Un enjeu fiscal stratégique pour les entreprises

La fiscalité des plus-values professionnelles est un terrain complexe où les notions comptables, juridiques et économiques s’entrecroisent. Le régime d’exonération prévu à l’article 151 septies du Code général des impôts (CGI) offre aux entreprises réalisant des cessions d’actifs un levier puissant pour alléger leur charge fiscale. Cependant, pour bénéficier de ce dispositif, il est impératif que les recettes annuelles de l’entreprise restent sous certains seuils. C’est précisément l’interprétation de ces "recettes" qui a récemment fait l’objet d’un débat tranché par la cour administrative d’appel de Paris dans un arrêt du 28 mars 2025 (n° 23PA05320).

 

Le régime d’exonération des plus-values prévu par l’article 151 septies du CGI

Les conditions de fond : ancienneté et seuils de chiffre d’affaires

Pour prétendre à l’exonération des plus-values professionnelles, l’entreprise doit remplir deux conditions :

 

  • Avoir exercé son activité depuis au moins cinq ans ;

 

  • Réaliser un chiffre d’affaires annuel inférieur à un plafond fixé par la loi fiscale.

 

Pour les entreprises agricoles ou commerciales, ce plafond est fixé à 250 000 euros pour une exonération totale, et à 350 000 euros pour une exonération partielle.

 

Une application sujette à interprétation

Le texte de loi ne précise pas si les recettes exceptionnelles, notamment les produits issus de la cession d’actifs immobilisés, doivent être intégrées au calcul du seuil. En pratique, c’est cette ambiguïté qui a nourri la divergence entre doctrine administrative et jurisprudence.

 

Doctrine administrative : une exclusion des produits exceptionnels

L’administration fiscale, dans sa doctrine BOFiP (BOI-BIC-PVMV-40-10-10-20 n° 390), a longtemps soutenu que certaines recettes exceptionnelles devaient être exclues du calcul du seuil d’exonération, notamment celles provenant de la cession d’éléments d’actif. Cette position se fondait sur une lecture rigoureuse et comptable du texte, distinguant recettes "ordinaires" et produits "hors activité".

 

Pour les contribuables, cette doctrine constituait un appui solide pour exclure, dans leur déclaration, les produits non récurrents. Mais cette vision a été remise en question par une jurisprudence récente.

 

Une jurisprudence de rupture : l’arrêt de la CAA de Paris du 28 mars 2025

Les faits : une entreprise de travaux agricoles en litige

Dans l’affaire jugée par la CAA de Paris, les associés d’une société de travaux agricoles contestaient le refus de l’administration de leur accorder l’exonération prévue à l’article 151 septies. Le motif : les recettes de la société, une fois les ventes de matériel agricole incluses, dépassaient le seuil légal.

 

Pour leur défense, les contribuables faisaient valoir que ces ventes, bien qu’enregistrées comptablement en "produits exceptionnels", ne faisaient pas partie des recettes à prendre en compte, au sens de la doctrine administrative.

 

La décision : une approche économique du chiffre d’affaires

La cour rejette l’analyse formelle de la qualification comptable et adopte une lecture économique. Elle retient que ces ventes régulières de matériel s’inscrivent dans le cycle normal d’exploitation de l’entreprise. En effet, le renouvellement fréquent du matériel était une nécessité pour maintenir la performance des prestations agricoles. Dès lors, les recettes issues de ces cessions relevaient de l’activité professionnelle "normale et courante" au sens du plan comptable général (article 512-2).

 

Une conséquence directe sur le seuil d’exonération

La cour conclut que ces recettes doivent être incluses dans le calcul du plafond prévu à l’article 151 septies. Ce faisant, elle redéfinit le périmètre des recettes annuelles sur la base de la logique économique et non de la classification comptable.

 

Le contribuable reste protégé par la doctrine administrative

L’application de l’article L. 80 A du Livre des procédures fiscales

La cour rappelle toutefois que les contribuables restent fondés à se prévaloir de la doctrine administrative, en vertu de l’article L. 80 A du LPF. Ainsi, tant que cette doctrine n’est pas modifiée, le redevable peut en réclamer l’application, même si une juridiction adopte une lecture différente de la loi.

 

Dans le cas d’espèce, les contribuables ont obtenu gain de cause sur ce fondement, la cour ayant admis que la doctrine, bien qu’inférieure dans la hiérarchie des normes, produit un effet protecteur au bénéfice du contribuable.

 

Enseignements pratiques pour les dirigeants d’entreprise

Analyser la nature des recettes litigieuses

Pour éviter tout redressement, il est conseillé d’analyser les produits enregistrés comme exceptionnels au regard de leur régularité et de leur lien avec l’activité économique principale de l’entreprise. Sont notamment à surveiller :

 

  • Les ventes d’immobilisations récurrentes ;

 

  • Les indemnités contractuelles ;

 

  • Les subventions d’équipement ;

 

  • Les revenus issus d’activités accessoires mais régulières.

 

Sécuriser sa position fiscale

En cas de doute, deux stratégies sont envisageables :

 

  • Se conformer à la doctrine administrative publiée et l’invoquer expressément dans les déclarations ;

 

  • Solliciter un rescrit fiscal pour sécuriser la position retenue.

 

Dans tous les cas, la documentation des opérations (contrats, factures, historique de cession) sera déterminante pour convaincre l’administration ou un juge du caractère économique habituel de la recette.

 

Vers une fiscalité ancrée dans la réalité économique

L’affaire tranchée par la cour administrative d’appel de Paris démontre que la qualification fiscale des recettes ne saurait reposer uniquement sur leur traitement comptable. Ce sont la récurrence, l’utilité économique et l’intégration dans le modèle d’activité qui détermineront leur inclusion ou non dans les seuils d’exonération prévus par l’article 151 septies du CGI.

 

Pour les entreprises concernées par des opérations de cession d’actifs, cette jurisprudence impose une vigilance renforcée. L’accompagnement par un avocat en droit des affaires devient essentiel pour orienter les choix stratégiques, sécuriser les déclarations fiscales et, le cas échéant, contester un rehaussement sur des bases solides, à la lumière des derniers développements jurisprudentiels.

 

 

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