La succession, qui désigne la transmission du patrimoine d’une personne décédée à ses héritiers, obéit à des règles juridiques différentes selon les pays. En France et en Allemagne, bien que certaines similitudes existent, des divergences subsistent, notamment concernant la réserve héréditaire, la loi applicable à la succession et les droits du conjoint survivant. Depuis l’application du règlement européen n° 650/2012, dit « Règlement Successions », (1) les successions à dimension internationale sont désormais encadrées par des règles communes au sein de l’Union européenne, visant à harmoniser leur traitement.

1. Le cadre européen : le Règlement (UE) n° 650/2012

Depuis le 17 août 2015, les successions comportant un élément international (comme une personne vivant ou possédant des biens dans plusieurs pays de l’UE) relèvent du règlement européen n° 650/2012. Ce règlement permet d’appliquer une seule loi successorale à l’ensemble de la succession dans l’Union européenne, évitant ainsi les conflits de lois et la compétence de juridictions multiples. Il vise à simplifier et unifier les règles applicables aux successions internationales.

1.1. Critère principal : la résidence habituelle du défunt

La loi applicable à une succession présentant un élément international est, en principe, déterminée selon le critère de la résidence habituelle du défunt au moment de son décès, conformément au règlement européen n° 650/2012. Ce critère vise à établir un ancrage réel et significatif entre le défunt et un État donné.

La notion de résidence habituelle ne se limite pas à une simple présence physique ou administrative dans un pays. Elle implique un lien étroit, stable et durable avec l’État concerné. Ce lien se mesure à travers plusieurs éléments : la durée de séjour, la régularité de la présence, les conditions de vie, les motivations personnelles ou professionnelles ayant conduit le défunt à y résider, ainsi que l’éventuelle intention de s’y établir durablement.

Ce critère permet ainsi d’identifier l’État dont la législation successorale sera applicable dans son ensemble, ce qui contribue à éviter les conflits de lois et la fragmentation des successions internationales.

1.2. Exceptions et choix de loi (professio juris)

Dans certaines situations exceptionnelles (par exemple, expatriés alternant entre plusieurs pays, décès peu après l’installation dans un nouvel État), la loi de la résidence habituelle peut être écartée au profit de la loi de l’État présentant des liens manifestement plus étroits avec le défunt.

Par ailleurs, le défunt peut choisir la loi de l’un des États dont il possède la nationalité (professio juris), ce qui permet une certaine liberté de planification successorale.

1.3. Application universelle

La loi désignée s’applique à l’ensemble de la succession, qu’il s’agisse de biens immobiliers ou mobiliers, situés dans un ou plusieurs pays.

2. La succession en France

2.1. La réserve héréditaire

En France, la réserve héréditaire protège certains héritiers proches du défunt : les descendants (enfants, petits-enfants) ou, à défaut de descendants, le conjoint survivant. La réserve héréditaire est la part de la succession qui doit obligatoirement revenir à ces héritiers, le reste étant la quotité disponible dont on peut librement disposer.

 

Sont héritiers réservataires : — les descendants ; — en l'absence de descendants, le conjoint successible. [...] Les libéralités soit par acte entre vifs soit par testament ne pourront excéder la moitié des biens du disposant s'il ne laisse à son décès qu'un enfant ; le tiers s'il laisse deux enfants, le quart s'il laisse trois ou un plus grand nombre selon l’article. 913 du Code civil (2).

 

En l’absence de descendants, le conjoint survivant bénéficie d’une réserve d’un quart (C. civ., art. 914-1)(3).  

 

La protection de la réserve est assurée par la technique de la réduction : si les libéralités (donations ou legs) excèdent la quotité disponible, elles sont réduites à la demande des héritiers réservataires.

 

2.2. Droits du conjoint survivant

Le conjoint survivant peut prétendre à une part de la succession, soit au titre de la réserve, soit au titre d’une quotité disponible spéciale (notamment en usufruit). Le conjoint survivant peut bénéficier d'une quotité disponible spéciale. En présence de descendants, les époux pourront opter soit pour le disponible ordinaire (1/2, 1/3 ou 1/4 en propriété), soit pour une quotité de 1/4 en propriété et de 3/4 en usufruit ou pour la totalité de l'usufruit (C. civ., art. 1094-1) (4).

2.3. Calcul de la réserve et action en réduction

La réserve est calculée à l’ouverture de la succession, après réunion fictive des biens donnés du vivant du défunt. L’action en réduction doit être intentée dans les cinq ans à compter du décès, ou dans les deux ans suivant la découverte de l’atteinte à la réserve, sans jamais dépasser dix ans.

3. La succession en Allemagne

3.1. Droit applicable

En Allemagne, comme en France, le règlement européen n° 650/2012 s’applique pour déterminer la loi successorale en cas de succession internationale. La loi de la dernière résidence habituelle du défunt s’applique en principe, sauf choix exprès d’une autre loi nationale par le défunt.

3.2. Réserve héréditaire (Pflichtteil)

Le système allemand connaît également la réserve héréditaire (« Pflichtteil »), mais son mécanisme diffère du système français. En Allemagne, seuls les enfants, le conjoint et, à défaut, les parents du défunt bénéficient d’un droit à une part minimale, mais ce droit prend la forme d’une créance pécuniaire, et non d’un droit direct sur les biens de la succession.

 

3.3. Droits du conjoint survivant

Le conjoint survivant bénéficie d’une part successorale définie par la loi, qui peut être augmentée d’un quart en raison du régime matrimonial légal allemand (communauté différée des acquêts, « Zugewinngemeinschaft »). En cas de décès, si l'époux survivant est héritier il bénéficie : - indépendamment du régime matrimonial, d'une part successorale lui revenant en application du droit successoral de l'époux survivant (§ 1931 BGB) (5) ; - du fait du régime matrimonial légal allemand, d'une augmentation de la part successorale à hauteur d'un quart (§ 1371 (1) BGB) (6).

Cette augmentation a une nature successorale, ainsi que l’a jugé la CJUE, et relève donc du règlement européen sur les successions.

 

4. Comparaison France – Allemagne

Aspect

France

Allemagne

Réserve héréditaire

Descendants et conjoint (à défaut de descendants) ; quotités définies strictement ; action en réduction

Pflichtteil : créance pécuniaire pour proches (enfants, conjoint, parents dans certains cas)

Quotité disponible

Variable selon le nombre d’enfants (voir tableau ci-dessus)

Le reste du patrimoine, après paiement du Pflichtteil

Droits du conjoint survivant

Réserve ou quotité disponible spéciale, usufruit possible

Part successorale majorée si régime légal allemand (augmentation de ¼)

Loi applicable à la succession

Résidence habituelle ou professio juris (loi nationale)

Idem (règlement européen)

Nature du droit des réservataires

Droit direct sur une part de la succession

Droit à une créance monétaire (Pflichtteil)

5. Particularités fiscales et certificats successoraux

5.1. Fiscalité successorale

La fiscalité des successions diffère également entre la France et l'Allemagne, notamment quant aux abattements et aux taux applicables. De plus, la CJUE a jugé que certaines différences de traitement fiscal en cas de succession transfrontalière pouvaient constituer une violation du principe de libre circulation des capitaux.  

 

Un Etat membre manque aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 63 TFUE en adoptant et en maintenant en vigueur des dispositions législatives selon lesquelles, lors de l'application des droits de succession et de donation en ce qui concerne un immeuble situé en Allemagne, il n'est accordé qu'un abattement moins élevé si le défunt, à la date de son décès, ou le donateur, à la date à laquelle il effectue la donation, et le bénéficiaire, à la date du fait générateur de l'impôt, résidaient dans un autre Etat membre, alors qu'un abattement considérablement plus élevé est octroyé si l'une au moins des deux parties résidait en Allemagne auxdites dates. (CJUE 4 septembre 2014 aff. 211/13, 3e ch., Commission européenne c/ République fédérale d'Allemagne) (7).  

5.2. Certificat successoral européen

Le règlement européen n° 650/2012 a introduit le certificat successoral européen, un outil destiné à faciliter la preuve de la qualité d’héritier, de légataire ou d’exécuteur testamentaire dans l’ensemble des États membres de l’Union européenne. Ce certificat, délivré en France par les notaires, simplifie l’exercice des droits successoraux à l’échelle européenne. Le décret d’application prévoit les ajustements nécessaires pour permettre sa reconnaissance, sa force exécutoire et sa mise en œuvre, tout en harmonisant les procédures applicables aux successions transfrontalières depuis le 17 août 2015.

Conclusion

La succession en France et en Allemagne est désormais largement encadrée par le règlement européen n° 650/2012, qui pose le principe d’une loi successorale unique fondée sur la résidence habituelle du défunt ou, sur option, sur la loi nationale. Malgré cette unification, des différences fondamentales subsistent, notamment dans la protection des héritiers réservataires, la quotité disponible, le rôle du conjoint survivant et la fiscalité applicable.

Il est essentiel, en présence d’éléments transfrontaliers, d’anticiper la question de la succession et, le cas échéant, de consulter un professionnel pour organiser au mieux la transmission du patrimoine conformément à la volonté du défunt et à la législation applicable.

 

SOURCES :

  1. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32012R0650
  2. https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043982288
  3. https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006433720
  4. https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006435800
  5. https://www.gesetze-im-internet.de/bgb/__1931.html
  6. https://www.gesetze-im-internet.de/bgb/__1371.html
  7. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX%3A62013CJ0211