L’acquisition d’un fonds de commerce apparaît souvent comme une opération avantageuse, permettant à l’acheteur d’intégrer rapidement une clientèle existante, un savoir-faire éprouvé et un emplacement privilégié. Toutefois, derrière cette apparente simplicité se cachent des règles de droit incontournables. L’une des plus importantes concerne le délai légal d’opposition imposé par le Code de commerce, dont le non-respect peut exposer l’acquéreur à un double règlement du prix. Dans cet article, nous examinerons en détail les enjeux de cette contrainte, la manière dont elle protège les créanciers du vendeur, ainsi que les bonnes pratiques indispensables pour sécuriser la cession.

 


1. Contexte légal : un dispositif protecteur en faveur des créanciers

1.1 Le mécanisme de publicité de la cession

Lorsqu’un fonds de commerce est cédé, la publicité de la vente est prescrite par la loi (articles L. 141-12 et suivants du Code de commerce). Généralement, cette formalité s’opère par un avis publié dans un journal habilité à recevoir des annonces légales, puis au BODACC (Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales). L’objectif demeure limpide : informer les créanciers du vendeur que le fonds change de mains. Ils disposent alors d’un délai de dix jours à compter de la publication pour former leur opposition, s’ils estiment que la somme qui reviendrait au cédant peut leur servir de gage afin de récupérer leurs créances.

 

Pourquoi cette précaution ?

 

  • Les dettes du vendeur sont souvent attachées à l’activité du fonds.
  • Le législateur entend éviter qu’une vente rapide du fonds ne compromette les droits des fournisseurs, du fisc ou d’autres créanciers du cédant.
  • Les créanciers, grâce à cette opposition, se protègent contre l’éventualité que le vendeur dissimule le prix ou l’emploie ailleurs.

1.2 Le rôle du délai d’opposition

Le Code de commerce (art. L. 141-14) prévoit que les tiers créanciers ont dix jours pour manifester leurs prétentions. Durant cet intervalle, l’acheteur doit s’abstenir de verser intégralement ou majoritairement le prix de cession au vendeur. Cette règle constitue la pierre angulaire de la protection accordée aux tiers.

 

Si l’acquéreur s’affranchit de cette exigence et procède à un paiement précoce, il risque de subir la sanction de l’inopposabilité du versement à l’égard des créanciers. Autrement dit, ces derniers pourraient lui demander de payer une seconde fois, dans la limite des fonds réglés prématurément.

 


2. Le danger du paiement prématuré et ses implications

2.1 L’inopposabilité du versement anticipé

L’article L. 141-17 du Code de commerce énonce que le paiement fait au vendeur avant l’expiration du délai de dix jours n’a aucune force contraignante pour les créanciers. Ces derniers, considérés comme « tiers » à la transaction, peuvent donc exiger de l’acheteur qu’il s’acquitte du montant nécessaire pour solder la dette du cédant, sans que l’acheteur puisse alléguer qu’il a déjà libéré les sommes.

 

Points clés à retenir :

 

  • La loi protège les créanciers, indépendamment de la bonne foi de l’acquéreur ou du vendeur.
  • L’acheteur ne peut invoquer le fait qu’il ignorait l’existence de telles dettes pour éviter un double paiement.

2.2 La jurisprudence réaffirmant la règle

Plusieurs arrêts de la Cour de cassation ont confirmé que même si l’opposition d’un créancier n’est pas rigoureusement parfaite (ou si elle comporte certaines failles procédurales), le principe demeure : le versement effectué trop tôt est inopposable. Le créancier est donc fondé à réclamer le règlement de sa créance directement à l’acquéreur.

 

Illustration concrète :

 

  • Le vendeur doit une somme au fisc (TVA, impôts divers).
  • L’acheteur, pressé de prendre possession du fonds, verse la majorité du prix le jour même de la signature.
  • En constatant cela, l’administration fiscale réclame à l’acheteur le paiement. Même si l’opposition n’est pas parfaite, l’acheteur se retrouve tenu de régler à nouveau.

3. Les modalités de mise en œuvre de l’opposition

3.1 Formes et contenu de l’opposition

Le Code de commerce n’exige pas que l’opposition soit extrêmement détaillée : un écrit indiquant la créance, son montant et l’organe auprès duquel l’opposition doit être signifiée suffit la plupart du temps. Le créancier notifie cette opposition au séquestre éventuel ou à la personne désignée dans l’acte de cession. Si l’acheteur, ou un séquestre, manque de vigilance, la somme pourra être versée sans attendre, déclenchant alors la possibilité d’action contre l’acquéreur.

 

3.2 Ordre de distribution

Lorsque plusieurs créanciers se font connaître, le Code de commerce prévoit un ordre légal de distribution du prix, priorisant les créanciers privilégiés (dont l’administration fiscale, l’URSSAF, etc.) avant ceux qui ne disposent pas de garantie particulière. Le séquestre ou l’organe chargé de la distribution s’assure alors que chaque créancier est payé en fonction de son rang, jusqu’à épuisement du prix.

 


4. Les effets sur la relation vendeur-acquéreur

4.1 Risques de contentieux internes

En cas de double paiement, l’acheteur peut tenter de se retourner contre le vendeur afin d’obtenir un remboursement. Cependant, il devra démontrer que le vendeur lui a exigé ou suggéré un versement anticipé, ou qu’il a commis une faute qui a engendré le préjudice. Si le vendeur est insolvable ou de mauvaise foi, l’acheteur est susceptible de ne jamais recouvrer ce qu’il aura dû verser une deuxième fois aux créanciers.

 

4.2 La mauvaise image pour le repreneur

Au-delà de l’enjeu financier, un conflit avec les créanciers du vendeur peut ternir l’installation de l’acheteur. Les fournisseurs ou partenaires commerciaux, s’ils voient que l’acquéreur n’a pas respecté le formalisme, peuvent douter de son sérieux ou hésiter à poursuivre des relations commerciales fluides. Les premières semaines de reprise du fonds sont déterminantes pour nouer des liens de confiance : tomber dans un litige sur la répartition du prix peut perturber la crédibilité du nouvel exploitant.

 


5. Les solutions pratiques pour sécuriser la transaction

5.1 Le séquestre comme garantie essentielle

La pratique la plus fréquente est de séquestrer le prix chez un professionnel (avocat en droit des affaires à Versailles, notaire, huissier) jusqu’à l’expiration du délai de dix jours. Ce séquestre :

 

  • Contrôle l’éventuelle opposition et les pièces justificatives,
  • Répartit les fonds entre les différents créanciers selon l’ordre de privilège,
  • Transfère le solde au vendeur seulement une fois toutes les oppositions réglées.

Grâce à ce mécanisme, l’acheteur ne verse pas le prix directement au cédant, évitant ainsi tout risque de double paiement. Le séquestre assure une transparence : si un créancier se manifeste, il obtient sa part ; sinon, le cédant perçoit la totalité du solde.

 

5.2 Vérifications préalables sur les dettes du vendeur

Même si la loi n’exige pas que l’acquéreur mène une enquête approfondie, il est avisé de vérifier l’état des créances susceptibles de peser sur le fonds. Par exemple, demander au vendeur :

 

  • Les attestations fiscales ou sociales,
  • Les justificatifs bancaires ou extraits de comptes,
  • Les éventuelles hypothèques, nantissements, ou inscriptions au profit de tiers.

Ce contrôle n’exonère pas l’acheteur de respecter le délai, mais l’aide à estimer le montant potentiellement réclamé par les créanciers. Dans les faits, si l’acheteur détecte des impayés importants, il peut en tenir compte dans la négociation ou renforcer la sécurisation du prix par un séquestre prolongé.

 


6. Les jurisprudences récentes : le double paiement confirmé

6.1 L’administration fiscale en première ligne

Dans de nombreux cas, c’est l’administration fiscale qui intervient pour réclamer le règlement d’impôts sur les bénéfices, de TVA ou de retenues non reversées. Lorsqu’une opposition est formée, même avec un vice mineur, la jurisprudence maintient que l’acheteur ayant payé trop tôt doit assumer les conséquences de son erreur de timing. Le seul fait d’avoir ignoré le délai ou de l’avoir jugé inutile suffit à déclencher la mise en cause de l’acquéreur.

 

6.2 D’autres créanciers potentiels

Les banques qui ont soutenu l’activité du vendeur, un bailleur, l’URSSAF ou des fournisseurs importants, sont également susceptibles d’agir si leur créance demeure impayée. La Cour de cassation admet que la nullité ou l’incomplétude de l’opposition ne décharge pas l’acquéreur. Ce dernier peut alors se voir imposer de régulariser la dette, dans la limite de la part du prix qu’il a transférée prématurément.

 


7. Limites de la responsabilité du séquestre ou du vendeur

7.1 Action contre le séquestre

L’acheteur tente parfois de solliciter la responsabilité du séquestre si celui-ci a versé au vendeur une partie des sommes sans vérifier les oppositions. Pour que cette démarche aboutisse, il faut démontrer une faute caractérisée, par exemple que le séquestre a ignoré ou mal répertorié une opposition valable. Si le professionnel a agi selon un mandat clair et respecté la loi, sa responsabilité demeure rarement engagée.

 

7.2 Requête en remboursement auprès du vendeur

En cas de double paiement, l’acheteur peut se retourner contre le vendeur pour le surplus réglé, surtout si ce dernier est solvable. Il s’agit alors d’une action fondée sur la responsabilité contractuelle ou sur l’enrichissement injustifié, si le vendeur refuse de restituer les sommes. Toutefois, prouver la faute ou la volonté du cédant de tromper l’acheteur reste parfois difficile. De plus, les délais pour agir, la solvabilité du cédant et la complexité du contentieux peuvent ôter tout espoir de récupération rapide.

 


8. Conclusion : allier prudence et respect du formalisme

En définitive, l’acquisition d’un fonds de commerce exige une grande vigilance pour éviter le piège du paiement anticipé. Attendre l’issue des dix jours suivant la publicité de la vente constitue une précaution élémentaire, instaurée par le Code de commerce pour protéger les créanciers du vendeur. Dans le cas contraire, l’acheteur s’expose à un risque réel de double paiement, indépendamment de l’irrégularité ou de la tardiveté de l’opposition.

 

Pour résumer :

 

  • Les créanciers du vendeur peuvent se manifester dans les 10 jours : l’acheteur doit impérativement patienter avant de libérer le prix.
  • Un versement anticipé est inopposable aux tiers : l’acquéreur peut être sommé de régler une deuxième fois.
  • Le séquestre représente la solution la plus efficace : il reçoit les fonds, contrôle les oppositions et procède à la distribution légale.

Cette mécanique, parfois perçue comme lourde, garantit néanmoins une stabilité juridique aux parties. Sur le plan pratique, le concours d’un avocat ou d’un notaire s’avère fondamental pour orchestrer la transaction, de la publicité légale à la gestion du séquestre, en passant par la répartition finale. Grâce à cette rigueur formelle, les contrats de cession restent sécurisés, et l’acheteur peut alors développer sereinement l’activité du fonds repris.

 

 

 

LE BOUARD AVOCATS

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