Faire appel à un prestataire extérieur pour la création d’un site internet n’est pas sans risque et il est nécessaire d’être vigilant, notamment au moment de la réception du site. L’occasion de se pencher sur un arrêt du 16 novembre 2020 rendu par le tribunal de commerce d’Aix-en-Provence. Cette décision nous apporte des détails quant à la valeur de la réception tacite d’un site internet.

Les faits à l’origine du litige sont les suivants : une société commercialisant des costumes a fait appel à un prestataire pour la création d’un site internet. Les travaux de développement du site commencent et des échanges entre prestataire et client sont réalisés. Lors de la réception du site internet le client, mécontent, décide de ne pas régler les sommes dues à la livraison dudit site. Cependant, il ne conteste alors pas la conformité du site développé aux demandes initiales.

S’en suit un long conflit entre prestataire et client, qui débouche sur une action du client en résolution du contrat pour manquement aux engagements contractuels du développeur. Le tribunal de commerce d’Aix-en-Provence considère alors que l’absence de contestation à la réception du site internet valait acceptation tacite du client, de nature à empêcher son action en résolution fondée sur les manquements du prestataire. Le client est donc condamné à payer les sommes dues au prestataire, sans que des dommages-intérêts ne soient prononcés.

Il est intéressant de rappeler la nécessaire proactivité du client, notamment au moment de la livraison du site (I), mais également que l’assignation en justice est subordonnée à une contestation préalable (II).

I - LA RÉCEPTION TACITE D’UN SITE INTERNET : UNE POSSIBLE ACCEPTATION SANS RÉSERVE DU SITE

A - LES RISQUES LIÉS À LA RÉCEPTION TACITE DE SITE INTERNET

             La réception tacite est une création prétorienne. Elle est source de beaucoup de contentieux. La réception est en effet un point cardinal du projet de développement d’un site internet. Car la réception met fin à la relation contractuelle et engage le client commanditaire à payer la prestation. Cette étape de la réception est donc très importante puisqu’elle fonde toute action en garantie ultérieure.

L’appréciation de la réception dépend de l’appréciation souveraine des juges du fond. Il s’agit alors de déterminer quelle était l’intention du client au moment de la réception du site internet : avait-il volonté d’accepter sans réserve le site, car celui-ci lui convient ? Au contraire, son silence valait-il refus de livraison et contestation ?

Comme discuté lors du projet de réforme du droit des obligations (qui a donné lieu à la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018), le silence est une notion éminemment complexe à laquelle chacun peut se raccrocher pour développer une analyse juridique. Le Code civil prévoit ainsi désormais en son article 1120 que « le silence ne vaut pas acceptation, à moins qu'il n'en résulte autrement de la loi, des usages, des relations d'affaires ou de circonstances particulières »

Néanmoins, dans l’arrêt précité du 16 novembre 2020 (tribunal de commerce d’Aix-en-Provence), les juges déboutent le client de ses demandes en estimant que la réception tacite valait acceptation du site sans réserves.

L’enjeu est de taille puisque la réception tacite du site internet purgera les vices inhérents au site internet : le client ne pourra plus agir sur ce fondement pour intenter une action en responsabilité. La réception tacite couvre donc les erreurs contractuelles du développeur. Le client sera contraint de payer un nouveau développement ou une modification du site internet. Engendrant de nouveaux coûts.

On peut raccrocher à cette décision, un autre arrêt rendu par le tribunal de commerce de Paris le 7 octobre 2020. Cette décision développe des pistes à suivre quant au comportement à adopter dans les relations entre le client et son prestataire, dans le cadre du développement d’un site internet.

 

B - LA NÉCESSITÉ D’UN COMPORTEMENT PROACTIF 

             La nécessité d’un comportement proactif dans le développement d’un site internet est un critère mis en exergue par les juridictions. Afin de développer une analyse propre aux comportements à adopter en matière de réception tacite de sites internet, les tribunaux ont pu se fonder sur un contentieux bien connu en jurisprudence : celui de la réception tacite d’ouvrage dans le domaine de la construction.

Au fil des années, la Cour de cassation a en effet mis en lumière plusieurs critères permettant d’apprécier la réception tacite d’un ouvrage par un maître d’oeuvre. La volonté non équivoque du maître d’oeuvre de recevoir les travaux peut ainsi résulter de la prise de possession de l’ouvrage.  Cela recouvre le cas dans lequel le maître d’oeuvre réceptionne le bâtiment et y installe par exemple des équipements. A contrario donc, l’absence de prise de possession ne parlait pouvoir fonder une réception tacite sans réserve. Le paiement intégral des travaux peut aussi apparaître comme un élément permettant de caractériser la volonté non équivoque de réceptionner l’ouvrage et donc, une acceptation tacite (Civ. 3ème, 30 janv. 2019 n° 18-10.197). Ces critères sont appréciés souverainement par les juges qui peuvent les combiner et leur en adjoindre de nouveaux.

En matière de site internet, les tribunaux semblent cependant plus sévères. L’arrêt précité du 16 novembre 2020 (tribunal de commerce d’Aix-en-Provence) en est un bon exemple. La Cour retient que la simple non-contestation à la réception du site internet vaut acceptation tacite. C’est dire l’importance du comportement : si le commanditaire ne réagit pas suite à la livraison du site, il perdra la possibilité de contester la conformité au contenu contractuel.

Il ressort du second arrêt précité (7 oct. 2020, tribunal de commerce de Paris), qu’il peut apparaître nécessaire d’établir un cahier des charges. Ce document doit être précis et regrouper les exigences du commanditaire. Cela induit un formalisme accru, mais le gain n’en sera que supérieur au moment éventuel d’intenter une action en responsabilité. Les juges n’auront qu’à comparer le cahier des charges avec le site internet livré.  Il apparaît avant tout nécessaire de contrôler à la livraison, la conformité du site internet à ces exigences. Il s’agit d’agir prudemment et de manière précise, car l’absence de réserve à la livraison semble fonder une acceptation tacite. Pour cela, il peut être utile d’utiliser les services d’un notaire, qui pourra rédiger un acte, ou d’utiliser les services d’un avocat en matière d’audit de site internet.

Le commanditaire doit ainsi être proactif avant la commande, en établissant un cahier des charges précis, mais également pendant la réalisation du site internet et surtout à la livraison, en accomplissant une analyse complète du site et le cas échéant en formulant des réserves.

 

II - LA NÉCESSITÉ DE CONTESTER AVANT D’ASSIGNER

A - LA CONTESTATION AVANT L’ASSIGNATION

             Un autre apport de l’arrêt rendu le 16 novembre 2020 par le tribunal de Commerce d’Aix-en-Provence porte sur le plan procédural. L’attendu précise ainsi que la non-contestation à la réception empêche une assignation pour manquements aux engagements contractuels. C’est-à-dire que non seulement le client doit notifier au prestataire les irrégularités au moment de la livraison du site internet, mais qu’il doit également le faire avant toute action en responsabilité.

Pour cela, le tribunal de commerce fonde notamment son jugement sur la force obligatoire de l’article 1103 du Code civil et la nécessaire mise en demeure préalable de l’article 1231 du Code civil. En effet, l’article 1103 du Code civil dispose : « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ». L’article 1231 du Code civil quant à lui précise que : « à moins que l'inexécution soit définitive, les dommages et intérêts ne sont dus que si le débiteur a préalablement été mis en demeure de s'exécuter dans un délai raisonnable ». Le débiteur étant, dans le cas présent, le prestataire développeur de site internet. Le créancier étant le client. Le délai raisonnable est apprécié une nouvelle fois par les juges du fond. L’inexécution définitive peut être définie comme un empêchement définitif ne permettant pas aux parties de poursuivre l’exécution du contrat. Ce peut être par exemple, un cas de force majeure.

L’article 1344 du Code civil précise que la mise en demeure doit en outre comporter : une sommation ou interpellation suffisante du débiteur, un délai raisonnable permettant au débiteur de s’exécuter ainsi que la mention de la menace d’une sanction juridictionnelle. Cette mise en demeure peut être notifiée par voie de signification ou lettre missive. Attention, il est important de mentionner également le fait que certains contrats prérédigés peuvent contenir des clauses précisant que la seule exigibilité des obligations contractuelles vaudra mise en demeure d’exécuter. Cela oblige le client comme le prestataire à exécuter leurs obligations (développer le site et payer le prix) dès qu’elles ont été remplies.

La lecture de ces articles éclaire donc la philosophie de la jurisprudence en matière de réception tacite : il est nécessaire de respecter avant tout le lien contractuel (article 1103 du Code civil). C’est-à-dire de respecter son partenaire contractuel et procéder par étapes. L’acceptation ou la présentation de réserves à la livraison d’abord. Une notification du manquement contractuel au prestataire ensuite. Et enfin une assignation si les manquements constatés ne sont pas régularisés par le prestataire. En effet, à défaut de ces précautions, le prestataire risque de ne pouvoir obtenir les modifications souhaitées après la livraison voir à devoir payer l’intégralité des sommes dues sans satisfaction totale.

 

B - UN NÉCESSAIRE ENCADREMENT DES MODALITÉS DE RÉCEPTION DU SITE INTERNET

             Afin d’éviter tout litige portant sur la réception d’un site internet en développement, il paraît important d’encadrer les modalités de réception. Ainsi, dans le contrat de développement, il s’agirait de préciser les modalités de réception et surtout d’introduire une possibilité de contrôle au moment du paiement.

Dans l’affaire du 16 novembre 2020 (tribunal de commerce d’Aix-en-Provence) en effet, le contrat de développement était au forfait. Le développement au forfait signifie que le prestataire ne devait respecter que les demandes initiales du client et les demandes successives entrées dans le champ contractuel au cours du développement. Cependant, sans précision quant aux modalités de réception du site internet, le prestataire n’avait pas l’obligation de satisfaire aux demandes de rectification du client au moment de la réception du site internet. De ce fait, le prestataire était dégagé de sa responsabilité quant à la réception finale du site internet.

Il paraît être ainsi judicieux d’encadrer contractuellement et préalablement les modalités de livraison du site internet, surtout quant aux modalités de rectification. Il pourrait également être mis en place un système de paiement partiel à échéances préétablies en fonction de l’avancement du développement, avec une régularisation finale au moment de la livraison, subordonnée à une analyse du travail effectué. Ainsi, le client prend le maximum de garanties sur le travail de développement et se couvre sur le plan des garanties possibles et applicables. Cette sécurité permet ainsi de développer un site internet avec plus de sécurité.

Par ailleurs, le comportement du commanditaire est très important. De son comportement, ne doit pas transparaître une volonté d’acceptation si une analyse du site n’a pas été effectuée.

 

SOURCES :

-    ARRÊT DU 16 NOVEMBRE 2020 RENDU PAR LE TRIBUNAL DE COMMERCE D’AIX-EN-PROVENCE : https://www.legalis.net/jurisprudences/tribunal-de-commerce-daix-en-provence-jugement-du-16-novembre-2020/

-    LOI N° 2018-287 DU 20 AVRIL 2018 RATIFIANT L'ORDONNANCE N° 2016-131 DU 10 FÉVRIER 2016 PORTANT RÉFORME DU DROIT DES CONTRATS, DU RÉGIME GÉNÉRAL ET DE LA PREUVE DES OBLIGATIONS : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000036825602/

-    ARTICLE 1120 DU CODE CIVIL : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGIARTI000032040861/2016-10-01/

-    CIV. 3ÈME, 30 JANV. 2019 N° 18-10.197 : https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000038112083/

-    Arrêt du 7 octobre 2020, tribunal de commerce de Paris : https://www.doctrine.fr/d/TCOM/Paris/2020/KFV574DBB4873314D5F667A

-    Article 1103 du Code civil : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006436088/1804-02-17

-    Article 1231 du Code civil : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGIARTI000032010123/2016-10-01/

-    Article 1344 du Code civil : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000032042162/

-    Article 1231 du Code civil : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGIARTI000032010123/2016-10-01/

-    Article 1103 du Code civil : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006436088/1804-02-17

-    Sur l’inexécution définitive : https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/assemblee_pleniere_22/avis_avocat_general_8723.html