L'assurance-vie est le premier moyen d'épargne en France. Selon France assureur, les encours des contrats d’assurance-vie atteignaient 1 842 milliards d’euros à la fin décembre 2022. L'assurance en cas de vie est avant tout utilisée comme placement, l'assuré pouvant être lui-même le bénéficiaire du contrat. Les contrats d'assurance-vie sont régis par le code des assurances, notamment les articles L131-1 et L132-1 et suivants.

Les bénéficiaires de contrats liquidés au moment du décès bénéficient d'une exonération de droits de succession. Bien que l’assurance-vie échappe à la succession, elle n’échappe pas, évidemment, aux litiges qui peuvent en découler.

A travers un récent arrêt, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation confirme que l’assureur n’a pas pour obligation de divulguer au notaire, en l’absence d’une demande explicite, l’existence des contrats d’assurance sur la vie, souscrits par le défunt (Civ. 1re, 13 avr. 2023, F-B, n° 21-20.272).

Dans le cas examiné, une notaire était chargée des opérations de liquidation de la succession de Madame M., veuve, décédée le 6 mars 2014. La notaire était en relation avec l'assureur, mais n'avait pas formellement interrogé ce dernier quant à l'existence de contrats d'assurance-vie souscrits par la défunte. En vertu de ses obligations légales, l'assureur avait contacté les bénéficiaires afin de les informer de cette situation. Cependant, le bénéficiaire, Monsieur E, qui était par ailleurs sous curatelle, n'avait pas pris connaissance des courriers envoyés par l'assureur et ignorait donc l'existence de ces contrats.

Plus tard, Monsieur E, désigné en tant que légataire universel, avait reçu de l'administration fiscale une proposition de rectification concernant trois contrats d'assurance-vie, auxquels la défunte l'avait désigné comme bénéficiaire. En effet, le majeur protégé n'avait pas déclaré le produit de ces assurances-vie dans le délai légal de six mois, déclaration pourtant exigée selon les dispositions de l'article 292 A de l'annexe 2 du code général des impôts. Accompagné de sa curatrice, Madame I, il a donc intenté une action en responsabilité et en indemnisation pour le préjudice subi consécutivement à cette rectification à l'encontre de la notaire et de la SCP notariale, qui ont ensuite appelé en garantie la société Sogecap (l'assureur).

Dans un arrêt rendu le 10 juin 2021, la Cour d’appel de Douai condamne l’assureur ainsi que la notaire et la SCP notariale.

Cependant, l'assureur conteste cette décision et forme un pourvoi en cassation. Il reproche à l'arrêt rendu de le condamner solidairement avec la notaire et la SCP notariale à garantir l'intégralité des condamnations prononcées à leur encontre, à hauteur de 50 %.

Dans un arrêt rendu le 13 avril 2023, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation se penche sur la question de la responsabilité de l'assureur en cas de non-communication des bénéficiaires d'un contrat d'assurance-vie au notaire.

  1. L’absence de responsabilité de l’assureur

 

  1. L’absence de coopération entre l’assureur et le notaire

En premier lieu, l'assureur soutient que même s'il est informé du décès du souscripteur d'un contrat d'assurance-vie, il n'est pas tenu d'informer le notaire chargé de la succession de l'existence de ce contrat, à moins d'une demande expresse de ce dernier dans le cadre de ses démarches visant au règlement de la succession.

Il convient de rappeler que l’assurance-vie échappe au rapport à la masse successorale, autrement dit elle n’entre pas dans la succession. Pour rappel l’article L. 132-12 du code des assurances précise que le capital ou la rente « ne font pas partie de la succession de l’assuré », il permet donc au capital ou la rente de ne pas être soumis aux règles du rapport et de la réduction. Cette règle est valable pour les primes versées par le de cujus, à moins qu’elles n’aient été manifestement exagérées au regard de ses capacités financières.

L'assureur souligne qu'il n'avait légalement aucune autre obligation que celle de rechercher les bénéficiaires des contrats souscrits par Madame M. et de les informer de la stipulation effectuée en leur faveur. Il estime donc que la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil, dans sa rédaction applicable en l'espèce (nouvel article 1240 du Code civil), ainsi que l'article L. 132-8 du Code des assurances et l'article 292 A de l'annexe II du Code général des impôts.

Rappelons que la recherche des bénéficiaires est justifiée par la lutte contre les contrats d’assurance-vie en déshérence qui découle en grande partie de la loi Eckert n° 2014-617 du 13 juin 2014. Les contrats d’assurance vie en déshérence, « non réclamés » ou « non réglés » désignent les contrats dont les capitaux n’ont pas été versés au bénéficiaire lors du décès de l’assuré ou, en cas de vie de l’assuré, aux termes du contrat, et sont conservés par les assureurs. Depuis décembre 2007, les assureurs devaient déjà vérifier chaque année que les assurés n’étaient pas décédés. La loi Eckert a permis de renforcer un cadre déjà existant et vise à réduire les cas de déshérence des contrats.

Pour rappel, qu’importe que le souscripteur de l’assurance vie soit vivant ou décédé, un contrat « non réclamé » depuis plus de 10 ans donne lieu à un transfert du solde à la Caisse des Dépôts (article L. 132-27-2 du Code des assurances).

Comme le relève la Cour de cassation dans sa décision, l’assureur n’était pas tenu de porter à la connaissance du notaire, qui ne lui en avait pas fait la demande, l’existence des contrats d’assurance sur la vie souscrits par la de cujus.

En effet, aucun texte ne prévoit donc une obligation de communication au notaire par l’assureur. Dès lors que ce dernier a effectivement rempli ces obligations, sa responsabilité ne peut être engagée.

La Cour de cassation en déduit donc que la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a par conséquent violé les textes susvisés.

  1. L’obligation d’informer le bénéficiaire du contrat d’assurance vie

L’assureur rapporte qu’il avait par courriers adressés à l’ensemble des héritiers de Mme. M, bénéficiaires des contrats d’assurance-vie souscrits par cette dernière, un dossier complet comportant notamment la demande de règlement des capitaux-décès à compléter par le bénéficiaire, ainsi que le certificat à adresser à l’administration fiscale afin de s’acquitter des droits de succession dus, en informant les héritiers de ce qu’ils étaient bénéficiaires « d’un contrat d’assurance sur lequel des versements ont été effectués à compter du soixante-dixième anniversaire de l’assurée ».

L’assureur appuie alors son argumentaire sur la lettre adressée par l’association Ariane, chargée de la curatelle de M. E, à l’administration fiscale pour solliciter une remise gracieuse des intérêts de retard, « qu’il n’avait pas connaissance du fait qu’il était bénéficiaire de ces contrats d’assurance-vie, puisque, du fait de sa pathologie il n’avait pas ouvert les courriers qui ont été envoyés par la Sogecap ».

La Cour souligne qu’il résulte de l’article L. 132-8, dernier alinéa, du code des assurances que, lorsqu’il est informé du décès de l’assuré, l’assureur est tenu de rechercher le bénéficiaire d’un contrat d’assurance sur la vie et, si cette recherche aboutit, de l’aviser de la stipulation effectuée à son profit, et L. 292 A, alinéa 2, de l’annexe II du code général des impôts (dans sa rédaction issue du décret n° 92-468 du 21 mai 1992), qu’il est tenu, sur la demande des bénéficiaires, de leur communiquer la date de souscription de tels contrats et le montant des primes versées après le soixante-dixième anniversaire de l’assuré.

De surcroît, elle relève que la curatrice de M. E attestait que celui-ci n’avait pas ouvert les courriers que lui avait adressés l’assureur, ce qui constitue une négligence de sa part.

La responsabilité civile de l’assureur ne pouvait donc être engagée. Cette décision peut se fonder sur deux raisonnements. Soit les juges ont identifié une négligence de la victime, donc une faute qui devient exonératoire de responsabilité pour l’assureur ; soit ils ont tout simplement considéré qu’il n’y avait pas de faute de l’assureur, dès lors que ce dernier a accompli les diligences nécessaires pour informer le bénéficiaire de l’assurance-vie de ses droits.

 

  1. La responsabilité du notaire
     
  1. Le manquement au devoir de conseil du notaire

Tout d’abord le notaire fondait son appel en garantie de l’assureur sur l’article L. 132-8 du code des assurances, dont le dernier alinéa prévoit que « lorsque l’assureur est informé du décès de l’assuré, l’assureur est tenu de rechercher le bénéficiaire du contrat d’assurance-vie en cas de décès, et, si cette recherche aboutit, de l’aviser de la stipulation effectuée à son profit ».

Malheureusement cet argument est inopérant puisque comme précisé ci-dessus, l’assureur a bel et bien recherché les bénéficiaires du contrat d’assurance-vie puis a, conformément à ses obligations légales, adressé un courriel à ces derniers. Malheureusement l’intéressé n’avait pas ouvert ces derniers. Par ailleurs l’assureur n’est pas tenu d’informer de facto le notaire qui n’en aurait pas fait la demande.

La notaire alléguait ensuite avoir interrogé l’établissement bancaire du de cujus afin de se procurer la liste des contrats d’assurance-vie souscrits, la banque ayant, pour ces derniers, renvoyés vers une de ses filiales. La filiale avait informé de l’existence de contrats d’assurance-vie mais n’avait pas précisé l’identité des bénéficiaires (étant noté que le notaire affirmait avoir formulé une demande expresse en ce sens, la filiale quant à elle déclarait n’avoir jamais reçu le courrier en cause…).

En somme, la Cour d’appel note que la notaire n’a pas correctement mené ses investigations ce qui a conduit le majeur protégé a ignoré les incidences fiscales de l’omission de l’assurance-vie dans la déclaration de succession à l’administration fiscale. La Cour d’appel engage donc la responsabilité du notaire pour manquement au devoir de conseil.

Au regard des faits et du droit, la Cour de cassation a donc refusé de retenir la faute de l’assureur et a cassé l’arrêt d’appel qui confirmait l’appel en garantie en revanche, la responsabilité du notaire a été confirmée.

Pour rappel, le devoir de conseil correspond à la mission qu’ont les notaires d’éclairer leurs clients sur le contenu et les effets des engagements qu’ils ont souscrits. Il réside en un avertissement donné aux parties sur la meilleure façon d’exercer leurs droits et sur les conséquences de cet exercice. Le devoir de conseil contrairement au devoir d’authentification, ne possède aucune définition légale. Aucun texte n’indique précisément les obligations du notaire. Le devoir de conseil a progressivement été défini par la jurisprudence. Il convient de noter que le notaire n’est pas exonéré de la responsabilité qui découle de cette obligation bien qu’un conseiller personnel (avocat, fiscaliste, architecte, notaire, etc.) soit présent au côté du client. En effet, le devoir de conseil est un devoir absolu que le notaire doit à ses clients, et ce, quelles que soient leurs compétences juridiques et personnelles.

  1. Limites et questionnements relatifs à la décision

La solution donne lieu à diverses interrogations.

Il est vrai que la notaire a commis une faute et par conséquent n’a pas rempli correctement son devoir de conseil ce qui a eu de nombreuses conséquences en cascades pour son client. Les juridictions se sont donc montrées fermes sur ce point afin de favoriser la protection des clients.

Cependant, il est possible de regarder la décision sous un angle critique. N’est-elle pas extrême sachant que l’assurance-vie est hors succession et que la communication sur cette dernière doit être faite par l’assureur aux héritiers ?

Par ailleurs, peut-on réellement reprocher au notaire de ne pas s’être informé sur l’assurance-vie, dès lors qu’il a demandé expressément communication des informations à la société mère (l’établissement bancaire), et que la filiale (l’assureur) a ultérieurement été tenue au courant de l’existence de la succession, sans avoir communiqué d’informations supplémentaires au notaire ?

On peut également se demander si le notaire est fautif lorsqu’il ne s’est pas renseigné sur un contrat d’assurance-vie qui échappe à la succession dont il est saisi ?

S’il l’est, l’assureur ne devrait-il pas être astreint à lui communiquer les informations requises, pour permettre au notaire d’exécuter correctement son devoir de conseil ? Par ailleurs bien que l’assureur n’y soit pas légalement tenu, ne devrait-il pas communiquer les informations au notaire afin de faciliter la détermination des bénéficiaires ?

Doit-on envisager à l’avenir un texte législatif qui donnerait lieu à une collaboration entre notaire et assureur ?

 

Sources :

  • Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 13 avril 2023, 21-20.272 : https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000047454841?isSuggest=true
  • Commentaire par Antoine Touzain, L’assureur n’a pas à prendre l’initiative de communiquer au notaire l’existence de contrats d’assurance-vie, Civ. 1re, 13 avr. 2023, F-B, n° 21-20.272, le 11 mai 2023 (Dalloz Actualités)
  • Article L. 132-12 du Code des assurances :

https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006793004/2020-12-02

https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000042855030

  • Loi du 13 juin 2014 dite loi Eckert :

https://www.gouvernement.fr/argumentaire/loi-sur-les-comptes-bancaires-inactifs-comment-ca-marche

CA Rouen, 1re ch. civ., 26 janv. 2022, n° 20/01484 (Perte de chance)

Cass. 1re civ., 28 nov. 1995, n° 93-15.659 (Revirement de jurisprudence – Compétences personnelles du client)

Cass. 1re civ., 10 juill. 1995 : Bull. civ. I, n° 312, arrêt n° 2 ; Resp. civ. et assur. 1995, comm. 332 (Présence d’un conseiller)

  • Jeanne de Poulpiquet - Actualisé par Philippe Pierre- « Art. 1240 à 1245-17 - Fasc. 420-30 : Notaire – Devoir de conseil » - Date de la dernière mise à jour : 1er Juillet 2022 (Lexis)