Le développement structurel du télétravail a conduit la jurisprudence sociale à affiner les conditions de prise en charge par l’employeur des sujétions particulières induites par l’usage du domicile à des fins professionnelles. Parmi celles-ci figure la question spécifique de l’indemnité d’occupation du domicile, distincte du remboursement des frais professionnels, et dont l’octroi repose sur des fondements autonomes. Le présent article dresse une synthèse des régimes applicables, à la lumière des évolutions jurisprudentielles les plus récentes.

 

La qualification juridique de l’occupation du domicile : une sujétion hors contrat

L’occupation du domicile du salarié pour l’exécution du contrat de travail ne relève pas, par principe, de l’économie générale du contrat. En effet, selon la Cour de cassation, le salarié ne peut être contraint de mettre à disposition une partie de son espace personnel sans que cela ne donne lieu à compensation.

 

Ce principe découle de l’article L. 1121-1 du Code du travail, qui prohibe toute atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux, et notamment au respect de la vie privée. Il s’inscrit dans une logique de protection de l’intégrité matérielle et personnelle du salarié, face à l’ingérence potentielle de l’activité professionnelle dans la sphère domestique.

 

La reconnaissance prétorienne d’un droit à indemnisation

Absence de local professionnel mis à disposition

Lorsque l’employeur ne met pas à disposition un local professionnel adapté, et que le salarié se voit dans l’obligation d’utiliser son domicile pour accomplir ses missions, une indemnité d’occupation est due.

 

Ce principe est issu de plusieurs arrêts notables :

 

  • Cass. soc., 12 déc. 2012, n° 11-20.502
  • Cass. soc., 8 nov. 2017, n° 16-18.499

 

Dans ces cas, la Cour admet que l’absence de lieu de travail dédié impose au salarié une contrainte objectivable, justifiant l’octroi d’une compensation financière au titre de l’occupation partielle de son domicile à des fins professionnelles.

 

Usage imposé du domicile par l’employeur

Il en va de même lorsque l’initiative de cette modalité d’exécution du contrat émane directement de l’employeur. L’usage du domicile n’étant alors ni volontaire ni contractuellement prévu, la jurisprudence reconnaît la nécessité d’indemniser cette sujétion particulière (Cass. soc., 7 avr. 2010, n° 08-44.865 ; Cass. soc., 14 sept. 2016, n° 14-21.893).

 

L’évolution récente : l’intégration du télétravail dans le raisonnement de la Cour de cassation

Un tournant jurisprudentiel significatif est intervenu avec l’arrêt du 19 mars 2025 (Cass. soc., n° 22-17.315), publié au Bulletin. La chambre sociale s’appuie, pour la première fois, sur l’article L. 1222-9 du Code du travail, relatif au télétravail, pour reconnaître qu’en cas d’accord entre les parties sur cette modalité, l’occupation du domicile à des fins professionnelles constitue une immixtion compensable.

 

La Cour considère que le salarié peut prétendre à une indemnité d’occupation de son domicile dans le cadre du télétravail, dans deux cas :

 

  • lorsque aucun local professionnel n’est mis effectivement à sa disposition ;
  • ou lorsqu’il est convenu que le travail s’effectuera en tout ou partie à domicile.

 

Cette formulation est reprise dans un second arrêt du 2 avril 2025 (Cass. soc., n° 23-22.158), marquant une volonté de stabilisation du raisonnement.

 

 Notons que l'indemnité ainsi visée est distincte des frais professionnels engagés pour le compte de l’employeur, et ne saurait être absorbée par leur prise en charge.

 

Télétravail volontaire et indemnité d’occupation : une articulation restrictive

Il est constant que le salarié qui sollicite de son propre chef le télétravail, alors qu’un poste de travail est disponible dans l’entreprise, ne peut prétendre à une indemnité d’occupation.

 

Cass. soc., 4 déc. 2013, n° 12-19.667

 

Cette position repose sur l’absence de contrainte : la décision étant unilatérale et volontaire, elle ne saurait fonder un droit à compensation. Il convient toutefois de vérifier si un tel télétravail est régi par un accord collectif, une charte ou un avenant, auquel cas la question pourrait se reposer sous un autre angle.

 

Circonstances exceptionnelles et télétravail imposé

L’article L. 1222-11 du Code du travail autorise l’employeur à imposer temporairement le télétravail en cas de menace épidémique, de catastrophe naturelle ou de force majeure. Dans ce cadre, la question de l’indemnité d’occupation reste juridiquement ouverte.

 

En pratique, on peut soutenir que l’imposition unilatérale du télétravail dans de telles circonstances, sans mise à disposition de local professionnel, entraîne une sujétion objective susceptible de justifier une indemnité, selon la logique retenue dans les arrêts précités.

 

Mise en œuvre : modalités pratiques et charge de la preuve

L’octroi de l’indemnité d’occupation repose sur la démonstration de plusieurs éléments factuels :

 

  • l’utilisation effective d’une partie du domicile à des fins professionnelles ;
  • l’absence de poste de travail alternatif ;
  • ou l’existence d’un accord écrit sur le télétravail.

 

La charge de la preuve incombe au salarié. Il pourra utilement produire :

 

  • des attestations ;
  • des photographies ou plans ;
  • un relevé de surfaces utilisées ;
  • des éléments de contexte (volume horaire, exclusivité du télétravail...).

 

Le montant de l’indemnité n’est pas réglementé. Il peut être fixé forfaitairement, ou calculé au prorata de la surface et de la durée d’occupation. Il est admis qu’elle peut être versée indépendamment du remboursement de frais.

La jurisprudence récente tend à consacrer un véritable droit à indemnité pour l’occupation du domicile du salarié dans le cadre du télétravail, dès lors que celui-ci résulte d’une contrainte organisationnelle ou d’un accord formalisé. Ce droit s’ajoute, sans s’y substituer, aux règles relatives à la prise en charge des frais professionnels.

 

L’employeur doit veiller à encadrer par écrit les modalités du télétravail et à clarifier l’existence ou non de compensation spécifique, afin de prévenir les litiges. Quant au salarié, il lui appartient de documenter précisément son usage du domicile, pour asseoir une éventuelle demande d’indemnisation.

 

 

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