Le dépôt de garantie versé lors d’un bail commercial n’est pas une réserve de trésorerie disponible ; c’est une dette exigible à la fin du contrat, dont la restitution rapide devient un marqueur de fiabilité pour le bailleur. En pratique, retarder ce remboursement plus de quelques semaines peut déclencher intérêts moratoires, dommages-intérêts et, surtout, nuire à la réputation de la société propriétaire. Dans un contexte où la jurisprudence raccourcit toujours davantage le « délai raisonnable » — et où le législateur s’apprête à le borner à trois mois — mieux vaut anticiper que subir.
Le cadre légal actuel
Le statut des baux commerciaux est muet sur le délai de restitution. Ce silence renvoie automatiquement au droit commun :
- article 1344-1 du Code civil : les intérêts courent dès la mise en demeure ;
- article 1231-1 : tout retard injustifié engage la responsabilité du créancier défaillant ;
- article 2224 : le preneur dispose de cinq ans pour agir.
L’absence de texte spécifique n’est donc pas un blanc-seing : l’obligation de restituer demeure ferme, seule l’échéance reste à apprécier à l’aune de la bonne foi contractuelle.
Jurisprudence récente : le signal d’alarme
L’arrêt Paris, 3 avril 2025 (SCI Ava c/ Maintenance Technique Optimisée) l’illustre : six mois après la remise des clés, aucun euro n’était restitué alors que le bail prévoyait un remboursement « concomitant ». Résultat : restitution intégrale du dépôt (10 685 €), intérêts légaux à compter de la mise en demeure et 4 000 € de dommages-intérêts pour résistance abusive.
Ce montant n’est pas anodin ; il dépasse le classique « geste symbolique ». Les magistrats envoient un message : le temps du laxisme est révolu.
Bientôt une limite légale : trois mois
Le projet de loi de simplification de la vie économique prévoit d’insérer dans le Code de commerce l’obligation suivante : « La restitution des sommes versées à titre de garantie intervient dans un délai raisonnable ne pouvant excéder trois mois à compter de la remise des clés ».
Une contrainte claire, opposable à tout nouveau bail, et possiblement aux contrats en cours via une clause de style lors du renouvellement. Les bailleurs professionnels — foncières, family offices, SCI patrimoniales — gagneront à ajuster leurs process avant la promulgation.
Préparer la sortie : méthode en quatre temps
Quinze jours avant échéance
Convocation du preneur pour un état des lieux contradictoire et relevé des compteurs. Ce délai laisse le temps de réunir documents et intervenants (expert-bâtiment, gestionnaire technique).
Le jour J
Signature de l’état des lieux, remise des clés, photographies horodatées. Sans réserves, la restitution doit être quasi immédiate ; avec réserves, le bailleur doit chiffrer vite.
Trente jours après
Réception de deux devis comparatifs quand les réparations dépassent le seuil de 1 000 €. Transmission au locataire d’un tableau explicatif : poste, montant, justificatif, retenue projetée.
Soixante jours après
Versement du solde ; notification d’un récapitulatif complet. Si des travaux subsistent, ouvrir un compte séquestre où reste déposée uniquement la somme litigieuse.
Clauses contractuelles indispensables
Clause |
Intérêt principal |
Exemple de rédaction |
---|---|---|
Délai fixe |
Supprime l’ambiguïté |
« Le solde est restitué dans les 60 jours » |
Procédure de compensation |
Encadre les retenues |
« Retenue après présentation de factures signées » |
Pénalité de retard |
Encourage la célérité |
« 1 % du dépôt par mois entamé » |
Ces stipulations, proportionnées, sont acceptées par les juridictions tant qu’elles ne déguisent pas une clause pénale manifestement excessive.
Comptabiliser sans risque : le compte séquestre
La meilleure défense contre la tentation d’utiliser le dépôt comme fonds de roulement consiste à le placer sur un compte bancaire isolé. L’affectation comptable distincte permet :
- une restitution sans impact sur la trésorerie d’exploitation ;
- une preuve immédiate du mouvement de fonds en cas de litige ;
- une protection contre les saisies-attributions visant les comptes principaux de la société.
Rétention abusive : le coût réel
Intérêts moratoires
Base : dépôt de 20 000 €, taux 2025 : 4,06 %. Six mois de retard coûtent déjà 406 €.
Dommages-intérêts
Variable ; dans l’affaire Ava, 4 000 €. D’autres décisions (Lyon 2023, Bordeaux 2024) ont oscillé entre 1 000 et 6 000 € selon la trésorerie bloquée et la résistance jugée « manifeste ».
Frais irrépétibles
Article 700 CPC : 1 500 € à 5 000 € selon la complexité.
Additionner ces trois postes suffit parfois à doubler le dépôt initial.
Risques périphériques pour le bailleur
- Image dégradée : les bases de jurisprudence en open data relaient les décisions ; un investisseur qui multiplie les contentieux peut effrayer les enseignes à forte valeur ajoutée.
- Blocage locatif : tant que la sortie précédente n’est pas apurée, certains gestionnaires retardent la mise en marché, faute d’état des lieux définitif.
- Tension bancaire : les banques immobilières examinent désormais la sinistralité judiciaire avant de consentir de nouveaux concours.
Bonnes pratiques de gouvernance
- Nommer un référent restitution dans le service property : un interlocuteur unique pilote le calendrier.
- Digitaliser l’état des lieux : application mobile, photos géolocalisées, signature électronique ; contestation plus difficile.
- Mettre à jour chaque trimestre la liste des dépôts non restitués ; le risque apparaît alors dans le reporting, évitant l’oubli.
Focus preneur : droits et devoirs
Le locataire doit remettre les locaux dans l’état stipulé, payer les loyers et charges jusqu’au terme, puis formaliser la mise en demeure si le remboursement tarde. En contrepartie, il peut :
- réclamer intérêts légaux et majoration ;
- solliciter en référé une consignation si la somme est menacée de disparition ;
- obtenir, en cas de résistance, la publication de la décision, sanction indirecte mais dissuasive.
La restitution du dépôt de garantie n’est pas qu’une ligne de trésorerie ; c’est un indicateur de la gouvernance bailleur-preneur. L’évolution législative en cours — trois mois maximum — impose de passer d’une logique de tolérance à une logique de conformité. En structurant un calendrier précis, en séquestrant la somme et en communiquant de façon transparente, la société propriétaire protège sa trésorerie, préserve ses relations locatives et évite de transformer un simple dépôt en risque contentieux majeur.
LE BOUARD AVOCATS
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