Une clarification bienvenue dans le régime de l’article L. 228-15 du Code de commerce

En matière d’émission d’actions de préférence au profit de personnes dénommées, le droit des sociétés impose une vigilance particulière quant à l’évaluation des avantages particuliers susceptibles d’en résulter. L’article L. 228-15 du Code de commerce, applicable à l’ensemble des sociétés par actions (à l’exception des SAS lors de leur constitution, en vertu de l’article L. 227-1, al. 3), prévoit expressément que cette opération donne lieu à la désignation d’un ou plusieurs commissaires aux apports, également dénommés commissaires aux avantages particuliers, lorsque des droits spécifiques sont conférés à des personnes déterminées.

 

Ce même texte introduit un principe d’incompatibilité fonctionnelle : le professionnel désigné ne doit pas avoir exercé, ni exercer une quelconque autre mission au sein de la société, et ce, sur une période de trois exercices. Cette exigence vise à garantir l’indépendance et l’objectivité de l’analyse, notamment dans des opérations impliquant une redistribution différenciée des droits sociaux.

 

Une difficulté subsistait toutefois en pratique : en cas d’émission simultanée, au cours d’une même assemblée générale, de plusieurs catégories d’actions de préférence comportant chacune des droits distincts au profit de bénéficiaires eux-mêmes distincts, fallait-il désigner un commissaire par catégorie, ou un seul commissaire suffisait-il à satisfaire aux exigences du texte ?

 

L’analyse de l’ANSA : unicité de l’opération, unicité de la mission

Par une communication n° 25-004 rendue publique le 5 février 2025, le comité juridique de l’Association nationale des sociétés par actions (ANSA) est venu préciser que la désignation d’un seul commissaire aux avantages particuliers est suffisante dans une telle hypothèse, dès lors que l’opération d’émission procède d’une décision unique, prise dans le cadre d’une même délibération d’assemblée générale.

 

L’ANSA fonde sa position sur une lecture téléologique de l’article L. 228-15. Elle considère que, malgré la pluralité des catégories de titres émis, l’unicité de la décision et de l’opération juridique doit prévaloir. Ainsi, la mission du commissaire reste unique, à condition que le rapport remis détaille distinctement, pour chaque catégorie d’actions, l’analyse des avantages particuliers attachés.

 

Ce raisonnement permet de concilier :

 

  • la lettre du texte (principe d’unicité de mission et d’indépendance),

 

  • la logique procédurale (une seule assemblée générale statuant sur l’ensemble des émissions),

 

  • et les contraintes opérationnelles inhérentes aux levées de fonds complexes.

 

Le périmètre de la mission du commissaire : exigence de rigueur dans la structuration du rapport

Dans le cadre d’une telle émission multiple, le commissaire désigné doit veiller à produire un rapport conforme aux exigences combinées des articles L. 228-15, L. 225-8, L. 225-10 et L. 225-147 du Code de commerce, selon les modalités de renvoi prévues par l’article L. 228-15, alinéa 1er.

 

Ce rapport devra :

 

  • analyser catégorie par catégorie les droits particuliers attachés aux actions émises,

 

  • apprécier la valeur économique et juridique des avantages consentis aux personnes nommément désignées,

 

  • et conclure à la conformité de l’opération au regard de l’égalité entre les actionnaires existants et les bénéficiaires de l’émission.

 

La rédaction du rapport ne peut se contenter d’un bloc unique d’analyse ; elle doit faire l’objet d’une segmentation rigoureuse dans sa structure, permettant une lecture indépendante et précise des éléments d’évaluation relatifs à chaque série de titres.

 

Les hypothèses excluant l’unicité de la mission : cas de désignation multiple

La position de l’ANSA ne saurait pour autant être étendue à toutes les hypothèses d’émission d’actions de préférence. Elle est expressément circonscrite aux situations d’émission simultanée dans le cadre d’une même assemblée générale.

 

Deux cas classiques imposent encore la désignation de commissaires distincts :

 

  • Lorsque la société n’est pas dotée de commissaire aux comptes, et que l’émission donne lieu à une suppression du droit préférentiel de souscription, la désignation d’un commissaire prévu à l’article L. 225-138 II est obligatoire. Ce commissaire a pour mission d’évaluer la justification de la suppression du DPS et les conditions de l’émission.

 

  • En outre, selon l’avis n° 24-005 de l’ANSA en date du 7 février 2024, lorsque la société procède à l’émission d’actions de préférence relevant d’une catégorie préexistante, deux commissaires doivent être désignés :

 

  • l’un pour l’évaluation des avantages particuliers (article L. 228-15),

 

  • l’autre pour l’appréciation de la valeur des actions émises, dans le respect des règles applicables à l’émission au profit de personnes déterminées.

 

Dans ces hypothèses, le principe d’unicité de mission empêche la désignation d’un seul et même professionnel pour les deux missions, même en l’absence de conflit d’intérêt manifeste.

 

Enjeux pratiques et recommandations aux praticiens

Dans le cadre d’une opération d’émission complexe, les praticiens sont invités à adopter une démarche anticipative, articulée autour des points suivants :

 

  • Qualifier avec précision la nature de l’émission envisagée (création de catégorie nouvelle ou émission d’actions existantes) ;

 

  • Déterminer s’il s’agit d’une opération juridiquement unique ou de plusieurs opérations distinctes ;

 

  • Organiser la désignation du commissaire par les fondateurs ou actionnaires à l’unanimité, ou à défaut, par voie judiciaire (article L. 228-15, al. 1) ;

 

  • Encadrer contractuellement les missions confiées aux commissaires pour prévenir toute confusion de périmètre ou situation de cumul interdit.

 


Conclusion technique

L’avis rendu par le comité juridique de l’ANSA le 5 février 2025 confirme qu’en présence d’une émission unique de plusieurs catégories d’actions de préférence décidée lors d’une même assemblée générale, un seul commissaire aux avantages particuliers peut être valablement désigné. À condition que celui-ci respecte l’indépendance exigée et segmente clairement son analyse dans le rapport, cette solution permet de sécuriser les opérations complexes tout en allégeant les contraintes procédurales, dans un cadre conforme à l’esprit du droit des sociétés.

 

Pour aller plus loin : https://www.lebouard-avocats.fr/post/commissaire-avantages-particuliers-actions-preference

 

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