Une responsabilité lourde qui repose sur les ressources humaines

Les ressources humaines sont en première ligne lorsqu’un salarié alerte sur des faits de harcèlement moral, sexuel ou d’agissements sexistes. Cette position n’est pas anodine : le Code du travail impose à l’employeur une obligation de sécurité (art. L. 4121-1), qui s’étend à la protection de la santé physique et mentale des salariés.

 

Concrètement, cela signifie que le service RH devient le chef d’orchestre de la gestion de crise. Dès la réception d’un signalement, il doit réagir vite et coordonner les actions : sécuriser la victime présumée, informer la hiérarchie, et déclencher si nécessaire une enquête interne.

 

Une vigilance accrue en cas de harcèlement

Les articles L. 1152-1 et L. 1153-1 du Code du travail interdisent toute forme de harcèlement. La responsabilité de l’employeur peut être engagée, même en l’absence de faute intentionnelle, dès lors qu’il n’a pas pris toutes les mesures pour prévenir ou faire cesser les comportements en cause.


Pour les RH, cela signifie que l’inaction ou la gestion approximative d’un signalement est une erreur aux conséquences juridiques et sociales considérables.

 


L’enquête interne : non imposée, mais fortement recommandée

Contrairement à ce que certains pensent, la loi ne prévoit pas expressément l’obligation de diligenter une enquête interne après un signalement. Cependant, les juges exigent que l’employeur prenne toutes mesures utiles. Dans la pratique, l’enquête est devenue l’outil privilégié pour répondre à cette exigence.

 

Pour les RH, elle présente plusieurs atouts :

 

  • Objectiver les faits et éviter les décisions basées sur des rumeurs.

 

  • Protéger la victime présumée par des mesures conservatoires proportionnées.

 

  • Donner la parole au salarié mis en cause afin de respecter le contradictoire.

 

  • Démontrer la diligence de l’employeur en cas de contentieux ultérieur.

 

  • Préparer la communication interne et préserver le climat social.

 


Quand une enquête incomplète se retourne contre l’employeur

La Cour de cassation a rappelé récemment que produire une enquête interne incomplète est un pari dangereux. Les juges du fond apprécient librement la valeur probante d’un rapport.
Un dossier partiel, tronqué ou orienté est susceptible d’être écarté, avec des conséquences lourdes : le licenciement du salarié mis en cause peut être jugé sans cause réelle et sérieuse, le doute devant toujours profiter au salarié (art. L. 1235-1 du Code du travail).

 

Les erreurs fréquentes constatées dans les rapports

  • Ne produire que certains témoignages, en écartant ceux favorables au salarié.

 

  • Caviarder ou tronquer les auditions de manière excessive.

 

  • Ne pas expliquer la méthodologie de l’enquête.

 

  • Formuler des conclusions vagues, sans rattacher les faits aux dispositions légales.

 

  • Oublier d’entendre le salarié mis en cause.

 

Pour un service RH, ces erreurs sont à proscrire : elles fragilisent non seulement la décision disciplinaire, mais aussi la crédibilité de la direction.

 


Étapes clés pour une enquête RH rigoureuse

1. Préparer l’enquête et définir le cadre

  • Identifier la personne ou l’équipe qui conduira l’enquête.

 

  • Formaliser les règles de confidentialité et d’impartialité.

 

  • Définir le périmètre : quelles personnes auditionner, quels documents examiner.

 

2. Mettre en place des mesures conservatoires

Selon la gravité des faits présumés, les RH peuvent recommander :

 

  • l’éloignement temporaire du salarié mis en cause ;

 

  • la mise en place de télétravail pour éviter les interactions directes ;

 

  • une mise à pied conservatoire si les faits semblent graves.

 

Ces mesures ne préjugent pas du fond et doivent rester provisoires.

 

3. Conduire les auditions

  • Préparer une trame de questions neutres et ouvertes.

 

  • Garantir un climat de confiance lors des entretiens.

 

  • Consigner les propos de manière exhaustive.

 

  • Proposer à la personne auditionnée de relire et valider le compte rendu.

 

4. Exploiter les documents et données internes

Les RH peuvent avoir accès à des mails, notes ou documents professionnels. Attention : les courriels professionnels d’un salarié constituent des données personnelles au sens du RGPD. Ils peuvent être communiqués au salarié à sa demande, sauf atteinte aux droits d’autrui.

 

5. Rédiger le rapport d’enquête

Le rapport doit être clair, structuré et complet :

 

  • rappel du contexte et de la méthodologie ;

 

  • exposé des faits recueillis, sans interprétation ;

 

  • analyse juridique rattachant les faits aux textes applicables ;

 

  • conclusions motivées et propositions éventuelles de mesures.

 


L’équilibre entre confidentialité et transparence

Le service RH doit naviguer entre deux impératifs : protéger l’anonymat des témoins et fournir des éléments probants au juge.
L’anonymisation est possible, mais elle doit être transparente : indiquer qu’un témoin a souhaité rester anonyme est acceptable ; supprimer des passages entiers qui pourraient éclairer la décision ne l’est pas.

 


Les risques d’une enquête mal menée

Pour l’entreprise et ses RH, une enquête incomplète entraîne plusieurs risques :

 

  • Contentieux prud’homal coûteux : condamnations pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

 

  • Atteinte à la réputation : suspicion de complaisance ou de protection du mis en cause.

 

  • Détérioration du climat social : sentiment d’injustice chez les salariés.

 

  • Perte de confiance envers les services RH et la direction.

 


Conseils pratiques pour les RH

  • Anticiper : mettre en place en amont une procédure interne de gestion des signalements.

 

  • Se former : les RH doivent être sensibilisés aux techniques d’audition et aux obligations légales.

 

  • Documenter : conserver la trace de chaque étape, même des décisions intermédiaires.

 

  • Recourir à un tiers externe dans les cas les plus sensibles pour éviter tout soupçon de partialité.

 

  • Prévoir un suivi post-enquête : mesures de prévention, communication interne, accompagnement psychologique si nécessaire.

 


Un rôle stratégique pour les RH dans la gouvernance

L’enquête interne ne doit pas être perçue comme un simple outil défensif. Pour les RH, elle s’inscrit dans une démarche plus large de gouvernance et de prévention des risques psychosociaux.
Bien menée, elle démontre que l’entreprise prend au sérieux ses obligations, qu’elle protège ses collaborateurs et qu’elle s’inscrit dans une politique de transparence.

 


Conclusion : rigueur et impartialité comme lignes directrices

Pour un service RH, conduire une enquête interne sur des faits de harcèlement est une mission sensible qui engage à la fois la responsabilité de l’entreprise et la confiance des salariés.
La clé réside dans la rigueur méthodologique et l’impartialité. Un rapport complet, clair et loyal constitue la meilleure protection contre les risques juridiques et sociaux.

 

À l’inverse, une enquête partielle ou biaisée se retourne presque toujours contre l’employeur, fragilise la décision disciplinaire et mine la crédibilité des ressources humaines.

 

Les RH, véritables gardiens de l’équilibre social, doivent donc aborder l’enquête interne non comme une contrainte, mais comme un instrument stratégique de protection et de prévention.

 

 

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