Une affaire emblématique des subtilités du contrôle fiscal

Dans une décision confirmée par le Conseil d’État, la cour administrative d’appel de Marseille a validé la régularité d’une procédure d’évaluation d’office et de taxation d’office mise en œuvre à l’encontre d’un contribuable relevant du régime micro-BIC. L’administration avait envoyé des mises en demeure de déposer des déclarations fiscales, sans démontrer au préalable que les seuils de sortie du régime micro étaient franchis.

 

Ce contentieux, à première vue technique, révèle une problématique centrale : l’administration peut-elle mettre en œuvre la procédure de droit commun d’évaluation d’office pour un contribuable se disant au régime micro sans prouver à l’avance que les conditions de ce régime sont perdues ? Les juridictions répondent par l’affirmative, renforçant l’opérabilité du contrôle fiscal.

 

Les faits : une activité commerciale en apparence sous régime micro-BIC

Mme B., exploitante individuelle dans le secteur de la restauration de plage, n’avait jamais déposé de déclarations selon un régime réel, déclarant bénéficier du régime micro-BIC prévu à l’article 50-0 du CGI. Elle estimait également pouvoir prétendre à la franchise en base de TVA.

 

À l’issue d’une vérification de comptabilité portant sur trois exercices, l’administration a considéré que la contribuable ne remplissait pas les conditions requises pour bénéficier de ces régimes. Elle a adressé à Mme B. des mises en demeure de produire ses déclarations de résultats et de TVA pour les années 2013 à 2015.

 

Mme B. étant restée silencieuse, l’administration a engagé la procédure d’évaluation d’office (article L. 73, 1° du LPF) pour les BIC, et la taxation d’office à la TVA (article L. 66, 3° du LPF).

 

L’argument du contribuable : le régime micro comme protection procédurale

Pour contester les redressements, la requérante soutenait que, tant qu’il n’avait pas été démontré qu’elle dépassait les seuils du régime micro-BIC, l’administration ne pouvait pas lui appliquer la procédure d’évaluation d’office de droit commun. Elle considérait que seul le 1° bis de l’article L. 73 du LPF, applicable aux contribuables micro, pouvait justifier une telle mesure, et que les conditions n’en étaient pas remplies.

 

Les juridictions ont fermement écarté cette analyse.

 

L’enseignement de la jurisprudence : une appréciation préalable discrétionnaire

La cour administrative d’appel de Marseille, dans son arrêt du 5 octobre 2023 (n° 21MA04415), considère que l’administration peut, dès lors qu’elle estime que les seuils du régime micro sont dépassés, adresser une mise en demeure sur le fondement de l’article L. 73, 1° du LPF, sans avoir à en démontrer formellement le dépassement au moment de l’envoi.

 

Autrement dit, l’appréciation de l’administration suffit pour déclencher la procédure d’évaluation d’office, sous réserve que la mise en demeure soit régulière, et que le contribuable n’y donne pas suite.

 

Le Conseil d’État, par décision de non-admission du 10 mars 2025 (n° 489946), a entériné cette position, la rendant désormais incontestable.

 

Sur la régularité de la mise en demeure

L’article L. 68 du LPF impose que la mise en demeure donne au contribuable un délai de 30 jours pour régulariser sa situation. Aucune obligation de motivation n’est exigée. Cette souplesse procédurale, confirmée par une jurisprudence constante (CE 7 sept. 2009, n° 308751 ; CE 13 juill. 2006, n° 271055), permet à l’administration de préserver la dynamique du contrôle sans s’exposer à un vice de procédure sur le fondement du droit à une motivation formalisée.

 

Dans l’affaire commentée, la cour rappelle qu’il importe peu que le régime micro ait été initialement invoqué par le contribuable, dès lors qu’il ne respecte pas ses obligations déclaratives et que l’administration a estimé que les seuils étaient dépassés.

 

Taxation d’office à la TVA : une liberté encore plus grande

Le régime de la TVA est encore plus rigide. L’article L. 66, 3° du LPF permet la taxation d’office des redevables qui n’ont pas souscrit leur déclaration dans le délai légal, sans qu’il soit nécessaire d’envoyer une mise en demeure. Le Conseil d’État l’a rappelé dans des décisions constantes, notamment en assemblée plénière (CE, ass., 21 juin 1985).

 

Dans le cas de Mme B., bien que l’administration ait émis une mise en demeure, elle n’était pas juridiquement tenue de le faire, ce qui renforce la solidité de la procédure.

 

Le renversement de la charge de la preuve

Une fois la procédure d’imposition d’office engagée, le contribuable doit renverser la charge de la preuve en application de l’article L. 193 du LPF. Il lui revient de démontrer l’exagération des bases d’imposition.

 

Mme B. a tenté de contester la méthode de reconstitution du chiffre d’affaires, en produisant deux estimations alternatives fondées sur des hypothèses de clientèle et des ratios de vente. La cour a estimé que ces projections n’étaient pas suffisamment étayées ni crédibles, notamment en l’absence de comptabilité fiable.

 

Les charges sociales évoquées n’étaient quant à elles ni justifiées, ni déductibles, faute de paiement ou de provision comptable régulière. La cour a donc validé l’intégralité des redressements.

 

Une jurisprudence qui sécurise l’action de l’administration

La solution retenue n’est pas isolée. En 2012, la cour administrative d’appel de Lyon (13 juill. 2012, n° 11LY01628) avait déjà admis qu’un contribuable relevant du micro-BIC pouvait faire l’objet d’une évaluation d’office classique si l’administration estimait qu’il dépassait les seuils. L’arrêt de Marseille s’inscrit dans cette lignée, et sa validation par le Conseil d’État confirme une doctrine constante.

 

La position retenue permet à l’administration d’agir rapidement sans avoir à engager un débat préliminaire sur le régime applicable. Elle consacre la primauté des constatations du contrôle sur les mentions déclaratives du contribuable.

 

Précautions pratiques pour les contribuables et leurs conseils

Cette jurisprudence impose une vigilance accrue :

 

  • Les contribuables micro doivent pouvoir justifier à tout moment de leur chiffre d’affaires réel.

 

  • L’absence de déclaration, même dans le cadre du régime micro, peut justifier une évaluation d’office sans autre formalité préalable.

 

  • Les professionnels doivent veiller à réagir rapidement à toute mise en demeure, même si celle-ci ne semble pas conforme au régime déclaré.

 

  • En cas de contrôle, la constitution de pièces justificatives détaillées (ventes, achats, charges, inventaires) devient essentielle pour éviter une reconstitution unilatérale défavorable.

 

Ce qu’il faut retenir

  • Une mise en demeure est régulière même si le contribuable se dit micro-BIC, dès lors que l’administration estime que les seuils sont dépassés.

 

  • La procédure d’évaluation d’office de droit commun peut être déclenchée sans démonstration préalable de ce dépassement.

 

  • En matière de TVA, aucune mise en demeure n’est nécessaire pour engager une taxation d’office.

 

  • La motivation de la mise en demeure n’est pas requise, y compris pour les déclarations BIC ou 2065.

 

  • Le contribuable taxé d’office supporte la charge de la preuve intégrale.

 

Conclusion

L’affaire Mme B. illustre parfaitement la dynamique actuelle du droit fiscal : la sécurisation procédurale de l’administration prime, et la charge de la régularité pèse plus que jamais sur le contribuable. Face à cette rigueur croissante, les professionnels doivent conseiller à leurs clients la transparence totale et la réactivité immédiate, sans quoi la fiscalité forfaitaire risque de se substituer aux règles déclaratives.

 

 

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