Réseaux sociaux et licenciement

Le développement des réseaux sociaux a profondément bouleversé les moyens d’expression des personnes pour leur donner une portée et une audience nouvelle. 

Qu’est-ce que la liberté d’expression ?

La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique.

Elle est reconnue à tout individu par les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 et par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Cette liberté est largement reconnue au profit des salariés, mais connaît néanmoins des limites

Dans quelle mesure peut-on caractériser un abus de la liberté d’expression par un salarié ?

En application de l’article L2228-1 du Code du travail, les salariés bénéficient d’un droit à l’expression directe et collective sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation de leur travail.

Cette liberté d’expression ne saurait toutefois être sans limites.

En effet, dès lors que le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi, le salarié se doit d’avoir un comportement loyal envers son employeur.

L’abus à la liberté d’expression est ainsi caractérisé quand le salarié use de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs (CA Besançon, 15 nov 2011, n°10/02642).

L’abus à la liberté d’expression sur les réseaux sociaux est-il toujours sanctionné ?

Par un arrêt du 12 septembre 2018, la Chambre sociale de la Cour de cassation s’est prononcée pour la première fois sur le caractère public ou privé d’une conversation tenue au sein d’un groupe sur Facebook. (Cass. soc., 12 sept. 2018, no 16-11.690)

Il a ainsi été jugé que des propos injurieux à l’égard de l’employeur ne justifient pas un licenciement dès lors qu’ils ont été proférés en espace privé sur Facebook.

A contrario, si les propos tenus par le salarié sont qualifiés de publics, ce dernier peut faire l’objet d’une sanction disciplinaire.

La question est donc celle de savoir où se situe la frontière entre la sphère privée et la sphère publique.

Dans l’arrêt du 12 septembre 2018, la Cour de cassation affirme que sont considérés comme « privés » les propos tenus par un salarié sur un réseau social dès lors que deux conditions cumulatives sont remplies :

  • la conversation doit intervenir au sein d’un groupe fermé, c’est-à-dire accessible uniquement à des personnes « agréées » par l’administrateur dudit groupe ;
  • les propos doivent être diffusés seulement auprès d’un nombre restreint de personnes (14 en l’espèce).

Afin d’être qualifiée de privée, la conversation doit donc être accessible à des personnes agréées et peu nombreuses.

En revanche, si le profil est ouvert aux « amis d’amis », les destinataires ne sont ni individualisés, ni déterminables et les propos tenus sur le réseau social peuvent être considérés comme une communication au public en ligne qui ne relève donc pas de la vie privée du salarié.

L’employeur peut-il se fonder sur des captures d’écran du réseau social du salarié comme preuve de son abus à la liberté d’expression ?

 

Par un arrêt du 20 décembre 2017, les juges de la Cour de cassation avaient considéré que le constat d’huissier établi à la demande de l’employeur et rapportant des informations extraites du compte Facebook du salarié et réservées aux personnes autorisées constituait une atteinte disproportionnée et déloyale à la vie privée du salarié et ce, même si elles avaient été obtenues à partir du téléphone portable professionnel d’un autre salarié (Cass. Soc. 20 déc. 2017, no 16-19.609).

Mais par un arrêt rendu le 30 septembre 2020, la chambre sociale de la Cour de cassation a considéré que le droit à la preuve pouvait justifier la production en justice d’éléments extraits du compte privé Facebook d’un salarié portant atteinte à sa vie privée, à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi (Cass. Soc, 30 sept.2020, n°19-12.058).

Dans cet espèce, l’employeur avait eu connaissance de la publication litigieuse par un autre salarié de l’entreprise qui avait accès au contenu privé publié par le salarié auteur de la publication.

Il apparait ainsi possible pour l’employeur de se fonder sur des captures d’écran du réseau social du salarié comme preuve de son abus à la liberté d’expression.

Il reste à savoir comment les juges articuleront le droit à la preuve et le droit à la vie privée.

Article rédigé par Inès Ayari pour le cabinet Axiome Avocats spécialisé en droit du travail à Lyon.