Afin de tenter d’éclairer les libéraux inquiets à l’issue du discours de lundi soir du Président de la République (qui n’a pas une seule fois mentionné les libéraux !), j’ai analysé, dans l’urgence, les règlements (décrets et arrêtés) publiés jusqu’au 17 mars inclus à propos du « Covid-19 », précédemment nommé « Coronavirus ». J’en ai recensé 17 au total.

 

Outre ceux qui interdisent les rassemblements, ordonnent des réquisitions (de masques notamment), se modifient les uns les autres ou prévoient une entrée en vigueur immédiate, il est intéressant de noter que :

 

- le Décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 portant règlement des déplacements (imposant de se munir d’une attestation) autorisent ceux « pour motif de santé », de sorte que, le cas échéant, des patients peuvent théoriquement circuler pour consulter un professionnel ou auxiliaire de santé ;

 

- l’Arrêté du 14 mars sur les diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, dans sa version modifiée par celui 16 mars 2020, prévoit à l’article 7 que des boîtes de masques de protection peuvent être distribuées gratuitement par les pharmaciens d’officine aux professionnels de santé suivants, en fonction de leur rang de priorité (lequel a évolué entre le 14 et le 17 mars) :

  • médecins,
  • infirmiers,
  • pharmaciens,
  • masseurs-kinésithérapeutes,
  • chirurgiens-dentistes,
  • prestataires de services et distributeurs de matériel mentionnés à l'article L. 5232-3 du code de la santé publique,
  • les services d'accompagnement social, éducatif et médico-social qui interviennent à domicile en faveur des personnes âgées, enfants et adultes handicapés prévus aux 2°, 6° et 7° de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles, ainsi que les aides à domicile employées directement par les bénéficiaires,

dont on peut déduire que les libéraux exerçant ces professions ne semblent pas être invités à cesser leur activité ;

 

- l’Arrêté du 14 mars sur les diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19, dans sa version applicable au 17 mars, n’interdit pas au public les cabinets des professionnels libéraux ;

 

- le Décret n° 2020-73 du 31 janvier 2020, modifié par celui n° 2002-277 du 9 mars 2020, permet aux « assurés  [faisant ] l’objet d’une mesure d’isolement, d’éviction ou de maintien à domicile ainsi que ceux qui sont parents d’un enfant de moins de seize ans faisant lui-même l’objet d’une telle mesure et qui se trouvent, pour l’un de ces motif, dans l’impossibilité de continuer à travailler » de bénéficier du paiement d’indemnités journalières (comme s’ils bénéficiaient d’un arrêt de travail classique), et ce, sans délai de carence, pendant une période maximale de 20 jours ou durant la durée de la fermeture de l’établissement scolaire. Il est prévu que l’arrêt maladie pourrait être dressé par le médecin de la caisse de sécurité sociale pour être transmis à l’employeur, sans qu’il soit nécessaire de respecter le parcours de soins en consultant le médecin traitant. Enfin, en l’état actuel du texte, cette mesure ne pourra être mise en œuvre au-delà du 30 avril 2020.

A cet égard, il convient de souligner que ce dispositif ne profite qu’à certains assurés sociaux (les salariés, les travailleurs salariés ou non des professions agricoles et certains indépendants) puisque sont exclus (cf. L. 622-1 du CSS) ceux affiliés aux régimes d’assurance vieillesse et invalidité-décès des professions libérales (cf. article L. 640-1 du CSS) ou à la CNBF (cf. article L. 651-1 du CSS), à savoir :

  • les médecins, étudiants en médecine autorisés à réaliser des remplacements, chirurgiens-dentistes, maïeuticiens, pharmaciens, auxiliaires médicaux (c’est-à-dire les infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, pédicures-podologues, ergothérapeutes, psychomotriciens, orthophonistes, orthoptistes, manipulateurs d'électroradiologie médicale, audioprothésistes, opticiens-lunetiers, prothésistes, orthésistes et diététiciens), psychothérapeutes, psychologues, ostéopathes et chiropracteurs ;
  • les notaires, huissiers de justice, personnes ayant la qualité de commissaire-priseur judiciaire ou habilitées à diriger les ventes dans les conditions prévues à l'article L. 321-4 du code de commerce, syndics ou administrateurs et liquidateurs judiciaires, agréés, greffiers, experts devant les tribunaux, experts automobiles, personnes bénéficiaires de l'agrément prévu par l'article L. 472-1 du code de l'action sociale et des familles, courtiers en valeurs, arbitres devant le tribunal de commerce, experts-comptables et agents généraux d'assurances ;
  • les architectes, architectes d'intérieur, économistes de la construction, géomètres, ingénieurs-conseils et maîtres d'œuvre ;
  • les artistes non mentionnés à l'article L. 382-1 et les guides conférenciers ;
  • les vétérinaires ;
  • les moniteurs de ski (titulaires d'un brevet d'Etat ou d'une autorisation d'exercer mettant en œuvre son activité dans le cadre d'une association ou d'un syndicat professionnel, quel que soit le public auquel ils s'adressent), les guides de haute montagne et les accompagnateurs de moyenne montagne ;
  • les avocats (à la Cour ou aux Conseils).

Ainsi, sauf à ce que ces indépendants exclus aient souscrit un contrat d’assurance prévoyance – avec une compagnie d’assurance privée – qui garantirait ce risque, ces derniers ne pourront bénéficier du régime dérogatoire instaurer par le Décret précité. Il conviendra de vérifier, contrat par contrat, si les stipulations des différents contrats d’assurance le permettent (quand bien même il semble peu probable que cette éventualité soit couverte contractuellement).

 

- à ce jour, aucun texte n’a été publié à propos des mesures de soutien aux entreprises (notamment aux libéraux), il a seulement été annoncé que :

  • des délais de paiement seraient accordés s’agissant des échéances sociales (URSSAF) et fiscales (impôts), étant rappelé que :

                 - aucun prélèvement ne devrait être opéré par l’URSSAF le 20 mars, 

                 - le paiement de cette échéance devrait être lissée entre avril et décembre,

                 - des délais de paiement pourront être demandés à l’URSSAF sans majoration, ni pénalité,

                 - des ajustements de l’échéancier pourront être appliqués pour tenir compte de la baisse du chiffre d’affaires,

                 - les prélèvements d’impôt peuvent dès maintenant être modulés en prévision d’une baisse du  chiffre d’affaires,

                 - les prélèvements d’impôt pourront être reportés jusqu’à trois fois ;

  • une aide mensuelle de 1 500 € pourra être offerte, grâce au fonds de solidarité, en cas de baisse de revenus d’au moins 70 % (à condition d’enregistrer un chiffre d’affaires inférieur à un million d’euros), étant précisé qu’en cas de risque de faillite cette aide pourrait éventuellement être majorée ;
  • des délais de paiement pourraient être négociés avec les banques et les bailleurs.

 

 

Pour conclure, à ce jour, les textes ne prévoient aucun dispositif de soutien au profit des professions libérales, alors que leurs activités sont ralenties, voire à l’arrêt.

 

A titre d’exemple, en vertu des règlements précités, les masseurs-kinésithérapeutes peuvent juridiquement poursuivre leurs activités mais sont, dans les faits, forcés de fermer leur cabinet, faute d’approvisionnement en masques et gels hydroalcooliques. Ils y sont en outre vivement incités par le Conseil nationale de leur Ordre qui « [leur] demande de fermer leurs cabinets à compter du mardi 17 mars 2020 à 12 heures ».  

 

Seule l’ouverture d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire permettrait, à certaines conditions (mentionnées ici), de bénéficier d’une allocation de 800 € par mois, pendant 6 mois à partir de la date d’inscription à Pôle emploi…

 

Il est donc nécessaire que de nouvelles mesures concrètes soient prises pour sauvegarder l’activité de ces indépendants, jugés en temps de crise sanitaire « non indispensables à la vie de la Nation » alors que les bureaux de tabac semblent l’être…

 

 

Mylène Bernardon 

Avocate à la Cour, 

 

 

 

MISE À JOUR :

Depuis la publication de cet article le 18 mars 2020, sans modifier le Décret n° 2020-73 du 31 janvier 2020, le Ministre des solidarités et de la santé a demandé à la Caisse nationale d’assurance maladie ainsi qu’aux caisses primaires d’assurance maladie de servir des indemnités journalières aux :

  • professionnels libéraux exerçant une activité médicale ou paramédical « selon des modalités alignées sur celles appliquées aux salariés »,
  • « professionnels libéraux (hors professions médicales et paramédicales) » en cas de nécessiter de garder un enfant de moins de 16 ans ou handicapé ou s’ils sont considérés comme étant des personnes vulnérables.