L'obligation de sécurité incombant à l'employeur constitue un pilier fondamental du droit du travail français. Elle impose à l'employeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Lorsque cette obligation n'est pas respectée, le salarié dispose d'un délai pour agir en justice afin d'obtenir réparation du préjudice subi. La question cruciale qui se pose alors est celle de la détermination du point de départ du délai de prescription de l'action en justice.

 

Le cadre légal de la prescription en droit du travail

 

Selon l'article [[L. 1471-1 du Code du travail]], "toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit". Cette disposition instaure une prescription biennale pour les litiges relatifs à l'exécution du contrat de travail, y compris les actions fondées sur un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

 

La détermination du point de départ de ce délai est essentielle pour le salarié souhaitant agir en réparation. En effet, une action intentée après l'expiration de ce délai sera déclarée irrecevable, privant ainsi le salarié de la possibilité d'obtenir réparation pour le préjudice subi.

 

L'arrêt du 16 octobre 2024 : un éclairage sur le point de départ du délai de prescription

 

La Cour de cassation a récemment apporté des précisions sur cette question dans un arrêt du 16 octobre 2024 [[Cass. soc., 16 oct. 2024, n° 23-13.991 F-D]]. Dans cette affaire, M. [R], maçon coffreur, a été engagé le 12 septembre 2005 par la société TMSO Aquitaine, son contrat étant transféré à la société GTM bâtiment Aquitaine le 31 décembre 2012. À compter du 16 janvier 2017, il est en arrêt de travail en raison d'une sciatique avec hernie discale, reconnue comme maladie professionnelle le 9 mai 2017.

 

Après plusieurs examens médicaux, il est déclaré inapte à son poste le 12 avril 2019. Licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 5 juillet 2019, il saisit la juridiction prud'homale le 28 octobre 2019 pour obtenir réparation du préjudice subi du fait du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

 

La controverse sur le point de départ du délai

 

La question centrale était de déterminer le point de départ du délai de prescription de deux ans. Le salarié soutenait que ce délai avait commencé à courir à compter de l'avis d'inaptitude du 12 avril 2019, date à laquelle il avait pris pleinement conscience du lien entre sa hernie discale et l'impossibilité de reprendre son poste. L'employeur, de son côté, faisait valoir que le salarié avait eu connaissance des faits lui permettant d'exercer son droit dès le 16 janvier 2017, date de son arrêt de travail pour sciatique avec hernie discale.

 

La position de la Cour de cassation

 

La Cour de cassation a cassé l'arrêt de la cour d'appel qui avait retenu le 12 avril 2019 comme point de départ du délai de prescription. Elle a jugé que "le salarié avait eu connaissance des faits lui permettant d'exercer son droit à la date du 16 janvier 2017" [[Cass. soc., 16 oct. 2024, n° 23-13.991 F-D]]. En effet, à cette date, le salarié avait connaissance de sa pathologie et de son lien potentiel avec ses conditions de travail.

 

La Haute juridiction a ainsi rappelé que le délai de prescription court à compter du jour où le salarié a eu connaissance du dommage et de son imputabilité à l'employeur, et non à partir de la date ultérieure d'un avis d'inaptitude ou d'une aggravation du dommage.

 

Les implications de cette décision

 

Cette décision est conforme à la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation. Elle souligne l'importance pour le salarié d'agir avec diligence dès qu'il a connaissance du dommage et de son lien avec l'employeur. Attendre une confirmation médicale ultérieure ou l'aggravation de son état de santé ne permet pas de retarder le point de départ du délai de prescription.

 

Par ailleurs, cette décision invite les employeurs à une vigilance accrue quant au respect de leur obligation de sécurité. En effet, dès que le salarié manifeste des symptômes susceptibles d'être liés à ses conditions de travail, l'employeur doit prendre les mesures appropriées pour prévenir les risques et protéger la santé du salarié.

 

La notion de "connaissance des faits" par le salarié

 

La notion de "connaissance des faits" est cruciale dans la détermination du point de départ du délai de prescription. Il s'agit du moment où le salarié a conscience du dommage et de son lien avec un manquement de l'employeur. Cette connaissance peut être subjective, mais les juges apprécient si le salarié, en faisant preuve de diligence, aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

 

Dans l'arrêt du 16 octobre 2024, la Cour de cassation a estimé que le salarié, en arrêt de travail depuis le 16 janvier 2017 pour une pathologie reconnue comme maladie professionnelle, avait nécessairement connaissance du dommage et de son lien avec ses conditions de travail à cette date.

 

Les précédents jurisprudentiels

 

La position adoptée par la Cour de cassation dans cet arrêt s'inscrit dans la continuité de sa jurisprudence. Par exemple, dans un arrêt du 7 novembre 2018, elle avait déjà jugé que "le délai de prescription court à compter du jour où le salarié a eu connaissance du dommage initial, sans que l'aggravation ultérieure du dommage puisse différer le point de départ du délai" [[Cass. soc., 7 nov. 2018, n° 17-14.392]].

 

De même, la Cour a rappelé que le salarié ne peut différer indéfiniment le point de départ du délai de prescription en invoquant une ignorance prolongée des faits. Une attitude passive peut lui être reprochée, comme dans un arrêt du 13 avril 2016 où elle a considéré que le salarié aurait dû agir plus tôt [[Cass. soc., 13 avr. 2016, n° 14-28.114]].

 

Conséquences pratiques pour les salariés et les employeurs

 

Pour les salariés, cette jurisprudence souligne l'importance d'agir rapidement dès la connaissance du dommage et de son lien avec l'employeur. Attendre un avis médical ultérieur ou une aggravation de l'état de santé ne permet pas de repousser le point de départ du délai de prescription. Il est donc recommandé de consulter rapidement un avocat pour évaluer les possibilités d'action.

 

Pour les employeurs, cette décision renforce l'obligation de veiller à la sécurité et à la santé des salariés dès les premiers signes de pathologie liée au travail. Ils doivent mettre en place des mesures de prévention adéquates et assurer un suivi régulier des conditions de travail pour prévenir les risques de contentieux.

 

Conclusion

 

La détermination du point de départ du délai de prescription en matière d'obligation de sécurité de l'employeur est un enjeu majeur du droit du travail. L'arrêt du 16 octobre 2024 de la Cour de cassation réaffirme que le délai court dès que le salarié a connaissance du dommage et de son lien avec l'employeur. Cette jurisprudence incite les salariés à agir avec diligence et les employeurs à respecter strictement leur obligation de sécurité.

 

Références légales et jurisprudentielles

 

  • Article [[L. 1471-1 du Code du travail]] : Prescription des actions portant sur l'exécution du contrat de travail.
  • Arrêt [[Cass. soc., 16 oct. 2024, n° 23-13.991 F-D]] : Point de départ du délai de prescription en matière d'obligation de sécurité.
  • Arrêt [[Cass. soc., 7 nov. 2018, n° 17-14.392]] : Aggravation du dommage non retenue comme point de départ du délai.
  • Arrêt [[Cass. soc., 13 avr. 2016, n° 14-28.114]] : Obligation pour le salarié d'agir avec diligence.
  • Arrêt [[Cass. soc., 8 juill. 2015, n° 13-28.422]] : Connaissance du lien entre le dommage et le manquement.

En conclusion, la question du point de départ du délai de prescription nécessite une analyse précise des faits et des dates clés. Une bonne compréhension de ces éléments est indispensable pour préserver ses droits en matière de contentieux du travail.

 

Le Bouard Avocats

4 place Hoche,

78000, Versailles

 

https://www.lebouard-avocats.fr/

https://www.avocats-lebouard.fr/

https://www.lebouardavocats.com/