La Guyane a fait couler beaucoup d’encre à l'annonce d'une politique pénale qui s'est soldée par un échec, le rappel à la loi des mules porteuses de moins d’1,5 kg de cocaïne.
Aussi déroutante qu’ait pu paraître cette annonce, cette décision expérimentale avait pour objectif sans doute de contenir l’afflux de mules à l’aéroport, dans un contexte d’engorgement de l’institution judiciaire guyanaise (les lecteurs sont renvoyés sur ce point à l’article paru dans France-Guyane sur la semaine « Justice morte »).
La décision de prononcer un rappel à la loi relève du seul Procureur de la République qui dispose, selon les termes de l’article 40-1 du code de procédure pénale, de l’opportunité des poursuites.
Définition :
L’article 40-1 du code de procédure pénale confère au seul Procureur de la République le pouvoir de décider s’il est opportun d’engager des poursuites à l’encontre de l’auteur présumé d’une infraction[1].
C’est-à-dire qu’il pourra soit déclencher l’action publique, en poursuivant l’auteur présumé d’une infraction devant une juridiction pénale, soit décider de recourir à une mesure dite alternative aux poursuites, soit même, classer sans suite.
Dans le cas des mules porteuses de moins d’1,5 kg de cocaïne, le Procureur de la République avait choisi d’expérimenter l’une de ces alternatives que constitue le rappel à la loi.
D’autres modalités vont être exposées ci-après sans que cette liste soit exhaustive, tant l’éventail défini par la loi est large.
L’objectif est ici de se concentrer sur les mesures les plus usitées par les services du Procureur de la République sur le territoire.
Modalités des poursuites :
Mesures dites alternatives :
Le Procureur peut être amené à proposer la mise en œuvre de procédures dites alternatives aux poursuites, définies par l’article 41-1 du code de procédure pénale, dès lors qu’au moins deux conditions sont réunies :
- assurer la réparation du dommage causé à la victime,
- mettre fin au trouble résultant de l'infraction ou contribuer au reclassement de l'auteur des faits
Ces mesures dites alternatives aux poursuites sont nombreuses, et entraînent la suspension de la prescription de l’infraction le temps de sa mise en œuvre, ce qui signifie que dans l’hypothèse où la mesure ne serait pas exécutée, le Procureur pourra toujours déclencher l’action publique.
Au titre de ces mesures, on retrouve le rappel à la loi, la médiation pénale, le stage de lutte, de sensibilisation ou de citoyenneté, la réparation du préjudice causé à la victime, l’interdiction de paraître, de séjour ou de contact, le versement d’une contribution citoyenne ou encore la composition pénale.
Ces mesures sont proposées soit directement, soit par l'intermédiaire d'un officier de police judiciaire, d'un délégué ou d'un médiateur du procureur de la République
Le rappel à la loi constitue, comme son nom l’indique, un rappel des obligations légales et/ou réglementaires à l’auteur identifié d’une infraction. Ce rappel est souvent effectué par l’officier de police judiciaire sur décision du Procureur. Il peut être assorti de conditions, comme par exemple l’interdiction de paraître en certains lieux pour 6 mois au plus, l’obligation d’indemniser la victime, etc.
Dans le cas des mules, le rappel à la loi était généralement assorti d’une interdiction de se présenter à l’aéroport Félix Eboué pendant 6 mois.
D’autres mesures qui relèvent de la politique pénale du Procureur de la République peuvent être mises en œuvre au titre de la répression des infractions pénale, et entraîne cette fois le déclenchement des poursuites à l’encontre du ou des auteurs d’infractions pénales.
Déclenchement des poursuites :
Dans notre Département, les services du Procureur requièrent très régulièrement le renvoi d’un individu devant le Tribunal correctionnel, compétent pour les délits, soit devant la Cour d’assises ou la cour criminelle, compétentes en matière de crimes.
S’agissant du Tribunal correctionnel, lorsque le Procureur de la République décide de le saisir de faits qualifiés de délit par la loi, il peut :
- délivrer une COPJ, c’est-à-dire une « convocation par Officier de Police Judiciaire », remise directement à la personne poursuivie qui reste libre jusqu’à sa comparution devant le Tribunal ;
- délivrer une CPPV-CJ, c’est-à-dire une « convocation par procès-verbal », qui entraîne un déferrèment[2] devant le Procureur de la République et une saisine du Juge des Libertés et de la Détention[3], afin qu’il prononce un contrôle judiciaire à l’encontre de la personne poursuivie jusqu’à sa comparution devant le Tribunal ;
- proposer une CRPC, soit une « Comparution sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité », ou plus simplement « plaider-coupable ». Cette procédure peut être organisée à la suite d’un déferrement, ou sur convocation devant le Tribunal correctionnel, en fonction de la rapidité de la réponse que le Procureur souhaite donner au traitement de l’infraction[4].
Les services du Procureur recourrent très régulièrement à la procédure de CRPC « déferrement », qui suppose nécessairement que l’auteur présumé de l’infraction reconnaisse sa participation aux faits. L’assistance d’un avocat est alors obligatoire pour accepter la peine. Cette procédure s’applique à tous les délits, sauf lorsqu’ils concernent des mineurs ou des délits commis en matière de presse, d'homicides involontaires ou politiques.
- Ordonner un renvoi devant la Chambre des Comparutions Immédiates (dite « CI »), qui entraîne le jugement de l’affaire dans les délais les plus brefs (moins de 72 heures). La personne est alors déferrée devant le Procureur qui saisit - en général - le Juge des Libertés et de la Détention, aux fins qu’il autorise l’incarcération[5] provisoire de l’intéressé jusqu’à son jugement. Les dernières réformes ont vu apparaître la CI à délai différé, qui permet au Procureur d’obtenir l’incarcération provisoire de la personne jusqu’à son jugement qui pourra être différé jusqu’à 2 mois, dans l’attente notamment du retour d’investigations complémentaires telle qu’une expertise par exemple.
- Ordonner la saisine d’un juge d’instruction, c’est-à-dire un magistrat en charge d’enquêter sur les infractions qui lui sont soumises. Le Procureur comme le juge d’instruction pourront solliciter du Juge des Libertés et de la Détention qu’il prononce des mesures de contraintes à l’encontre de la personne poursuivie.
En matière criminelle, le code de procédure pénale impose la saisine du juge d’instruction, qui constitue un préalable obligatoire à une mise en accusation devant la Cour d’assises ou la cour criminelle. Le juge d’instruction prononce, s’il estime les conditions réunies, une mise en examen.
Il enquête à charge et à décharge, et peut être également saisi par la victime d’une infraction pénale par la voie de la constitution de partie civile.
A la fin de son instruction (on parle également d’ « information »), le juge peut soit ordonner le renvoi devant le Tribunal correctionnel, soit devant la Cour d’assises (ou la cour criminelle s’agissant de crimes punis d’une peine inférieure à 20 ans de prison). Il peut aussi prononcer un non-lieu (c’est-à-dire qu’il considère que les faits ne peuvent être poursuivis).
Les statistiques du Tribunal judiciaire de Cayenne, démontrent que les services du Procureur de la République ne chôment pas. La situation est telle que l’institution judiciaire a appelé à une « justice morte » pendant une semaine, et réduit son activité pénale jusqu’à la fin de l’année afin de faire face à l’engorgement massif de ses services en l’état d’un sous-effectif chronique. Espérons que la visite du Garde des Sceaux sera suivie d’effet afin que la justice de Guyane puisse reprendre un cours normal…
[1] Le code pénal classe les infractions pénales en 3 catégories : les contraventions, les délits et les crimes.
[2] Le déferrement permet au Procureur d’ordonner la présentation de la personne poursuivie devant lui, en général à la fin de sa garde-à-vue.
[3] Le Juge des Libertés et de la Détention (JLD) est un magistrat du Siège (par opposition au Procureur qui est un magistrat du Parquet), dont le rôle est d’examiner les mesures de contraintes sollicitées notamment par le Procureur de la république (détention provisoire ou contrôle judiciaire).
[4] Afin d’assurer une réponse immédiate aux infractions les plus graves, le Procureur de la République organise au sein de ses services une permanence communément appelée « Traitement en temps réel » ou TTR, qui gère en continu l’ensemble des gardes-à-vue sur le territoire.
[5] Détention, incarcération, sont des synonymes d’emprisonnement
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