Des lois successives modifiant les conditions d’acquisition de la nationalité française se sont multipliées ces deux dernières décennies. Malgré l’alternance et le changement habituel de la couleur politique du gouvernement, la tendance est vers le durcissement.
C’est ainsi que le contentieux de la nationalité s’est alimenté considérablement et s’est vu s’alourdir par des procédures juridictionnelles longues et épineuses.
Nous allons nous intéresser au cas particulier de l’acquisition de la nationalité française par mariage, premier moyen d’accès à la nationalité française. .
Plusieurs étrangers mariés à des ressortissants français choisissent la voie de l’acquisition de la nationalité française par déclaration en raison de la simplicité de sa procédure et de ses conditions. Ce choix de la facilité peut s’avérer regrettable.
Et pour cause, obtenu par mariage, le bénéfice de la nationalité française risque de rester intimement lié au sort du dit mariage.
Or, autant que n’importe quel couple, les époux, dont l’un a dû acquérir la nationalité française par déclaration, sont susceptibles de se séparer et d’engager des procédures de divorce.
A l’initiative de l’époux mécontent ou de l’administration mise au courant de la séparation du couple, une procédure d’annulation de la déclaration de nationalité en vue de la constatation de l’extranéité du déclarant pourrait être engagée.
C’est le troisième alinéa de l’article 26-4 du code civil qui traite de l’annulation de l’enregistrement après séparation des époux : « L'enregistrement peut encore être contesté par le ministère public en cas de mensonge ou de fraude dans le délai de deux ans à compter de leur découverte. La cessation de la communauté de vie entre les époux dans les douze mois suivant l'enregistrement de la déclaration prévue à l'article 21-2 constitue une présomption de fraude. »
Deux questions se posent :
- Comment l’action en nullité est –elle engagée ?
- Quelles sont les conséquences de la décision définitive de nullité sur la situation du déclarant redevenu étranger ?
- Les enjeux de l’action en nullité de l’enregistrement de la déclaration de nationalité par mariage
L’annulation de l’enregistrement de la déclaration de nationalité sur le fondement de l’article 26-4 du code civil, pose plusieurs problèmes juridiques donnant lieu à une jurisprudence abondante :
- le point de départ de la prescription biennale de l’action
Après des années de confusion, il est décidé définitivement que le point de départ du délai d’agir en nullité de l’enregistrement est la connaissance par le Ministère public, à l’exclusion de tout autre administration de l’Etat , de l’existence de la fraude ou du mensonge. Cette connaissance est appréciée par les juridiction au cas par cas : transcription du divorce, diligence d’une enquête.. Avec l’arrêt du 5 juillet 2012, la Cour de Cassation a nuancé sa position en faveur du justiciable : il ne s’agit plus uniquement de déterminer la date à laquelle le ministère public a eu une connaissance effective de la fraude ou du mensonge, mais d’apprécier la date à laquelle il a pu en avoir connaissance. D’ailleurs, à ce titre les juridictions de fond n’ont plus le bénéfice de appréciation souveraine de ce point de départ.
- La notion de mensonge et de fraude : le mensonge ou la fraude est une notion objective, indépendante de l’intention de son auteur. Constituent ainsi des cas de fraude ou de mensonge le fait d’invoquer la persistance d’une communauté de vie (Civ. 1re, 11 juin 2008, Bull. civ. I, n° 167 ; RLDC 2008/52, n° 3117, obs. Marraud des Grottes) ou encore le fait de produire un acte de naissance apocryphe (Civ. 1re, 23 juin 2010, n° 08-19.854, D. 2010. 1708 ; ibid. 2868, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot ; Rev. crit. DIP 2010. 689, note S. Corneloup et F. Jault-Seseke ).
- la mise en jeu de la présomption de fraude : La présomption de fraude instituée par l’article 26-4 du code civil a été longtemps un outil déterminant pour le Ministère public dans ses procédures d’annulation. La charge de la preuve étant inversée, le juge avait pour mission d’apprécier si les éléments apportés par le déclarant étaient de nature à contrecarrer l’état de fraude préalablement établi à son encontre grâce au simple fait de la séparation de son conjoint dans les douze mois de l’enregistrement.
Or, le Conseil constitutionnel en sa décision (n° 2012-227 QPC) du 30 mars 2012, et tout en déclarant conforme à la Constitution l'article 26-4 du code civil , il a émis une importante réserve au considérant 14, aux termes de laquelle la présomption prévue par la seconde phrase du troisième alinéa de ce texte ne saurait s'appliquer que dans les instances engagées dans les deux années de la date de l'enregistrement de la déclaration et que, dans les instances engagées postérieurement, il appartient au ministère public de rapporter la preuve du mensonge ou de la fraude invoqués ;
Aussi, depuis cette décision, la Cour de Cassation sanctionne les arrêts des Cours d’appel persistants à considérer que le bénéfice de la présomption est acquis au Ministère Public malgré l’engagement de l’action plus de deux ans après l’enregistrement de la déclaration de nationalité. Le dernier arrêt de la Cour suprême date du 9 septembre 2015, Pourvoi 14-20410.
- La situation administrative du déclarant après la nullité de l’enregistrement de sa déclaration de nationalité.
La décision définitive prononçant la nullité de la déclaration de nationalité française par mariage a pour effet de constater l’extranéité du déclarant. Ce dernier n’est plus français et reprend au regard de l’Etat français son statut d’étranger.
Mais dans quelle situation administrative serait cet étranger sur le sol français ? Régulière ou irrégulière ?
La question n’a pas de réponse législative et sombre de ce fait dans le gouffre du vide juridique, pourtant assez rare de nos jours.
En effet, rien n’est prévu par les textes pour traiter des cas de ceux qui perdent la nationalité française en général et qui avaient restitué leur titres de séjour ( souvent de dix ans) à l’administration française en contre partie du « sésame » bleu.
On pourrait tout de suite dire que le droit commun s’applique : toute nullité a pour effet de rétablir les parties dans l’état où ils étaient avant l’acte annulé. Pourtant cette solution n’est pas d’application directe et n’est guère considérée par celui à qui incombe la restitution du seul titre restant à priori valable. En effet, le déclarant, désormais étranger est sommé par tous les moyens de restituer aux services de l’Etat la carte d’identité et passeport français sans pour autant qu’il soit en mesure de se faire restituer son ancien titre de séjour.
Les préfets considèrent souvent que la personne est, depuis la perte de la nationalité française, sans titre sur le sol français comme si la décision judicaire vaut annulation de tout son parcours en France. Je me souviens du cas d’un étranger ayant vécu régulièrement en France depuis son entrée sur notre territoire et qui s’est vu annuler sa déclaration de nationalité française après 17 ans de résidence en France dont 8 ans en qualité de français. La demande de titre de séjour a été traitée comme étant une première demande de régularisation et non la restitution d’un droit déjà acquis. Forte heureusement, le demandeur étaient le parent d’enfants français encore mineurs (nés de l’union ayant été à l’origine de l’acquisition de la nationalité). Mais quid de ceux qui ne rentre dans aucun des cas d’obtention de plein droit de titre de séjour prévus par le CESEDA ?
En résumé, il faut que les prétendants de la nationalité française optent plutôt pour la démarche administrative de naturalisation plutôt que de faire dépendre leur statut administratif des aléas de la vie de coulpe.
Ceux préméditant la séparation de leurs conjoints français, doivent savoir que le risque ne se limite pas à l’annulation de la déclaration de nationalité mais peut atteindre également le droit même de demeurer en situation régulière sur le sol français. L’article 46-4 du code civil est prévu justement pour sanctionner leur fraude.
Malheureusement, le recours à un Conseil est rarement envisagé en amont. Ce n’est qu’en aval, à la réception de l’assignation en justice qu’on s’aperçoit qu’il y avait matière à se poser les bonnes questions !
Soumaya TABOUBI
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