Lorsqu’un CDD est requalifié en CDI, certains employeurs pensent pouvoir exiger le remboursement de la prime de précarité versée à la fin du contrat. La Cour de cassation vient rappeler qu’il n’en est rien : l’indemnité demeure acquise au salarié, même après requalification. Cette décision, fondée sur l’article L1243-8 du Code du travail, s’explique par plusieurs principes essentiels :
- Elle compense une précarité réellement subie : le salarié a travaillé sous contrat temporaire, dans une situation objectivement instable.
- La requalification n’efface pas le passé : l’instabilité vécue pendant le CDD ne disparaît pas du seul fait de la décision judiciaire.
- La prime est un complément de salaire : une fois versée, elle devient définitivement acquise, comme toute somme figurant sur le bulletin de paie.
- Le texte ne prévoit aucune restitution : la loi n’inclut pas la requalification parmi les cas où l’indemnité n’est pas due [[C. trav., art. L1243-10]].
- La jurisprudence est constante depuis plus de vingt ans : la Cour de cassation protège ce droit dans plusieurs arrêts de référence [[Cass. soc., 9 mai 2001, n°98-46.205 ; Cass. soc., 30 mars 2005, n°03-42.667 ; Cass. soc., 24 sept. 2025, n°24-15.812]].
Ce rappel de la Haute juridiction s’inscrit dans une logique de sécurité juridique : un salarié ne peut être privé rétroactivement d’un droit déjà acquis au titre d’un contrat régulièrement exécuté.
La chambre sociale de la Cour de cassation a confirmé, dans un arrêt du 24 septembre 2025, qu’un salarié conserve le bénéfice de l’indemnité de précarité perçue à la fin de son CDD, même si le contrat est ultérieurement requalifié en CDI [[Cass. soc., 24 sept. 2025, n°24-15.812]].
Fondée sur l’article L1243-8 du Code du travail [[C. trav., art. L1243-8]], cette décision rappelle une jurisprudence constante selon laquelle la prime de précarité, destinée à compenser l’instabilité du contrat à durée déterminée, ne peut être remise en cause après son versement.
Comprendre le régime juridique de l’indemnité de fin de CDD
L’indemnité de fin de contrat, appelée indemnité de précarité, constitue un complément de salaire versé à la fin du CDD lorsque la relation de travail ne se poursuit pas sous la forme d’un CDI.
Son objectif est clair : compenser la précarité du statut du salarié en contrat à durée déterminée.
L’article L1243-8 du Code du travail en fixe le montant à 10 % de la rémunération totale brute perçue pendant la durée du contrat [[C. trav., art. L1243-8]]. Cette indemnité doit être mentionnée sur le dernier bulletin de paie et versée en même temps que le solde de tout compte.
Le législateur prévoit toutefois des cas limitatifs où elle n’est pas due [[C. trav., art. L1243-10]] :
- Si le CDD se poursuit immédiatement par un CDI ;
- Si le salarié refuse un CDI équivalent proposé par l’employeur ;
- En cas de faute grave ou de force majeure ;
- Pour certains contrats saisonniers ou conclus pendant les vacances scolaires.
En dehors de ces exceptions, toute cessation de CDD ouvre droit à l’indemnité de précarité, même si des litiges ultérieurs viennent modifier la qualification juridique du contrat.
L’arrêt du 24 septembre 2025 : confirmation d’un principe ancien
L’affaire tranchée par la Cour de cassation concernait un salarié ayant perçu la prime de précarité à la fin de son CDD, avant d’obtenir la requalification judiciaire de ce contrat en CDI.
L’employeur, estimant le versement indu, avait réclamé la restitution de la somme.
La cour d’appel avait accueilli cette demande, considérant que la requalification rétroactive faisait disparaître la précarité initiale.
La Cour de cassation censure cette interprétation :
« L’indemnité de précarité, qui compense la situation dans laquelle le salarié est placé du fait de son contrat à durée déterminée, lui reste acquise nonobstant une requalification ultérieure en CDI. » [[Cass. soc., 24 sept. 2025, n°24-15.812 ; C. trav., art. L1243-8]]
Cette décision s’inscrit dans la droite ligne d’une jurisprudence ancienne et constante.
Déjà en 2001, la Haute juridiction avait jugé que la requalification postérieure ne peut remettre en cause l’indemnité versée au titre du CDD [[Cass. soc., 9 mai 2001, n°98-46.205 ; Cass. soc., 30 mars 2005, n°03-42.667]].
La même solution avait été retenue pour les contrats de mission, régis par des dispositions similaires [[Cass. soc., 13 avr. 2005, n°03-41.967]].
Pourquoi la Cour maintient cette solution
Le fondement de cette jurisprudence repose sur la finalité compensatrice de l’indemnité.
La précarité existe pendant toute la durée du CDD : le salarié ignore si son contrat sera renouvelé, il ne bénéficie pas de la stabilité d’un CDI, et ne peut donc planifier sa situation professionnelle.
Une fois le contrat exécuté et le terme atteint, cette précarité a produit ses effets.
La requalification, intervenue a posteriori, ne peut effacer la période d’incertitude vécue par le salarié.
L’indemnité de précarité a vocation à indemniser cet état de fait, indépendamment du statut juridique que les juges attribuent au contrat par la suite.
Ainsi, la Cour de cassation distingue clairement :
- L’objet de la requalification, qui vise à corriger une irrégularité juridique (abus de recours aux CDD) ;
- L’objet de l’indemnité de précarité, qui répare une situation économique subie.
Ces deux logiques ne se confondent pas.
Les effets de la requalification sur les autres droits du salarié
Lorsque le CDD est requalifié en CDI, la décision produit des effets rétroactifs :
- Le salarié est réputé avoir été embauché dès l’origine en CDI [[C. trav., art. L1245-1]] ;
- L’ancienneté se calcule depuis le premier jour du CDD ;
- L’employeur peut être condamné à verser une indemnité spécifique d’au moins un mois de salaire [[C. trav., art. L1245-2]].
S’y ajoutent, selon les cas, les indemnités de rupture pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, les rappels de salaire, les congés payés afférents, ou encore les dommages et intérêts pour irrégularité de procédure.
Toutefois, l’indemnité de précarité ne peut être « neutralisée » par ces autres sommes.
Elle demeure indépendante, car elle compense un préjudice distinct : celui de la précarité vécue pendant le CDD, et non celui lié à la rupture après requalification.
Une différence fondamentale avec les exclusions prévues par la loi
L’article L1243-10 du Code du travail énumère les hypothèses où la prime n’est pas due.
Dans chacune, le législateur considère que la précarité n’existe pas (par exemple, si un CDI est proposé ou poursuivi).
Or, la requalification ne figure pas parmi ces exceptions.
La Cour de cassation s’en tient à une lecture stricte du texte : ce qui n’est pas expressément exclu demeure dû.
Ainsi, même si la requalification produit des effets rétroactifs, elle n’a aucune incidence sur le droit du salarié à conserver la prime déjà versée.
L’employeur qui en demande la restitution viole donc l’article L1243-8 du Code du travail [[C. trav., art. L1243-8]].
Les implications pratiques pour les employeurs et les conseils en droit social
En matière de paie et de conformité
Les services RH doivent veiller à :
- mentionner distinctement l’indemnité de précarité sur le bulletin de paie du dernier mois ;
- conserver la preuve du versement au salarié ;
- s’abstenir de toute compensation ultérieure en cas de requalification.
Une tentative de reprise de la somme pourrait être contestée devant le conseil de prud’hommes et exposer l’employeur à des condamnations supplémentaires, notamment pour exécution déloyale du contrat [[C. civ., art. 1104]].
En matière de stratégie contentieuse
Pour l’employeur, la vigilance doit se concentrer sur la prévention des requalifications.
Il est essentiel de justifier le recours au CDD par un motif objectif (remplacement, accroissement temporaire d’activité, etc.) [[C. trav., art. L1242-2]].
L’absence de cause réelle de recours ou la succession irrégulière de contrats expose à la requalification automatique [[C. trav., art. L1245-1]].
L’avocat en droit social à Versailles doit ainsi anticiper la double conséquence :
- La requalification rétroactive, avec ses effets financiers lourds ;
- L’impossibilité de récupérer l’indemnité de précarité, même en cas de requalification postérieure.
Une jurisprudence protectrice de la logique salariale du CDD
En définitive, la Cour de cassation consacre une lecture cohérente du droit du travail :
le salarié doit être indemnisé pour la précarité qu’il a effectivement subie, indépendamment des irrégularités que l’employeur a pu commettre.
Ce raisonnement illustre une approche finaliste de la norme : la protection du salarié prime sur la cohérence purement technique de la requalification.
En cela, la décision du 24 septembre 2025 s’inscrit pleinement dans la philosophie sociale du Code du travail, qui tend à maintenir un équilibre entre la flexibilité de l’emploi et la garantie de sécurité juridique des travailleurs.
FAQ – Indemnité de précarité et requalification du CDD en CDI
1. L’indemnité de précarité doit-elle toujours être versée à la fin d’un CDD ?
Oui, sauf dans les cas expressément prévus par la loi.
L’article L1243-8 du Code du travail impose à l’employeur de verser au salarié une indemnité de fin de contrat égale à 10 % de la rémunération brute totale perçue pendant la durée du CDD.
Cette prime, dite « indemnité de précarité », vise à compenser l’incertitude professionnelle inhérente à la nature temporaire du contrat.
Elle n’est pas due dans les situations listées à l’article L1243-10 du Code du travail, notamment lorsque :
- le CDD se poursuit par un CDI ;
- le salarié refuse un CDI équivalent ;
- le CDD est rompu pour faute grave ou force majeure ;
- le contrat est conclu pendant les vacances scolaires.
En dehors de ces hypothèses limitatives, le versement de l’indemnité est obligatoire, même si des litiges ultérieurs viennent remettre en cause la qualification du contrat.
2. Que se passe-t-il si le CDD est requalifié en CDI après versement de l’indemnité de précarité ?
Dans cette situation, l’indemnité de précarité reste acquise au salarié.
La Cour de cassation, dans un arrêt du 24 septembre 2025 [[Cass. soc., 24 sept. 2025, n°24-15.812]], a jugé que cette indemnité, versée à l’issue du CDD, ne peut être remboursée à l’employeur, même lorsque le contrat est requalifié en CDI.
La raison est simple : la prime compense une période de précarité réellement vécue.
La requalification ne peut pas effacer a posteriori cette précarité.
En d’autres termes, même si le contrat est considéré juridiquement comme un CDI depuis l’origine, le salarié a bien travaillé sous un statut précaire, ce qui justifie le maintien du versement.
3. Quelle différence entre la requalification du contrat et la poursuite du CDD en CDI ?
Ces deux situations produisent des effets très différents :
- Poursuite en CDI à l’issue du CDD : la relation de travail continue sans interruption. Le salarié n’a pas droit à l’indemnité de précarité, car la précarité disparaît avec la signature du CDI [[C. trav., art. L1243-10, 1°]].
- Requalification judiciaire du CDD en CDI : il s’agit d’une décision du juge qui reconnaît qu’un CDD a été irrégulièrement conclu (motif non valable, succession abusive, absence d’écrit, etc.).
Même si la requalification produit des effets rétroactifs, elle n’a pas d’effet sur la prime déjà versée [[Cass. soc., 9 mai 2001, n°98-46.205 ; Cass. soc., 30 mars 2005, n°03-42.667]].
Ainsi, dans le premier cas, le salarié n’a jamais connu de rupture ; dans le second, il a connu une période de précarité effective qui justifie le maintien de l’indemnité.
4. L’employeur peut-il compenser ou récupérer la prime de précarité après requalification ?
Non. Toute compensation ou demande de remboursement est juridiquement infondée.
La Cour de cassation a expressément débouté un employeur qui tentait d’obtenir la restitution de cette prime après requalification du CDD en CDI [[Cass. soc., 24 sept. 2025, n°24-15.812]].
L’article L1243-8 du Code du travail n’autorise aucune récupération a posteriori, car l’indemnité de précarité constitue un complément de salaire, définitivement acquis dès son versement.
Toute tentative de reprise pourrait être contestée devant le conseil de prud’hommes comme une violation du principe d’exécution de bonne foi du contrat de travail [[C. civ., art. 1104]].
5. Quelles sont les bonnes pratiques pour les entreprises en matière de gestion des CDD ?
Pour limiter le risque de requalification et de contentieux, les employeurs doivent adopter une gestion rigoureuse des contrats à durée déterminée :
- Justifier systématiquement le motif de recours au CDD, conformément à l’article L1242-2 du Code du travail (remplacement, accroissement temporaire d’activité, emploi saisonnier, etc.) ;
- Respecter les durées maximales et les délais de carence entre deux contrats [[C. trav., art. L1242-8 et L1244-3]] ;
- Remettre le contrat écrit au salarié avant la prise de poste, à défaut de quoi la requalification en CDI est quasi automatique [[Cass. soc., 16 déc. 2015, n°14-19.704]] ;
- Conserver les justificatifs du versement de l’indemnité de précarité sur les bulletins de paie et dans le dossier RH ;
- Anticiper les renouvellements ou les embauches en CDI pour éviter les requalifications pour recours abusif.
Une politique de conformité contractuelle rigoureuse reste le meilleur rempart contre les litiges prud’homaux liés aux CDD.

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