altération de son état de santé.
En l'état, Mme [P] établit l'existence de propos sexistes et d'agissements à caractère sexiste et sexuel caractérisant un harcèlement d'ambiance à l'égard des femmes qui ont porté atteinte à la dignité de Mme [P] et créé un environnement hostile, dégradant, humiliant et offensant.
* Sur la violation par l'employeur de son obligation légale de sécurité
- Aucun référent en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes tel que prévu à l'article L.2314-1 du code du travail n'avait été désigné par l'employeur.
- La société avait diligenté une enquête à la suite des plaintes de Mme [P] et d'une de ses collègues. Mais l'enquête interne présentait des carences et manquait de rigueur dans la méthodologie de sorte que les éléments invoqués par l'employeur étaient insuffisants pour écarter l'existence d'un harcèlement discriminatoire (l'enquête interne diligentée avait conclu à l'absence de comportement misogyne et discriminant de la part du manager et elle avait écarté toutes les accusations de discrimination et de harcèlement).
- L'employeur ne communiquait aucun élément établissant qu'il avait procédé à un rappel à l'ordre des salariés au comportement inapproprié.
- L'employeur ne démontrait pas avoir accompli de diligences pour saisir le médecin du travail auquel Mme [P] a finalement fait appel elle-même.
DÉCISION
* Par conséquent, le harcèlement discriminatoire dont se plaint Mme [P] est caractérisé.
Le préjudice en résultant pour Mme [P] sera indemnisé à hauteur de 6 000 euros à titre de dommages-intérêts.
La décision des premiers juges sera infirmée à ce titre.
* La société n'établit donc pas avoir rempli son obligation de sécurité et de prévention à l'égard de Mme [P].
Le préjudice en résultant pour la salariée qui a présenté un syndrome d'anxiété réactionnelle sera indemnisé à hauteur de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts.
La décision des premiers juges sera infirmée à ce titre.
* Condamne la société Oodrive à payer à Mme [O] [P] les sommes suivantes :
- 6 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement discriminatoire;
- 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité;
Arrêt - https://www.courdecassation.fr/decision/6746b74a8b82c60b5444b918
DÉCISIONS ANTÉRIEURES
La cour d'appel d'Orléans a considéré qu'un harcèlement sexuel peut « consister en un harcèlement environnemental ou d'ambiance, où, sans être directement visée, la victime subit les provocations et blagues obscènes ou vulgaires qui lui deviennent insupportables » (CA Orléans, 7 février 2017, RG n° 15/02566 https://juridique.defenseurdesdroits.fr/doc_num.php?explnum_id=16139).
La chambre sociale de la Cour de cassation a considéré comme "un comportement fautif constitutif d'une cause réelle et sérieuse fondant le licenciement" le fait que "le salarié avait tenu envers deux de ses collègues, de manière répétée, des propos à connotation sexuelle, insultants et dégradants" (Soc. 12 juin 2024, n° 23-14.292).
BIBLIOGRAPHIE
Michel Miné, Droit des discriminations dans l'emploi et le travail, Larcier, https://www.larcier-intersentia.com/fr/droit-discriminations-emploi-travail-9782390130710.html (spéc. Chapitre 1, Section 6 Harcèlements).
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