La mise à disposition gratuite d'un logement n'en finit pas de nourrir une jurisprudence abondante et appelle un conseil approprié pour éviter qu'un contentieux naisse à l'heure de faire les comptes.

L'un des fils du défunt avait bénéficié (pendant presque 45 ans... !) de la mise à disposition gratuite de la partie d'une maison dont il avait la nue-propriété avec son frère. Pour autant, il reprochait à la cour d'appel de dire qu'il avait bénéficié d'un avantage indirect et qu'il devait rapporter à la succession la somme de 261 536,49 €. Pour étayer son argumentation, il tentait de faire valoir que pour être rapportable, l'avantage indirect doit avoir causé un appauvrissement au de cujus qui, selon lui, n'était pas établi en l'espèce sitôt que les loyers que le défunt aurait été susceptible de percevoir excédaient le coût des travaux indispensables à la mise en location et les intérêts de l'emprunt qu'il aurait dû souscrire pour les financer.

La Cour de cassation repousse la démonstration et rejette le pourvoi : « ayant relevé que, depuis janvier 1971, [le défunt] avait consenti à [son fils] l'usage gratuit de la partie d'une maison dont [il] avait conservé l'usufruit et dont celui-ci était nu-propriétaire avec son frère, et retenu qu'il n'était pas démontré que cet immeuble n'était pas, à cette époque, en état d'être mis en location, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations et appréciations rendaient inopérante, a légalement justifié sa décision ».

C'est bien à celui qui prétend qu'il n'y a pas eu d'appauvrissement d'en rapporter la preuve. Néanmoins, plutôt que de débattre de l'absence d'appauvrissement (difficile à concevoir pour qui a mis à disposition gratuite un logement pendant presque un demi-siècle...), il aurait sans doute été préférable de tenter, ici, de mobiliser un autre argument en invoquant l'absence de transfert d'un droit patrimonial qui, dans un arrêt de 2017, avait permis de retenir que « le prêt à usage constitue un contrat de service gratuit, qui confère seulement à son bénéficiaire un droit à l'usage de la chose prêtée mais n'opère aucun transfert d'un droit patrimonial à son profit, notamment de propriété sur la chose ou ses fruits et revenus, de sorte qu'il n'en résulte aucun appauvrissement du prêteur ».

L'argument n'ayant pas été invoqué, on se gardera de toute surinterprétation même si l'on aurait pu espérer qu'il le soit car, comme cela fut pronostiqué, on aurait pu s'attendre à ce qu'à l'appui de cette jurisprudence « tous les plaideurs de France se mettent à soutenir l'existence d'un commodat pour bénéficier à leur tour d'un enterrement immédiat de toute idée de libéralité ».

L'arrêt livre un autre enseignement pour le droit des libéralités (sur ses aspects relatifs au droit des biens, Q. Guiguet-Schielé : Dalloz actualité, 11 mars 2022), cette fois sur la manière dont l'indemnité de rapport doit être calculée lorsque le bénéficiaire du prêt à usage cumule la qualité de locataire, auquel sa position d'occupant l'assimile, avec celle de nu-propriétaire. Par une subtile articulation des articles 843, 605 et 1720 du Code civil, la Cour de cassation retient que l'indemnité de rapport était « égale aux loyers qui auraient dû être payés si les lieux avaient été loués, après déduction du seul montant des réparations et frais d'entretien incombant normalement à [l'usufruitier] ».

La Cour de cassation apporte dans l'arrêt du 2 mars 2022 de précieux éclairages concernant deux délicates difficultés liquidatives pour ceux qui doivent procéder au partage (les notaires principalement) : l'avantage indirect (I) et la créance de gestion de l'indivision (II).

 

  1. L'avantage indirect

 

  1. Qualification de l'avantage indirect

On sait que depuis un revirement de jurisprudence, la Cour de cassation est devenue stricte quant à la qualification de donation indirecte en cas de mise à disposition gratuite d'un logement, comme en l'espèce. Alors que jusque-là, l'avantage indirect constitué par la mise à disposition gratuite d'un bien pouvait être rapportable, même sans intention libérale, elle estime depuis que le rapport n'étant dû que des libéralités, l'intention libérale doit être, dans cette hypothèse, dûment caractérisée.

Ce n'est cependant pas sur ce terrain, celui de l'élément moral de l'avantage indirect, que le frère occupant contestait en l'espèce son existence, mais sur celui de son élément matériel. Ayant effectué d'importants travaux qu'il estimait indispensables à un usage des lieux à titre d'habitation permanente, il faisait valoir que l'appauvrissement ne pouvait être caractérisé que si les loyers que la défunte aurait été susceptible de percevoir avaient pu excéder le coût des travaux à effectuer et les intérêts de l'emprunt qu'elle aurait dû souscrire pour les financer.

Pour le dire autrement, l'héritier occupant considérait, d'un côté, que l'usufruitière aurait dû financer lesdits travaux avant d'envisager toute mise à bail du bien ; or leur coût équivalait, selon lui toujours, aux possibles loyers perçus, de sorte que la mise à bail aurait été une opération nulle pour l'usufruitière (qui ne se serait donc ni enrichie ni appauvrie). D'un autre côté, l'héritier occupant avançait que la mise à disposition gratuite du bien à son bénéfice constituait aussi une opération nulle pour l'usufruitière : elle ne s'était certes pas enrichie des loyers, mais ne s'était pas appauvrie du montant des travaux.

La Cour de cassation estime qu'« il n'était pas démontré que cet immeuble n'était pas, à cette époque, en état d'être mis en location ». En refusant de reconnaître la nécessité des travaux avant toute mise à bail du bien, la Cour de cassation ruine les fondations du raisonnement tenu par le pourvoi. Si de tels travaux n'étaient pas nécessaires, alors l'usufruitière se serait enrichie des loyers perçus en cas de mise à bail du bien et s'est donc bien appauvrie en ne les percevant pas du fait de la mise à disposition gratuite à l'héritier occupant. Dès lors, l'avantage indirect est caractérisé et doit être rapporté à la succession.

 

  1. Montant de l'indemnité de rapport

C'est alors sur le calcul du montant à rapporter que s'est cristallisé le débat. Il n'était pas contesté que le montant dû devait correspondre au montant total des loyers non perçus du fait de la mise à disposition gratuite. En revanche, le pourvoi soutenait que devait venir en déduction de cette somme le montant de l'ensemble des réparations et travaux que le fils occupant avait effectués et qui auraient incombé à sa mère en tant que « bailleresse » aux termes de l'article 1720 du Code civil.

Pour rejeter ce moyen, la Cour de cassation se fonde sur les articles 843, 1720, alinéa 2 et 605 du Code civil dont elle rappelle les termes. Plus précisément, le deuxième texte invoqué dispose que le bailleur est tenu de faire, pendant toute la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives.

Selon le troisième, l'usufruitier est tenu des réparations d'entretien et le propriétaire des grosses réparations. Or l'application de ces textes peut mener à des résultats très différents selon la manière dont on analyse les faits de l'espèce. Ainsi la défunte peut être tout à la fois considérée comme l'usufruitière, tenue seulement des dépenses d'entretien ou la « bailleresse » tenue de toutes les réparations nécessaires autres que locatives. Inversement, le fils occupant en tant que nu-propriétaire est tenu des grosses réparations, sauf à considérer qu'il n'est tenu que des dépenses locatives en tant que « locataire ».

La Cour de cassation décide que le fils occupant « en ce qu'il cumulait les devoirs d'un locataire, auquel sa position d'occupant l'assimilait, et les obligations issues de la nue-propriété de l'immeuble, ne pouvait réclamer à l'usufruitière le remboursement des travaux qui, tout en constituant des réparations autres que locatives mises à la charge du bailleur par l'article 1720 du Code civil, relevaient du domaine des grosses réparations imputées au nu-propriétaire par l'article 605 du même code. ». En d'autres termes, sont à la charge du fils occupant à la fois les réparations locatives (en tant qu'occupant assimilé à un locataire) et les réparations autres que locatives constituant de grosses réparations (en tant que nu-propriétaire).

Dès lors, toutes ces dépenses ne pouvaient venir en déduction du montant total des loyers non perçus, seul le montant des réparations ou frais d'entretien effectivement à la charge de la défunte pouvait l'être, comme l'avait justement décidé la cour d'appel (« Elle en a exactement déduit que celui-ci était tenu d'une indemnité de rapport égale aux loyers qui auraient dû être payés si les lieux avaient été loués, après déduction du seul montant des réparations et frais d'entretien incombant normalement à l'usufruitière ».

S'il n'a pas obtenu satisfaction sur le terrain de l'indemnité de rapport dont il est bien débiteur, le demandeur au pourvoi obtient gain de cause sur celui de la créance de gestion d'indivision dont il n'est pas débiteur cette fois-ci.

 

  1. L'indemnité de gestion de l'indivision

 

  1. Conditions de l'indemnité de gestion de l'indivision

Selon l'article 815-12 du Code civil, « l'indivisaire qui gère un ou plusieurs biens indivis a droit à la rémunération de son activité, dans les conditions fixées à l'amiable, ou, à défaut, par décision de justice ». Il est enseigné qu'une telle rémunération suppose que l'indivisaire accomplisse des actes de gestion relatifs à l'indivision et qu'il dispose d'un titre de gérant (Albiges Chr., Rép civ., Vo Indivision : régime légal, spéc. no 120). La cour d'appel avait accordé, en l'espèce, au frère non occupant deux indemnités de gestion de l'indivision, l'une pour la période antérieure au décès de sa mère et l'autre pour la période postérieure à ce décès. Le pourvoi contestait cependant que les conditions de telles indemnités soient remplies.

 

  1. Les indemnités de gestion

 

  1. Indemnité de gestion de l'indivision antérieure au décès de la mère

Le frère de l'occupant a demandé et obtenu devant la cour d'appel une indemnité de gestion de l'indivision, pour la période antérieure au décès de sa mère, période pendant laquelle il était nu-propriétaire indivisaire avec son frère occupant, alors que leur mère était encore usufruitière du bien. Plus précisément, il estimait avoir accompli des actes de gestion en effectuant des travaux d'entretien, et ce en vertu d'un mandat tacite qui lui conférait un titre de gérant.

La Cour de cassation ne se laisse pas duper par ce raisonnement. En effet, comme elle le rappelle, selon l'article 815-3 du Code civil, « si un indivisaire prend en main la gestion des biens indivis, au su des autres et néanmoins sans opposition de leur part, il est censé avoir reçu un mandat tacite, couvrant les actes d'administration ». Néanmoins, ce mandat tacite est donné uniquement pour les actes de gestion de l'indivision. Or en accomplissant des travaux d'entretien, le fils n'a pas accompli de tels actes, mais a assumé la charge de réparations d'entretien qui revenaient à sa mère, usufruitière en vertu de l'article 605 du Code civil, déjà cité.

C'est ce qui explique que la Cour de cassation décide qu'« il n'existe pas d'indivision entre l'usufruitier et le nu-propriétaire dont les droits sont de nature différente, de sorte que [le frère non occupant] ne pouvait avoir reçu mandat de son coïndivisaire en nue-propriété d'accomplir des travaux d'entretien incombant à l'usufruitière ». D'une certaine manière, le frère de l'occupant avait tout faux ! Si le frère de l'occupant a effectué des travaux et qu'il estime ne pas devoir en supporter la charge, il lui incombe de déterminer la personne tenue de la contribution à la dette et d'agir contre elle sur un fondement pertinent.

En présence d'un usufruitier, contributeur à la dette, et alors qu'il est nu-propriétaire, il ne pouvait pas invoquer les règles de l'indivision à l'encontre de l'usufruitier puisque leurs droits ne sont pas de même nature et qu'il en résulte une absence d'indivision. Tant l'idée de mandat que d'indemnité de gestion sont alors hors de propos. Autrement dit, dès lors qu'il n'y avait ici ni acte de gestion de l'indivision ni titre de gérant, l'indemnité de gestion de l'indivision antérieure au décès de la mère n'était pas due.

 

  1. Indemnité de gestion de l'indivision postérieure au décès de la mère

De la même manière, le frère non occupant avait obtenu une créance de gestion de l'indivision existant entre lui et son frère, cette fois-ci pour la période postérieure au décès de sa mère. Pour justifier sa solution, la cour d'appel a relevé qu'il « a réalisé des travaux d'entretien sur des biens en indivision avec son frère ». Cette fois-ci, puisqu'il est question des rapports entre propriétaires, le droit de l'indivision pouvait être sollicité. Ce n'est donc pas sur ce terrain que l'arrêt d'appel va être cassé.

La Cour de cassation va en effet estimer que la cour d'appel n'a pas relevé d'actes caractérisant la gestion des biens indivis postérieurement au décès privant ainsi sa décision de base légale. C'est dire que la cour d'appel de renvoi pourra retenir à son tour une créance de gestion de l'indivision si les faits le lui permettent, sans qu'il s'agisse d'un arrêt de résistance ou de rébellion : il faudra simplement veiller à mieux motiver la décision et à faire apparaître les éléments établissant ladite gestion de l'indivision, justifiant une indemnisation.

 

Sources :

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000045308924?isSuggest=true

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000035807088?init=true&page=1&query=16-21.419&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000025183046?init=true&page=1&query=09-72.542&searchField=ALL&tab_selection=all