Qui ne connaît pas les Auberges de Jeunesse ?

Qui n’a jamais eu à connaître un établissement français avec ses chambres collectives, à la ville, à la campagne, à la montagne, au bord de la mer, pour des activités sportives, culturelles ou touristiques ?

 

Mais qui s’est déjà interrogé sur le fonctionnement d’une auberge de jeunesse, et plus particulièrement des rôles et tâches d’un directeur d’établissement d’auberge de jeunesse, chargé de la gestion courante de son établissement (planification de l’activité des salariés à l’accueil, à l’entretien, à la restauration, des plannings), de l’accueil des individuels et des groupes, de l’établissement des devis et des factures, de la réponse aux courriels, courriers et téléphone, de l’établissement des plannings des chambres, du maintien des locaux conformes et propres, en état de fonctionnement, du budget prévisionnel, de l’achat des fournitures et du règlement des fournisseurs, de la comptabilité des flux entrées – sorties, de la surveillance et sécurité des locaux, de la « gestion » du personnel… ?

 

Une affaire de la Cour d’appel de Paris du 13/12/2017 lève le voile sur un aspect peu reluisant du travail de directeur d’auberge de jeunesse, en condamnant la FUAJ employeur, à payer à une ancienne salariée directrice d’auberge de jeunesse pendant près de 20 ans, les sommes suivantes :

 

  • 2.350,01 euros au titre du rappel de la contrepartie financière pour les astreintes,
  • 739,51 euros au titre du rappel d'indemnités de congés payés non pris cumulés,
  • 1.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour la 1ère instance,
  • 20.246,96 euros au titre des heures supplémentaires pour 2014,
  • 2.803,55 euros au titre des heures supplémentaires pour 2015,
  • 55.000 euros au titre des effets de la résiliation judiciaire,
  • 1.466,64 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,
  • 16.568,10 euros, au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 1.656,81 euros pour les congés payés afférents,
  • 432 euros au titre de la prime d'ancienneté,
  • 499,80 euros au titre de l'avantage en nature relatif au logement,
  • 889,02 euros au titre du déroulement de carrière,
  • 901,89 euros au titre du 13ème mois au prorata temporis,
  • 2.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
  • et capitalisation des intérêts de retard.

 

Il faut dire que cette salariée, qui occupait le poste de « directrice auberge de jeunesse » en province, n’ayant jamais eu le statut de cadre (c’est possible à la FUAJ !), et multitâches puisqu’il lui incombait d'assurer, si besoin était, le ménage des chambres, le nettoyage des sanitaires et des parties communes, la confection des repas, les réparations, les réponses au téléphone, aux courriels…, avait été soumise à un article 6.2 de l’accord collectif du 06/04/2004, que la FUAJ disait lui être applicable et opposable, qui stipule encore que :

 

« Les directeurs et les adjoints des auberges de jeunesse ne pouvant être assujettis pour des raisons de service et à cause de ses fonctions et de ses missions, à des horaires fixes et préétablis et disposant d’une certaine autonomie dans l’organisation de leur propre emploi du temps, les jours RTT constituent pour cette catégorie de salariés un forfait annuel (année civile) de 25 jours ouvrés. Ils ne peuvent pas par contre bénéficier des modalités liées aux heures supplémentaires. »

 

Curieuses stipulations sui generis !

 

Car manifestement il ne s’agit pas ici d’une modulation du temps de travail sur l’année avec des périodes hautes compensées par des périodes basses, encore moins d’un forfait en jours travaillés de 217 ou 218 jours sur l’année, mais ici d’un forfait annuel de 25 jours RTT accordé aux directeurs et adjoints d’AJ, en contrepartie duquel ils sont taillables et corvéables à merci, sans contrôle de leur temps de travail, et sans droit aux heures supplémentaires.

 

Pourtant, la Cour de cassation a, à chaque fois rappelé que le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles, que les stipulations des accords de branche, comme celles des accords d’entreprise, doivent être de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail du salarié, et donc, assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié (Cass. soc. 24/04/13 n°11-28398 ; Cass. soc. 13/06/12 n°11-10854), que les clauses relatives à la santé des salariés sont impératives, que l’employeur est tenu à une obligation de sécurité en matière de protection de la santé physique et mentale des salariés (art. L.4121-1 CT - Cass. soc. 21/06/06 n°05-43914).

 

N’est-ce pas ici une brèche ouverte à l’employeur ?

Pourquoi en effet l’employeur s’embarrasserait-il à mettre en place un forfait annuel en jours, sous les fourches caudines de la Cour de cassation et de ses principes jurisprudentiels contraignants, alors qu’avec ce forfait jRTT, par l’effet d’un jeu de miroir, cet employeur arriverait aux mêmes résultats de non-décompte des heures supplémentaires, mais ici sans contrôles ni contraintes ?

 

Sur ces sujets-ci, et notamment sur les principes supra posés par la Cour de cassation, la Cour d’appel de Paris n’a pas répondu.

 

La Cour d’appel s’est placée sur un autre plan juridique, rappelant que « l'article 45 de la loi du 22 mars 2012 qui avait inséré dans le code du travail l'article 3122-6, n'a pas de caractère interprétatif ni d'effet rétroactif, n'est applicable qu'aux décisions de mise en œuvre effective de la modulation du temps de travail prises après publication de ladite loi, qu’au cas d'espèce, les dispositifs résultant de ces accords sur la modulation et sur l'annualisation avec attribution de jours de RTT ont été mis en place avant l'entrée en vigueur de la loi du 22 mars 2012, en sorte que l'accord exprès de la salariée était nécessaire ; or aucun document de nature à établir l'accord exprès de la salariée n'est communiqué aux débats, la lettre adressée par la salariée à la fédération le 22 février 2005 pour exprimer qu'elle opte pour la mise en place d'un compte épargne temps n'est pas de nature à caractériser un accord exprès, libre et non équivoque à la modification de son contrat de travail, qu’en toute hypothèse, l'article 6.2 de l'accord du 6 avril 2004, à défaut de toute précision sur les variations des horaires selon les semaines hautes et les semaines basses, exclut en réalité toute possibilité pour les directeurs d'auberge de jeunesse de solliciter le paiement des heures supplémentaires accomplies, y compris pour celles qui pourraient être accomplies au delà du seuil légal de 1607 heures annuelles ainsi que le rappelle à bon escient la salariée, en sorte que cette clause ne lui est pas opposable étant rappelé qu'elle n'est pas un cadre dirigeant, ce que ne conteste pas l'employeur ; que la salariée est dans ces conditions recevable à présenter une demande en paiement des heures supplémentaires y compris pour la période postérieure à la publication de la loi du 22 mars 2012 »,

 

La Cour d’appel soulignant également que « la mission dévolue de manière générale à la salariée en tant que directrice de l'auberge exigeait d'elle une parfaite polyvalence pour assumer des tâches multiples, allant des travaux d'entretien de l'auberge comportant un grand nombre de chambres et de parties collectives en rapport aux fonctions d'accueil des usagers, à tout moment dans le cadre des horaires d'ouverture et de prise en charge lorsque ceux-ci étaient accueillis pour une ou plusieurs nuits. »

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