Une mise au point bienvenue sur les limites de la clause de non-concurrence

La Cour de cassation, dans son arrêt rendu le 19 mars 2025 (n° 23-22.925), apporte un éclairage inédit sur l’articulation entre liberté d’entreprendre et respect d’une clause de non-concurrence en cours de contrat de franchise. Elle y confirme qu’un franchisé peut envisager la création d’une activité concurrente tant que celle-ci ne devient pas effective avant la fin du contrat. Une décision qui clarifie une zone grise du droit de la franchise et pose des jalons importants pour l’ensemble des praticiens.

 

L’obligation de non-concurrence pendant le contrat : portée et limites

Un principe admis sous réserve de proportionnalité

La clause de non-concurrence, valable pendant la durée d’un contrat de franchise, vise à protéger les intérêts du franchiseur, notamment son savoir-faire, sa clientèle et l’image de son réseau. Elle repose sur l’article 1103 du Code civil (anciennement 1134), qui consacre le caractère obligatoire des conventions. Toutefois, comme le rappelle la jurisprudence constante, une telle clause doit rester proportionnée en termes de durée, de périmètre géographique et de nature des activités concernées.

 

La clause contestée dans l’affaire commentée interdisait toute activité d’aide à domicile concurrente pendant la durée d’exécution du contrat. La question portait ici non pas sur une clause post-contractuelle (souvent encadrée de manière plus stricte), mais bien sur les actes réalisés avant le terme du contrat.

 

La ligne de démarcation entre anticipation et concurrence

Le cœur du litige résidait dans le comportement du franchisé qui, avant la fin du contrat, avait :

 

  • constitué plusieurs sociétés ;

 

  • procédé au dépôt de marques ;

 

  • informé certains clients et partenaires de ses intentions via des canaux numériques.

 

Le franchiseur y voyait une violation de la clause de non-concurrence, y compris au regard des obligations de loyauté et de confidentialité. La Cour d’appel avait admis ce raisonnement. La Cour de cassation, quant à elle, adopte une analyse plus nuancée.

 

Préparer une activité concurrente : une liberté désormais affirmée

La jurisprudence consacre la possibilité d’une préparation discrète

La Cour de cassation affirme qu’un franchisé peut accomplir des actes préparatoires à une activité concurrente, sans méconnaître ni la clause de non-concurrence, ni ses devoirs de loyauté, à la condition que cette activité ne débute effectivement qu’après l’échéance du contrat.

 

Cette distinction est capitale : elle rejoint les solutions retenues depuis plusieurs années en matière de droit du travail, où un salarié peut – durant son préavis – préparer une reconversion professionnelle, y compris concurrente, dès lors que l’activité n’est pas exercée pendant la période contractuelle (v. Cass. soc., 23 sept. 2020, n° 19-15.313 ; Cass. com., 12 févr. 2002, n° 00-11.602).

 

Les actes permis et ceux qui restent proscrits

Peuvent être envisagés avant la fin du contrat :

 

  • la rédaction de statuts et l’immatriculation d’une société ;

 

  • le dépôt de marques et de noms commerciaux ;

 

  • la prospection de partenaires ou de fournisseurs.

 

Sont en revanche interdits tant que le contrat est en cours :

 

  • la communication publique sur le lancement imminent de l’activité concurrente ;

 

  • la sollicitation active de la clientèle issue du réseau ;

 

  • l’ouverture d’un établissement ou la commercialisation de services similaires.

 

Sécuriser juridiquement la sortie du réseau de franchise

Des clauses à rédiger avec rigueur et mesure

Il est conseillé aux franchiseurs de prévoir une clause de non-concurrence claire, ciblée et surtout limitée dans le temps et dans l’espace. En cas de pluralité de contrats au sein d’un même groupe, une coordination contractuelle doit être anticipée pour éviter qu’un franchisé ne se retrouve entravé pendant une période excessivement longue. La Cour rappelle d’ailleurs que le cumul d’interdictions sur plusieurs années pourrait porter atteinte à la liberté d’entreprendre (Cons. const., décision n° 2021-912 QPC du 14 mai 2021).

 

Clause de non-concurrence et procédure collective

À noter également un point important dans l’affaire jugée : l’une des sociétés franchisées a été placée en liquidation judiciaire. Or, conformément aux articles L.622-7 et L.641-9 du Code de commerce, une condamnation pécuniaire ne peut être prononcée à l’encontre d’un débiteur en liquidation. Le juge doit se limiter à fixer la créance au passif, sans aller jusqu’à condamner la société au paiement.

 

Un équilibre enfin clarifié

Par cet arrêt, la Cour de cassation confirme que la clause de non-concurrence en franchise n’a pas pour objet d’entraver la liberté d’organisation future du franchisé, mais uniquement d’éviter une concurrence immédiate et déloyale. Elle invite les acteurs de la franchise à faire preuve de mesure, transparence et anticipation contractuelle.

 

 

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