La question reste, encore et toujours, de savoir si et dans quelle mesure une partie à un contrat international, décidant de rompre sa relation commerciale avec une partie française, peut échapper à l’indemnité de deux années de marge brute généralement accordée par les juridictions françaises en cas de rupture de relation commerciale, sur le fondement de l’article L.442-6-I-5° du Code de commerce[1] ?

Cette question, déjà abordée dans notre précédent article mérite d’être de nouveau évoquée, à la lumière de jurisprudences récentes qu’il convient de confronter à la pratique contractuelle.

En effet, l’arrêt de la Cour de justice de l’Union Européenne en date du 14 juillet 2016[2] remet à l’honneur le contrat et prend clairement le contrepied de la jurisprudence française qui consacre, de manière constante et ce depuis de nombreuses années, la nature délictuelle de la responsabilité liée à l’action indemnitaire pour rupture des relations établies, fondée sur l’article L.442-6-I-5°.

C’est cette position traditionnelle – incomprise au-delà des frontières françaises – qui a souvent fondé les juridictions de notre pays à faire application de l’article L.442-6-I-5° et donc à accorder l’indemnité redoutée, au mépris de la loi et de la juridiction choisies par les parties au contrat international. Dès lors que la responsabilité liée à l'action entreprise sur le fondement de la rupture de relation commerciale est de nature " délictuelle", la loi applicable et les juridictions compétentes devaient nécessairement être celles du "lieu de réalisation du dommage" par la victime française et donc la loi française, et ce d'autant que celle-ci était considérée comme une règle d'ordre public. Même si la jurisprudence français a récemment infléchi sa position sur l'incontournable compétence des juridictions françaises (en présence d'une clause désignant comme compétents les tribunaux étrangers) -cf. note de bas de page 3 -, la nature "délictuelle" de la responsabilité pour rupture de relation commerciale a été sans cesse réaffirmée, permettant dès lors le recours à la loi française comme règle impérative applicable "au fond" du litige.

Or, dans son arrêt Granarolo, la Cour de justice de l’Union Européenne– dont la jurisprudence doit normalement s’imposer aux juridictions des Etats membres – considère qu' « une action indemnitaire fondée sur une rupture brutale de relations commerciales établies de longue date (…) ne relève pas de la matière délictuelle ou quasi délictuelle au sens de ce règlement [article 5 point 3 du Règlement Bruxelles (CE) n°44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000] s’il existait, entre les parties, une relation contractuelle tacite, ce qu’il revient à la juridiction de renvoi de vérifier ».

Les conséquences de cette décision communautaire, très largement critiquée par la doctrine française, sont potentiellement très importantes et remettent les clauses du contrat international liant les parties au centre du débat : en effet, si la nature « contractuelle » de la responsabilité est consacrée en cas de rupture d’une relation contractuelle « tacite » (c’est-à-dire non formalisée), a fortiori, elle devrait s’imposer en présence d’un contrat.

Pour espérer donc faire échec au jeu de l’article L.442-6-I 5° du code de commerce, il est primordial en cas de rupture de relation commerciale, non seulement, de faire en sorte que les juridictions françaises ne soient pas compétentes mais également de désigner valablement les juridictions étrangères comme compétentes.

Une grande attention devra donc être portée à la rédaction de la clause attributive de juridiction pour conduire la juridiction française éventuellement saisie par la victime de la rupture de relation commerciale à décliner sa compétence au profit de juridictions valablement désignées[3] : pour être valable tant au regard de la jurisprudence française que communautaire,  la clause doit être rédigée dans des termes à la fois généraux et précis.

Veiller scrupuleusement à la clause de juridiction est la condition sine qua non pour tenter d’échapper à l’indemnité résultant de l’application de l’article L.442-6-I-5° du code de commerce en cas de rupture de relation commerciale. En effet, tant que le juge français s’estime compétent, il pourra être tenté et décider de faire application de l’article L.442-6-I-5° consacré, en France, comme une règle d’ordre public de protection.

S’attacher à la rédaction de la clause de juridiction ne doit pas faire oublier la nécessité, plus que jamais et en considération de l'arrêt Granarolo, d’élire dans le contrat une autre loi que la loi française en s'attachant à définir subtilement les contours de la clause de loi applicable.

Le retour en force, via l’arrêt Granarolo, de l’autonomie de la volonté dans le contentieux, jusqu’alors très préservé de la rupture brutale des relations commerciales établies, sera-t-il bien accueilli par les juridictions françaises au point de leur faire changer de position sur la nature de la responsabilité de l’action entreprise sur le fondement de l’article L.442-6-I-5°  ?

A suivre avec intérêt. En attendant : à vos contrats !

 

                                                                                                                Sarah Temple-Boyer

                                                                                                                         Avocat

 


[1] Pour mémoire, l’article L.442-6-I-5° du code de commerce prévoit que : « Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou «personne immatriculée au répertoire des métiers» le fait (…) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale est respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerciale, par des accords interprofessionnels »

[2] CJUE, n°C-196/15, Arrêt de la Cour, Granarolo SpA contre Ambrosi Emmi France SA, 14 juillet 2016

[3] En effet, il est désormais acquis que la clause attributive de juridiction trouve à s’appliquer, dès lors qu’elle vise tout litige né du contrat, « des dispositions impératives constitutives de loi de police fussent-elles applicables au fond du litige » (Civ. 1ere 22 octobre 2008, n°07-15.823) ; ou encore, « seules les règles de conflit de juridictions doivent être mises en œuvre pour déterminer la juridiction compétente quand bien même des dispositions impératives constitutives de lois de police » (Com. 24 novembre 2015, n°14-14.924 ; CA Paris Pôle 1, Chambre 1, 15 décembre 2015). Encore dernièrement, Civ1. 18 janvier 2017, n°15-26.105.