Une réforme silencieuse, mais lourde de conséquences pratiques

Depuis le 1er septembre 2024, la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) a profondément modifié son interprétation des règles d’indemnisation des arrêts maladie en cas d’interruption non prescrite. Ce changement, bien que peu médiatisé, constitue une inflexion notable du régime applicable : toute période, même brève, non couverte par une prescription médicale entre deux arrêts de travail rend le salarié inéligible aux indemnités journalières (IJ).

 

En d'autres termes, la simple absence de prescription médicale sur un week-end ou un jour férié entraîne la perte d'indemnisation, y compris lorsque l’arrêt suivant est expressément qualifié de « prolongation » par le médecin. Il s'agit d'une rupture avec la tolérance antérieure, qui admettait l’indemnisation dans la limite de deux jours non couverts.

 


Un durcissement de la doctrine administrative sans modification légale

Aucun texte législatif ou règlementaire n’est venu expressément modifier les articles L. 321-1 et suivants du Code de la sécurité sociale. Il s’agit d’un changement doctrinal opéré unilatéralement par la CNAM et relayé par certaines caisses primaires d’assurance maladie (CPAM), fondé sur une stricte lecture de la nécessité d’une continuité de prescription.

 

Ce durcissement emporte trois conséquences juridiques majeures :

 

  • Exclusion systématique des jours intercalaires non prescrits de l’indemnisation, y compris en cas de prolongation effective ;

 

  • Réinitialisation du délai de carence de trois jours si la nouvelle prescription est considérée comme un arrêt « initial » ;

 

  • Nécessité d’une nouvelle attestation de salaire, sauf si la prescription suivante est reconnue comme une vraie prolongation avec continuité.

 


La protection du salarié affaiblie par une approche strictement formelle

Ce glissement doctrinal génère un risque élevé de rupture dans la couverture sociale du salarié, sans qu’il n’en ait nécessairement conscience ni maîtrise.

 

1. Rupture de droits en cas de retard de consultation

Il suffit que le salarié consulte son médecin un jour après la fin de l’arrêt initial (ex. : le lundi suivant un arrêt se terminant le vendredi) pour se voir refuser toute indemnisation au titre des jours non couverts, même s’il présente des symptômes constants. Le droit aux IJ ne tient donc plus qu’à la capacité d’anticipation du salarié, ou à la diligence du professionnel de santé.

 

2. L’absence de proportionnalité entre la carence réelle et la sanction

Le salarié peut se voir refuser l’indemnisation de deux jours non prescrits, tout en étant reconnu médicalement inapte à reprendre le travail dès le jour suivant. Cette logique purement formelle contredit le principe de proportionnalité, qui devrait encadrer toute restriction au droit à la protection sociale (CE, 2005, n° 273829).

 


Une complexification accrue des obligations déclaratives de l’employeur

Les employeurs ne sont pas épargnés. En pratique, le nouveau régime implique une révision des procédures de déclaration dans la Déclaration Sociale Nominative (DSN).

 

Désormais :

 

  • Un nouveau signalement arrêt de travail est requis si la prescription suivante est qualifiée d'« initiale » par le médecin et que l'interruption dépasse deux jours ;

 

  • La prolongation dans la DSN mensuelle ne peut être utilisée que si la continuité de prescription est intégrale et que l’arrêt est bien libellé en prolongation.

 

En cas de mauvaise déclaration, les risques sont doubles : absence d’IJ pour le salarié, mais également rejet du signalement par les organismes sociaux, source de contentieux potentiels.

 


 

Conclusion : une réforme de fait, aux effets juridiques discutables

Ce changement de doctrine, non accompagné de texte législatif ni de concertation, constitue une fragilisation importante du droit à indemnisation du salarié malade. Il impose une vigilance renforcée aux professionnels du droit social, tant pour sécuriser les droits du salarié que pour conseiller les employeurs dans leurs pratiques déclaratives.

 

Dans un contexte de complexification croissante du droit de la protection sociale, ce type d’évolution unilatérale appelle une clarification formelle par le législateur, faute de quoi l’insécurité juridique – pour les assurés comme pour les entreprises – continuera de s’amplifier.

 

 

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