Le Parlement européen et le Conseil européen ont adopté le règlement (UE) 2015/760 relatif aux fonds européens d'investissement à long terme  en date du 29 avril 2015 (le « Règlement ELTIF ») afin de doter l’édifice de l’union des marchés de capitaux de sa première pierre. 

S’inscrivant dans le cadre de la stratégie Europe 2020, le Règlement ELTIF fixe le cadre juridique et règlementaire d’un nouveau véhicule d’investissement qui a pour objectif « de lever des capitaux et de les acheminer vers les investissements européens à long terme dans l'économie réelle, conformément à l'objectif de l'Union d'une croissance intelligente, durable et inclusive. ». La Commission européenne a en outre précisé, dans son plan d’action pour la mise en place d’une union des marchés de capitaux en date du 30 septembre 2015, que l’ELTIF a essentiellement pour objet d’investir dans des « projets à long terme (notamment dans les domaines de l’énergie, des transports et des infrastructures de communication; des infrastructures industrielles et de services; et du logement) ».

Ainsi l’ELTIF constitue-t-il la figure de proue de la Commission dans la perspective de se doter d’un label juridique à même de satisfaire les besoin d’investissements à long-terme d’entreprises de portefeuille éligibles (EPE) au sens du Règlement ELTIF. 

Il convient de garder à l’esprit que « ELTIF » est un label et non une nouvelle catégorie d’organismes de placement collectif. Les avantages dont bénéficieront les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs éligibles qui auront sollicité ce label sont multiples : d’une part, attirer des investisseurs de détail en leur permettant d’orienter leur épargne vers des stratégies d’investissement jusqu’alors réservée aux investisseurs institutionnels et d’autre part bénéficier d’un passeport commercialisation unique pour les investisseurs de détail et les investisseurs institutionnels, quoi que le régime applicable diffère sur un certain nombre de points, tels l’exigence d’un Document d’Information Clé pour les Investisseurs (DICI) et la désignation d’un dépositaire conforme à la Directive OPCVM, en présence d’investisseurs de détail. 

Si l’objectif est attrayant, reste à déterminer si le succès des ELTIF ne dépendra pas pour les investisseurs de détail des régimes fiscaux plus ou moins favorables mis en place par les Etats membres témoignant du paradoxe d’une réception inégale d’un règlement unioniste d’application directe et entière dans les législations nationales. 

De même, pour certaines catégories d’investisseurs institutionnels, des ajustements semblent nécessaires. 

La nécessité d’un réajustement de l’impact de la Directive Solvabilité II sur le Règlement ELTIF 

L’entrée en vigueur de la Directive 2009/138/CE du Parlement Européen et du Conseil en date du 25 novembre 2009 sur l’accès aux activités de l’assurance et de la réassurance et leur exercice (« Directive Solvabilité II ») pourrait brider l’ambition économique des rédacteurs du Règlement ELTIF en exigeant des entreprises d’assurance un renforcement quantitatif et qualitatif de leurs fonds propres. C’est d’ailleurs ce qu’a constaté M. Fabrice Demarigny dans son rapport pour le ministre des Finances et des Comptes publics rendu en mai 2015, dont la première recommandation est d’aménager certaines de ces exigences posées par la Directive Solvabilité II.

Prenant acte de ce potentiel frein au développement du projet d’UMC, dont l’ELTIF constitue le produit d’appel, la Commission a, en date du 30 septembre 2015, ajouté une disposition au sein de l’Article 168(6) du Règlement Délégué 2015/35 afin que les actions détenues au sein d’un ELTIF constituent des actions de catégorie 1 (Type 1 equities), entrainant l’application d’un facteur de risque plus faible pour les besoins du calcul du SCR. La Commission précise que ce nouveau calibrage des investissements dans les ELTIFs permet d’harmoniser leur traitement avec celui appliqué aux fonds d’investissement de capital-risque européen (FICRE, ou EuVECA en anglais) et aux fonds d’entrepreneuriat social européen (FESE, ou EuSEF en anglais). 

Il n’en demeure cependant pas moins que le potentiel risque de rupture de l’égalité entre les investisseurs de l’ELTIF est patent, en ce que le Pilier III issu de la Directive Solvabilité II fait peser sur les assureurs une obligation de publication d’informations clés relatives notamment au profil de risque et à la performance de leurs investissements opérés avec les fonds collectés de leurs assurés. Il en résulte que cette catégorie d’investisseur professionnel au sein d’un ELTIF devra avoir accès à des informations plus détaillées et régulières que celles fournies habituellement aux investisseurs de détails et autres investisseurs professionnels, au mépris du principe d’égalité entre actionnaires et d’éventuelles clauses pari passu relatives à l’information financière des sociétés cibles. 

De la réception du Règlement ELTIF en droit français

S’il est acquis que le Règlement ELTIF est applicable immédiatement et directement en droit français dès le 9 décembre 2015, se pose premièrement la question de savoir comment le législateur et l’Autorité des Marchés Financiers (« AMF ») adapteront ces dispositions à celles du Code monétaire et financier (« CMF ») et du Règlement Général de l’AMF. A cet égard, il est envisageable de considérer plusieurs options.

Si une entité ad hoc satisfaisant aux conditions du Règlement ELTIF pourrait être créée en vue de lui conférer le monopole de labélisation « ELTIF », le risque d’échec de l’ELTIF en France serait avéré. Nécessairement similaire à la société d’investissement à capital fixe (SICAF) puisque par essence fermée, les « ELTIF » risqueraient de ne pas rencontrer plus de succès que cette dernière.

L’autre l’option, à notre sens la plus envisageable, consisterait à adapter le régime juridique applicable à certains FIA français tels que les fonds professionnels spécialisés (FPS), les organismes de titrisation (OT) ou les fonds professionnels de capital investissement (FPCI). 

Reste néanmoins que  si le Règlement ELTIF prévoit expressément la faculté d’admettre les parts ou actions d’un ELTIF aux négociations sur un marché réglementé ou un système multilatéral de négociation, le décret du 30 janvier 2014 exclue les FPCI, les fonds de fonds alternatifs, les fonds professionnels à vocation générale, les FPS et les fonds d’épargne salariale (FES) du champ d’application de l’article D. 214-32-31 du CMF, de sorte que ces fonds ne peuvent, en l’état actuel de la législation, admettre leurs parts ou actions sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation. Une harmonisation avec le Règlement ELTIF sur ce point sera donc souhaitable, spécialement concernant les FPCI et FPS.

Règlement ELTIF et monopole bancaire français

L’applicabilité directe du Règlement ELTIF en droit français induit ensuite la question de la compatibilité de la faculté de l’ELTIF d’octroyer des prêts. 

En effet, l’article L. 511-5 du CMF interdit à toute personne, autre qu’un établissement de crédit ou une société de financement, d’effectuer notamment des opérations de crédit à titre onéreux et habituel. 

Pourtant, le Règlement ELTIF prévoit la faculté pour l’ELTIF d’accorder des prêts à condition que :

la maturité du crédit ainsi consenti n’excède pas la durée de vie de l’ELTIF ;
le crédit soit exclusivement accordé à une EPE ;
l’ELTIF n’investisse pas plus de 10% de son capital dans les titres d’une seule EPE ; et
que l’ELTIF n’emprunte pas pour prêter, aucun effet de levier n’étant possible.

Dans sa Consultation Publique, l’AMF souligne à cet égard que si l’article L. 511-6 du CMF pose une exemption au monopole bancaire au bénéfice des OPCVM et de certains FIA, ce n’est qu’au titre de l’acquisition de créances non échues (équivalent à l’octroi d’un crédit pour la jurisprudence) et en aucun cas à prêter directement ni à procéder à de l’origination de prêts. 

Dans ces conditions, l’AMF souligne à juste titre que « si la forme juridique du fonds choisie en droit national ne permet pas de consentir des prêts, le fait d’être agréé ELTIF ne lui permettra pas d’en consentir car l’organisme de placement devra cumuler les contraintes du règlement européen et du droit français. ». 

C’est d’ailleurs pour cela que l’AMF considère que les FPS, OT et FPCI « seraient les seuls fonds qui pourraient octroyer des prêts. Ces fonds devraient être fermés aux rachats ou limiter les rachats à une part des actifs, définie préalablement dans leur prospectus ».

La lecture de la consultation publique invite à s’interroger sur les conditions à mettre en œuvre tant au niveau des sociétés de gestions qui pourront solliciter ce label, que des FIA qui seront éligibles mais également sur l’encadrement des prêts qui pourront être octroyés. 

S’agissant des sociétés de gestion, le message de l’AMF est clair : « l’autorisation pour une société de gestion d’octroyer des prêts devra s’accompagner de la définition précise d’obligations fortes tant en termes d’organisation, de moyens humains et techniques, d’expertise (analyse risque crédit notamment) et d’expérience des personnes impliquées au sein des sociétés de gestion ». S’il est proposé de ne pas créer un agrément spécifique mais d’ajouter des contraintes supplémentaires à l’agrément « créance », une question reste ouverte : les contraintes supplémentaires doivent-elles être différentes selon que la société de gestion souhaite sélectionner des créances ou consentir des prêts ? Si l’on comprend aisément la nécessité de contraintes supplémentaires par rapport à l’activité traditionnelle qu’opérait les sociétés de gestion dans le cadre de l’agrément « créance » par rapport aux nouvelles possibilités d’originer ou de prêter, il est en revanche moins évident d’appréhender la distinction entre originer et prêter. En effet, dans le cadre de la simple acquisition de créances non échues, ces dernières avaient de facto fait l’objet d’une analyse crédit par un établissement de crédit. Tel ne sera pas le cas pour l’origination et le prêt, raison pour laquelle il paraît cohérent d’imposer aux sociétés de gestion de disposer de compétence spécifique en la matière dans le cadre de l’agrément « créance » version ELTIF.

S’agissant des FIA éligibles, si les FPS, OT et FPCI semblent privilégiés, il n’en reste pas moins que l’AMF laisse ouverte la possibilité pour les autres organismes de placement collectifs mentionnés au Chapitre IV du livre II du CMF d’octroyer des prêts lorsque cela est explicitement mentionné dans la liste des actifs qui leur sont éligibles et de clarifier le possibilité pour des fonds d’investissement, qui ne sont pas constituées sous forme de sociétés commerciales, de consentir des prêts participatifs.
Enfin s’agissant des prêts, la proposition actuelle recoupe certaines caractéristiques des prêts à l’économie (durée minimale d’au moins de deux ans notamment) tout en excluant la nécessité de bénéficier d’une qualité de crédit suffisante. Reste à déterminer si cette proposition sera maintenue notamment si elle ne crée pas une distorsion de concurrence entre différentes catégories de prêteurs, ELTIF et assureurs. 

Ainsi le Règlement ELTIF reflète-t-il les ambitions de l’Union européenne de renouer avec une croissance « intelligente, durable et inclusive », constituant la première pierre de l’édifice de l’union des marchés de capitaux qui, pour nobles qu’elles soient, risquent de se heurter à des obstacles juridiques – surmontables – et fiscaux, source d’inégalités entre les Etats membres tuant dans l’œuf cette volonté de marché de capitaux unique. 

Reste à la France à tirer l’épingle de son jeu en proposant une fiscalité adéquate voire avantageuse afin d’attirer les investisseurs de détail dans un fonds fermé par nature…