La protection des droits des travailleurs handicapés s'inscrit au cœur des préoccupations juridiques en matière de lutte contre les discriminations. L'obligation de l'employeur de mettre en œuvre des aménagements raisonnables est consacrée par le droit français et européen. Pourtant, le contentieux montre que cette obligation n'est pas toujours respectée. Cet article explore les fondements juridiques de cette obligation, son articulation avec le licenciement pour inaptitude, ainsi que les mécanismes probatoires encadrant les actions en discrimination.

 

 

 

Une obligation d’aménagements raisonnables consacrée par la loi

 

Le cadre juridique français

 

L’article [[L.5213-6 du code du travail]] impose à l’employeur de prendre, en fonction des besoins spécifiques d’une situation donnée, des mesures appropriées pour permettre au travailleur handicapé :

 

  • d’accéder à un emploi ou de conserver celui-ci ;
  • d’exercer ses fonctions ou de progresser dans son poste ;
  • ou encore de bénéficier d’une formation adaptée à ses besoins.

Ces mesures doivent être proportionnées et ne pas représenter une charge excessive pour l’employeur, une éventualité qui peut être compensée par des aides prévues par l’article [[L.5213-10 du code du travail]].

 

Ainsi, le refus de mettre en œuvre de tels aménagements peut constituer une discrimination, au sens de l'article [[L.1133-3 du code du travail]], lorsque ce refus ne se justifie pas par des motifs légitimes. Cette disposition s'aligne sur les exigences de la directive européenne 2000/78/CE du 27 novembre 2000, qui impose aux employeurs de garantir l'égalité de traitement des personnes handicapées.

 

 

 

La notion d’aménagement raisonnable

 

L’[[article 2 de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées]], ratifiée par la France, définit l’aménagement raisonnable comme des ajustements nécessaires et appropriés n’imposant pas une charge disproportionnée à l’employeur. Cette obligation s’inscrit dans le cadre de la lutte contre les discriminations indirectes, lesquelles surviennent lorsqu'une disposition, apparemment neutre, désavantage de manière disproportionnée les personnes handicapées.

 

 

 

Inaptitude, reclassement et discrimination : distinctions nécessaires

 

Le licenciement pour inaptitude et l’obligation de reclassement

 

Lorsqu’un salarié est déclaré inapte par le médecin du travail, l’employeur est tenu de chercher une solution de reclassement adaptée aux capacités du salarié [[art. L.1226-2 et suivants du code du travail]]. Si cette obligation n'est pas respectée, le licenciement qui s’ensuit est privé de cause réelle et sérieuse, entraînant des conséquences indemnitaires importantes pour l'employeur.

 

Cependant, cette obligation de reclassement ne se confond pas avec l'obligation de mettre en place des aménagements raisonnables. Comme rappelé par la Cour de cassation [[Cass. Soc., 15 mai 2024, n°22-11.652]], la première relève du droit de l'inaptitude, tandis que la seconde s'inscrit dans le cadre du droit de la discrimination. L’enjeu est de taille, car le non-respect de l’obligation d’aménagements raisonnables peut entraîner la nullité du licenciement, une sanction beaucoup plus sévère.

 

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La distinction mise en lumière par la jurisprudence

 

Dans une décision majeure [[Cass. Soc., 3 juin 2020, n°18-21.993]], la Cour de cassation a jugé qu’un employeur refusant de prendre les mesures appropriées pour permettre à un salarié handicapé de conserver son emploi, sans en justifier le caractère disproportionné, commet une discrimination. La Cour a ainsi distingué l’échec du reclassement (qui prive le licenciement de cause réelle et sérieuse) et la violation des obligations liées à la non-discrimination (entraînant la nullité du licenciement).

 

Cette distinction a été précisée dans l'arrêt du 15 mai 2024 [[Cass. Soc., 15 mai 2024, n°22-11.652]], où la Cour rappelle que le simple fait de ne pas prendre en compte le statut de travailleur handicapé ou d'omettre d'appliquer des aménagements ne suffit pas à caractériser une discrimination. Encore faut-il démontrer un refus explicite ou implicite de l'employeur de prendre des mesures concrètes.

 

 

 

Le régime probatoire de la discrimination : une approche en deux temps

 

L’article L.1134-1 du code du travail et son application

 

Le régime probatoire applicable aux discriminations repose sur une charge de la preuve partagée. Conformément à l’article [[L.1134-1 du code du travail]], il incombe au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination. Si cette étape est franchie, l’employeur doit alors démontrer que sa décision repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

 

Dans le contexte du handicap, la Cour de cassation a précisé les modalités de cette preuve dans l'arrêt précité du 15 mai 2024. Deux étapes doivent être suivies par les juges du fond :

 

  1. Examen des éléments présentés par le salarié
    Le salarié peut invoquer des faits tels que :
    • l'absence de mesures d’aménagements raisonnables sollicitées ou recommandées par le médecin du travail ;
    • le refus de l’employeur de consulter des organismes spécialisés, comme l’Agefiph, pour faciliter le reclassement.
  1. Justifications apportées par l’employeur
    L’employeur doit prouver que les mesures demandées étaient :
    • soit matériellement impossibles à mettre en œuvre ;
    • soit disproportionnées au regard des ressources de l’entreprise.

 

 

Un cadre rigoureux mais équilibré

 

Ce régime probatoire vise à garantir une équité entre les parties. Toutefois, il exige une documentation rigoureuse des démarches entreprises, tant par l’employeur que par le salarié. Par exemple, un employeur omettant de documenter les raisons pour lesquelles une mesure est jugée disproportionnée risque de ne pas pouvoir se défendre efficacement.

 

 

 

Implications pratiques pour les entreprises et les salariés

 

Conseils aux employeurs

 

Pour éviter tout contentieux, les employeurs doivent adopter une démarche proactive, incluant :

 

  • L’évaluation des besoins spécifiques : Solliciter l’avis du médecin du travail ou du CSE.
  • La recherche de solutions adaptées : Consulter les organismes spécialisés et explorer toutes les possibilités d’aménagement.
  • La justification rigoureuse : Documenter précisément les raisons objectives justifiant une éventuelle impossibilité de mise en œuvre.

 

 

Droits et devoirs des salariés

 

Les salariés handicapés doivent également jouer un rôle actif en :

 

  • informant leur employeur de leur situation ;
  • demandant explicitement les aménagements nécessaires ;
  • conservant tous les échanges écrits et les preuves de leurs démarches.

 

 

Conclusion

 

La lutte contre les discriminations liées au handicap constitue un pilier essentiel de la protection des droits des travailleurs en France. Si l’obligation d’aménagements raisonnables impose une contrainte aux employeurs, elle s'inscrit dans une démarche d’équité et de respect des droits fondamentaux. Les contentieux récents, tels que celui tranché par la Cour de cassation [[Cass. Soc., 15 mai 2024, n°22-11.652]], rappellent l'importance d'une application rigoureuse des règles en la matière.

 

Pour les employeurs, le respect de ces obligations est non seulement un impératif légal, mais également un levier d’inclusion et de valorisation de leur politique sociale. Quant aux salariés, ils doivent connaître leurs droits et agir de manière proactive pour s’assurer que ces derniers sont respectés. Ainsi, un dialogue équilibré et constructif peut réduire les discriminations et favoriser une meilleure intégration des travailleurs handicapés au sein de l’entreprise.