Le dépassement de la destination contractuelle dans le bail commercial
L’arrêt de la Cour de cassation du 27 mars 2025 [[Cass. 3e civ., 27 mars 2025, n° 23-22.383]] illustre l’importance de la clause de destination dans la structuration du rapport locatif commercial. En application de l’article [[1728 du Code civil]], le preneur est tenu d’user des locaux conformément à leur destination contractuelle. Toute modification de l’activité initialement autorisée, même si elle n’est pas formellement interdite par le bail, peut constituer un manquement grave si elle porte atteinte à l’économie du contrat.
Dans l’affaire soumise à la Haute juridiction, le bail commercial mentionnait une destination à usage de « snack ». Toutefois, le preneur avait développé une activité de restauration plus élaborée, incluant une cuisine de 30 m², une salle de restauration aménagée et une carte diversifiée relevant d’une restauration traditionnelle. L’évolution non autorisée vers une activité distincte a été jugée comme une transformation substantielle de la destination initialement convenue. https://www.lebouard-avocats.fr/post/bail-commercial-restaurant-activite-snack
Une distinction fonctionnelle entre restauration légère et restauration complète
La jurisprudence distingue depuis longtemps la restauration légère (snack, sandwicherie, restauration rapide) de la restauration traditionnelle (service à table, cuisine élaborée, plats composés) [[Cass. 3e civ., 27 mai 1998, n° 826 D]] ; [[Cass. 3e civ., 17 nov. 1998, n° 1674 D]].
En l’absence de clause dérogatoire ou d’accord exprès du bailleur, le preneur ne peut faire évoluer son activité vers une exploitation qui :
- nécessite des aménagements techniques substantiels (extraction, cuisson, salles de restauration) ;
- modifie la typologie de la clientèle visée ;
- ou impacte l’environnement commercial du bien loué.
La Cour de cassation valide ici une appréciation concrète des éléments matériels, considérant que le développement d’une telle activité dépasse le cadre contractuel du snack et constitue une modification unilatérale non autorisée.
Une violation caractérisée justifiant la résiliation du bail
L’exploitation d’une activité non conforme à la clause de destination du bail engage la responsabilité contractuelle du preneur. Le juge n’a pas à vérifier la bonne foi du locataire ou l’absence de trouble pour les voisins : le manquement s’analyse in abstracto à l’aune du contrat.
Dans ce cas, la résiliation judiciaire du bail est fondée, sans qu’il soit nécessaire de démontrer un préjudice spécifique pour le bailleur. La Cour relève que le preneur n’a entrepris aucune démarche de régularisation après l’introduction de l’instance, aggravant ainsi la gravité de son comportement.
Conséquences opérationnelles et contractuelles
L’arrêt invite les praticiens à renforcer la vigilance rédactionnelle autour de la clause de destination, en précisant notamment :
- les limites exactes de l’activité autorisée (type de service, équipements, superficie de cuisine) ;
- les conditions de déspécialisation partielle autorisée, en référence à l’article [[L. 145-47 du Code de commerce]] ;
- les procédures à suivre en cas de projet d’évolution de l’activité.
Pour les bailleurs institutionnels ou gestionnaires de portefeuille, ce type de contentieux doit être anticipé par :
- une surveillance contractuelle renforcée (contrôle périodique, rapport d’activité du preneur) ;
- une rédaction structurée de la clause de résiliation en cas de manquement ;
- un recours aux clauses pénales ou indemnités spécifiques en cas d’exploitation non autorisée.
La décision rendue par la Cour de cassation le 27 mars 2025 constitue une illustration rigoureuse de la sanction attachée à la modification unilatérale de la destination contractuelle. Elle rappelle qu’en matière de bail commercial, la conformité à la destination prévue n’est pas une simple formalité, mais une obligation essentielle, dont le non-respect peut justifier la résiliation du contrat.
Dans un contexte de diversification croissante des activités de restauration, cette jurisprudence alerte les professionnels sur la nécessité d’anticiper, d’encadrer et de documenter toute évolution de l’activité exercée dans les lieux loués.
LE BOUARD AVOCATS
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