Un contentieux emblématique entre champagne et crémant

Le parasitisme économique constitue une arme redoutée dans les litiges de concurrence. Souvent invoqué par des entreprises désireuses de protéger leurs investissements publicitaires et marketing, il permet de sanctionner la reprise jugée déloyale d’éléments valorisant un produit ou une gamme.

 

L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 4 juin 2025 (n° 24-11.507) illustre les limites de cette protection. Saisie d’un contentieux opposant la société Moët Hennessy champagnes et services (MHCS), exploitant notamment la maison Veuve Clicquot, à la société coopérative Wolfberger, productrice de crémants d’Alsace, la Haute juridiction a confirmé le rejet d’une action en parasitisme.

 

MHCS reprochait à son concurrent d’avoir adopté un habillage et une communication trop proches de ceux de sa gamme de champagnes Rich et Rich Rosé, lancée en 2015 et 2016. Selon elle, l’utilisation de manchons argentés et de visuels associant bouteilles et cocktails avec glaçons démontrait une volonté de s’inscrire dans son sillage.

 

Le parasitisme : rappel des critères applicables

Le parasitisme économique est traditionnellement défini comme la volonté d’un opérateur de tirer profit, à moindres frais, des efforts réalisés par un concurrent. La jurisprudence rattache cette pratique à la responsabilité délictuelle de l’article 1240 du Code civil.

 

Deux critères sont essentiels :

 

  • l’existence d’une valeur économique individualisée, fruit d’investissements ou d’un savoir-faire spécifique ;

 

  • la volonté du concurrent de profiter indûment de cette valeur, en se plaçant volontairement dans son sillage.

 

Contrairement à la contrefaçon, le parasitisme ne suppose pas l’existence d’un droit privatif. Mais il ne peut être retenu en présence d’éléments banals ou de tendances partagées par un secteur.

 

Les arguments de Moët Hennessy

MHCS faisait valoir que ses champagnes Rich et Rich Rosé avaient fait l’objet d’investissements considérables :

 

  • choix d’un habillage spécifique (bouteilles recouvertes d’un manchon argenté brillant) ;

 

  • campagnes de communication innovantes autour de la consommation du champagne en cocktail ;

 

  • événements promotionnels de grande ampleur.

 

Pour MHCS, ces efforts caractérisaient une valeur économique individualisée, dont Wolfberger se serait indûment inspirée en lançant ses crémants habillés de manchons métallisés et en recourant à des visuels promotionnels similaires.

 

L’appréciation des juges du fond

La cour d’appel de Paris (8 novembre 2023) rejette cette argumentation. Elle retient que :

 

  • les habillages différaient sensiblement (effet miroir scintillant pour MHCS, métallisé mat pour Wolfberger) ;

 

  • les logos et les codes graphiques apposés sur les bouteilles n’étaient pas identiques ;

 

  • les visuels représentant un cocktail avec glaçons et fruits étaient descriptifs et usuels dans l’univers des vins pétillants.

 

Les magistrats rappellent également que l’usage de manchons opaques argentés existait déjà depuis 2004 chez d’autres producteurs. MHCS ne pouvait donc en revendiquer l’exclusivité. Enfin, ils notent que la société ne démontrait pas que sa gamme Rich avait acquis une notoriété particulière au moment où Wolfberger lançait ses bouteilles.

 

La position de la Cour de cassation

La Cour de cassation confirme cette analyse. Elle rappelle que le parasitisme exige la démonstration d’un comportement fautif consistant à se placer délibérément dans le sillage d’autrui afin de tirer profit de ses efforts.

 

Or, selon la Haute juridiction, Wolfberger ne s’est pas inscrite dans le sillage de MHCS, mais a cherché à se conformer aux codes du marché des vins pétillants destinés aux cocktails. L’impression d’ensemble produite par les bouteilles et les campagnes différait, et les éléments reprochés (manchons argentés, verres à cocktails) appartenaient à l’usage commun du secteur.

 

L’action en parasitisme devait donc être écartée.

 

Les enseignements de cette décision

La protection des codes visuels reste limitée

Une entreprise ne peut prétendre s’approprier des éléments esthétiques ou marketing considérés comme banals. La banalité exclut la qualification de valeur économique individualisée. C’est le cas des manchons argentés, déjà utilisés par d’autres acteurs depuis plusieurs années, ou des cocktails illustrés par des verres de fruits et glaçons.

 

La notoriété doit être démontrée

La Cour rappelle l’importance de la preuve. Pour invoquer le parasitisme, il ne suffit pas d’avoir investi massivement. Il faut établir que ces efforts ont permis de créer une véritable notoriété. Or, en 2016, les champagnes Rich de MHCS étaient encore trop récents pour constituer une référence immédiatement identifiable.

 

Se conformer à une tendance n’est pas fautif

Adopter les codes d’un marché émergent n’équivaut pas à du parasitisme. Wolfberger a agi dans le cadre d’une stratégie sectorielle, sans volonté de tirer profit directement des investissements de MHCS.

 

Quelles leçons pour les entreprises ?

Cette affaire souligne l’importance de combiner les outils juridiques pour sécuriser une stratégie marketing. Les entreprises ne peuvent se reposer uniquement sur l’action en parasitisme.

 

Trois axes doivent être privilégiés :

 

  • Protéger les signes distinctifs par le droit des marques ;

 

  • Sécuriser les habillages et packagings via l’enregistrement de dessins et modèles ;

 

  • Construire une notoriété forte, permettant de démontrer qu’un produit ou une gamme possède une valeur économique individualisée.

 

Enfin, la décision illustre la vigilance des juges : ils refusent de faire du parasitisme un instrument de privatisation des tendances sectorielles, afin de préserver la libre concurrence.

 

L’arrêt du 4 juin 2025 confirme la ligne jurisprudentielle de la Cour de cassation : le parasitisme économique ne peut être retenu que lorsqu’un opérateur tire indûment profit des efforts d’un concurrent en s’appropriant une valeur économique individualisée.

 

En l’absence de notoriété avérée et face à des codes visuels partagés par le marché, l’action intentée par Moët Hennessy contre Wolfberger ne pouvait prospérer.

 

Pour les entreprises, la leçon est claire : seule une stratégie combinant propriété intellectuelle et valorisation de la notoriété permet de garantir une protection efficace face aux risques concurrentiels.

 

 

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