Comprendre le rôle du rescrit fiscal dans la stratégie d’entreprise

Dans un environnement fiscal en constante évolution, le dirigeant d’entreprise est confronté à une complexité croissante. Le rescrit fiscal, prévu à l’article L. 80 B du Livre des procédures fiscales, apparaît alors comme un outil de sécurisation indispensable. En sollicitant par écrit l’administration, le chef d’entreprise obtient une position claire sur l’application d’un texte fiscal à sa situation.

 

Cette démarche présente un double avantage :

 

  • Elle permet de lever l’incertitude avant une opération structurante.

 

  • Elle engage l’administration, qui ne peut pas ultérieurement revenir sur cette position sans justification.

 

Mais la réalité est plus nuancée. Une réponse défavorable, ou un revirement sur une position initialement favorable, peut bouleverser les projets de l’entreprise. C’est ici qu’intervient la question du recours pour excès de pouvoir (REP), outil contentieux bien connu en droit administratif.

 


Le recours pour excès de pouvoir : un mécanisme limité mais déterminant

Le REP permet à tout justiciable de demander l’annulation d’une décision administrative entachée d’illégalité. Toutefois, en matière de rescrit fiscal, cette voie de droit est en principe fermée. Le contentieux fiscal relève du juge de l’impôt, via un recours de plein contentieux.

 

Le Conseil d’État a cependant ouvert une exception : le recours pour excès de pouvoir est recevable lorsque la décision de rescrit entraîne des effets notables autres que fiscaux.
Autrement dit, si le refus de l’administration a des conséquences qui dépassent le simple paiement de l’impôt, le juge administratif peut être saisi.

 


Quels sont ces “effets notables autres que fiscaux” ?

Pour un chef d’entreprise, la distinction est cruciale. Les effets autres que fiscaux s’apprécient au regard de la situation économique, contractuelle ou organisationnelle de l’entreprise. Ils recouvrent notamment :

 

  • Le renoncement à un projet d’investissement : par exemple, l’abandon d’une implantation dans une zone franche si l’exonération escomptée est refusée.

 

  • La perte d’un avantage concurrentiel : une décision défavorable peut mettre l’entreprise dans une situation désavantageuse par rapport à ses concurrents.

 

  • Des conséquences contractuelles : certains partenaires peuvent conditionner leur engagement à l’octroi d’un régime fiscal particulier.

 

  • Un déséquilibre économique significatif : l’absence de soutien fiscal peut fragiliser la trésorerie et contraindre l’entreprise à revoir sa stratégie de croissance.

 

En pratique, il ne suffit pas d’invoquer une gêne financière : il faut démontrer que la décision de l’administration modifie substantiellement les conditions d’activité de l’entreprise.

 


L’importance du moment où la demande est déposée

Le Conseil d’État a rappelé en juin 2025 que l’antériorité de la demande par rapport à l’opération est déterminante.

 

  • Demande préalable : lorsqu’un rescrit est sollicité avant la réalisation de l’opération, la décision défavorable est automatiquement réputée produire des effets notables autres que fiscaux (article L. 80 B, 2° du LPF). Le recours est donc recevable sans que le dirigeant ait à prouver ces effets.

 

  • Demande postérieure : si le rescrit est demandé après l’opération, la présomption ne joue pas. Le chef d’entreprise doit alors apporter la preuve concrète des effets extra-fiscaux. À défaut, son recours sera déclaré irrecevable.

 

Cette distinction peut sembler technique, mais elle revêt une importance capitale dans la planification des projets.

 


Quand l’administration revient sur une position favorable

L’un des points saillants de la jurisprudence récente est la reconnaissance que l’administration peut revenir sur une décision initialement favorable. Ce revirement, s’il est défavorable, est contestable dans les mêmes conditions qu’un rescrit défavorable classique.

 

Pour un dirigeant, cela signifie que la sécurité juridique apportée par un rescrit favorable n’est pas absolue. En cas de retrait, le recours pour excès de pouvoir est envisageable, à condition de démontrer les effets notables de la nouvelle décision.

 


Enjeux pratiques pour les chefs d’entreprise

La question n’est pas purement théorique. Elle concerne directement la conduite des affaires. En pratique, le dirigeant doit intégrer le rescrit fiscal et sa contestation éventuelle dans sa gestion des risques.

 

Quelques conseils opérationnels :

 

  • Agir en amont : déposer la demande de rescrit avant l’opération afin de bénéficier de la présomption de recevabilité.

 

  • Évaluer les impacts économiques : en cas de réponse défavorable, documenter les conséquences extra-fiscales (études d’impact, pertes contractuelles, coûts additionnels).

 

  • Préparer une stratégie contentieuse : mobiliser à la fois les arguments fiscaux devant le juge de l’impôt et, le cas échéant, les arguments extra-fiscaux devant le juge administratif.

 

  • Sécuriser les partenariats : anticiper les clauses contractuelles dépendantes d’un avantage fiscal, afin de limiter les risques de rupture en cas de refus.

 

  • Considérer le rescrit comme un outil de pilotage : il ne s’agit pas seulement d’une garantie fiscale, mais aussi d’un instrument de gouvernance et de stratégie.

 


Conclusion : un outil à manier avec précaution

Le recours pour excès de pouvoir contre un rescrit fiscal défavorable est une voie étroite mais stratégique. Il ne s’agit pas de contester n’importe quelle décision défavorable, mais de démontrer que celle-ci emporte des conséquences économiques ou juridiques dépassant le simple champ fiscal.

 

Pour les chefs d’entreprise, la leçon est claire :

 

  • anticiper les demandes de rescrit,

 

  • mesurer les impacts concrets d’une décision défavorable,

 

  • et considérer le recours comme un levier de protection de leurs projets.

 

En intégrant cette approche dans leur stratégie, les dirigeants transforment une contrainte fiscale en un véritable outil de gestion des risques et de défense de leurs intérêts.

 

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