Lorsqu’une grande figure publique disparaît, l’émotion collective laisse parfois place à une réalité plus terre-à-terre : celle du règlement de sa succession. Le décès d’Alain Delon, survenu le 18 août 2024, n’a pas échappé à cette règle. Derrière les hommages à l’icône du cinéma français, ses trois enfants – Anthony, Anouchka et Alain-Fabien – s’affrontent désormais autour de l’héritage laissé par leur père.

Au centre des tensions, un testament rédigé en 2022, qui attribuerait à Anouchka Delon le droit moral exclusif sur l’œuvre de son père, ainsi qu’une donation touchant la société Alain Delon International Distribution, gestionnaire des droits d’image et d’auteur de l’acteur. Estimant que ces dispositions ont été arrêtées alors que la lucidité d’Alain Delon était déjà altérée, Alain-Fabien a saisi la justice pour en demander l’annulation.

Cette affaire familiale et médiatique illustre parfaitement les enjeux juridiques liés à la contestation d’un testament en droit français. Car si chacun est libre de prévoir la répartition de ses biens après sa mort, cette liberté connaît des limites. Encore faut-il que la volonté exprimée soit valide juridiquement et respecte les droits des héritiers.

Dès lors, l’examen du cas Alain Delon offre un prisme intéressant pour comprendre les conditions dans lesquelles un testament peut être annulé, et plus largement, les équilibres recherchés entre le respect des dernières volontés du défunt et la protection de ses descendants.

 

 

I – Les fondements juridiques de l’annulation d’un testament

 

A – Le principe de liberté testamentaire et ses limites

Le droit français reconnaît à toute personne majeure, saine d’esprit, la liberté de rédiger un testament pour organiser la transmission de tout ou partie de ses biens après son décès. Cette liberté est encadrée par plusieurs règles, dont notamment :

Cependant, cette liberté est conditionnée à la capacité juridique du testateur au moment de l’acte. C’est précisément sur ce point que se focalise la contestation engagée par Alain-Fabien Delon, qui soutient que son père n’était pas en état de discernement suffisant en 2022 pour comprendre la portée des actes qu’il signait.

Ainsi, même si un testament est rédigé dans les formes légales, il peut être annulé a posteriori si des vices de fond sont démontrés.

 

B – Les causes de nullité d’un testament

Le Code civil prévoit plusieurs motifs de nullité d’un testament, classés en deux grandes catégories : les nullités de forme et les nullités de fond.

 

1. Nullités de forme :

Elles concernent le non-respect des règles juridiques de rédaction d’un testament :

  • Pour un testament olographe : il doit être entièrement écrit, daté et signé de la main du testateur.

 

  • Un testament authentique doit être dicté devant notaire, en présence de témoins.

 

  • Le testament mystique : c’est une formule originale extrêmement rare par laquelle le testateur remet solennellement à un notaire un document en déclarant qu’il s’agit de son testament. Le notaire constate cette remise et cette déclaration dans un acte dénommé procès-verbal de suscription (Code civil, art. 976). Ce testament peut avoir été rédigé avec l’aide du notaire. Il bénéficie comme le testament authentique reçu par le notaire d’une confidentialité et d’une sécurité absolue. Il peut être inscrit au Fichier central des dernières volontés ;
  • Le testament international : s’il existe un élément d’extranéité (nationalité différente du domicile par exemple) le testament, pour être exécutable dans tous les pays liés par les conventions relatives aux testaments internationaux, pourra être établi par un notaire en présence de deux témoins (L. n° 94-337, 29 avr. 1994).

Une irrégularité dans ces éléments peut entraîner l’annulation du testament.

 

2. Nullités de fond :

Elles concernent la capacité du testateur au moment de la rédaction, ou encore l’existence de pressions ou manipulations :

Altération des facultés mentales (démence, maladie neurologique, affaiblissement cognitif…).

Violence morale, abus de faiblesse, ou encore manœuvres frauduleuses exercées sur le testateur.

L’influence excessive d’un héritier, parfois qualifiée de captation d’héritage.

Dans le cas d’Alain Delon, l’avocate d’Alain-Fabien avance précisément un défaut de discernement de l’acteur au moment du testament de 2022. Il s’agirait donc d’une nullité de fond, si les juges estiment que l’acteur n’était plus capable de prendre une décision éclairée.

 

II – L’illustration des conditions d’annulation dans l’affaire Alain Delon

 

A – Le testament de 2022 et la notion de discernement

Le testament rédigé en 2022 est au cœur du conflit. Contrairement au testament de 2015, qui partageait la fortune en respectant la réserve héréditaire (50 % pour Anouchka, 25 % pour chacun des deux fils), celui de 2022 octroierait à Anouchka le droit moral exclusif sur l’œuvre de son père.

Le droit moral, bien qu’extrapatrimonial, a une valeur symbolique et économique importante, notamment pour une personnalité publique. En contestant cette clause, Alain-Fabien remet en cause non seulement la répartition des droits, mais aussi la lucidité de son père au moment de la signature.

Selon sa défense, l’état de santé d’Alain Delon en 2022 alors âgé de 87 ans était incompatible avec un acte de disposition clair et volontaire. S’il est prouvé que le testateur souffrait de troubles cognitifs, le tribunal pourrait considérer que le testament est nul pour défaut de consentement.

Ce point fait écho à une jurisprudence constante : un testament peut être annulé si une altération des facultés mentales est médicalement prouvée, y compris sans mise sous tutelle ou curatelle préalable.

 

B – Donation d’entreprise et éventuel abus de faiblesse

Outre le testament, Alain-Fabien conteste également une donation réalisée au profit de sa sœur Anouchka, concernant la société Alain Delon International Distribution.

Cette entreprise gère les droits patrimoniaux et d’image de l’acteur, et sa transmission pourrait représenter une part importante de l’héritage culturel et financier.

Si la donation est jugée comme ayant été faite dans un contexte de fragilité psychique du père, et que la sœur est perçue comme ayant exercé une influence dominante (notamment en raison d’une préférence paternelle affirmée publiquement), cela pourrait constituer un abus de faiblesse.

Ce motif, inscrit à l’article 223-15-2 du Code pénal, peut être invoqué en droit civil pour faire annuler un acte juridique, notamment une donation.

Là encore, le juge devra évaluer si le consentement du défunt a été vicié, ou si la bénéficiaire a profité de la vulnérabilité du testateur.

 

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Sources :

  1. Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 25 septembre 2013, 12-25.160, Publié au bulletin - Légifrance
  2. Cour de cassation, Assemblée plénière, 17 janvier 2025, 23-18.823, Publié au bulletin - Légifrance
  3. Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 6 mars 2013, 12-17.360, Publié au bulletin - Légifrance
  4. Article 223-15-2 - Code pénal - Légifrance