Rappel de l’article L.6321-1 du code du travail :

« L'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail.

Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations.

Il peut proposer des formations qui participent au développement des compétences, y compris numériques, ainsi qu'à la lutte contre l'illettrisme, notamment des actions d'évaluation et de formation permettant l'accès au socle de connaissances et de compétences défini par décret.

Les actions de formation mises en œuvre à ces fins sont prévues, le cas échéant, par le plan de formation mentionné au 1° de l'article L.6312-1. Elles peuvent permettre d'obtenir une partie identifiée de certification professionnelle, classée au sein du répertoire national des certifications professionnelles et visant à l'acquisition d'un bloc de compétences. »

 

Rappel de l’article L.6312-1 du code du travail :

« L'accès des salariés à des actions de formation professionnelle continue est assuré :

1° A l'initiative de l'employeur, le cas échéant, dans le cadre d'un plan de formation ;

2° A l'initiative du salarié notamment par la mobilisation du compte personnel de formation prévu à l'article L.6323-1 et dans le cadre du congé individuel de formation défini à l'article L.6322-1 ;

3° Dans le cadre des périodes de professionnalisation prévues à l'article L.6324-1 ;

4° Dans le cadre des contrats de professionnalisation prévus à l'article L.6325-1. »

 

Jusqu’au 03/05/2018, selon une jurisprudence constante, le fait de ne faire bénéficier un salarié d’aucune formation tout au long de sa carrière au sein de l’entreprise constituait un manquement au devoir d’adaptation au poste de travail, mais aussi à l’obligation plus générale de veiller au maintien de l’employabilité, c’est-à-dire de la capacité du salarié « à occuper un emploi au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations » (art. L.6321-1 code du travail), les cours considérant entre autres que :

 

  • L’obligation légale de formation incombait à l’employeur, et le fait que les salariés n’eussent jamais bénéficié de formation professionnelle suffisait à établir un manquement de l’employeur à son obligation d’adaptation, entraînant pour les salariés un préjudice qu’il appartenait au juge d’évaluer ;

 

  • Les arguments des employeurs, qui eussent reproché aux juges du fond de ne pas préciser en quoi l’absence de formation pendant une telle durée aurait eu une incidence sur les possibilités d’adaptation des salariés ou de maintien dans leur emploi, étaient rejetés ;

 

  • Le fait que les salariés n’eussent pas demandé à bénéficier de formation, ne libérait pas non plus les employeurs de leur obligation de veiller à leur employabilité, car l’obligation de veiller au maintien de la capacité des salariés à occuper un emploi relevait de l’initiative des employeurs.

 

Ces grandes idées susvisées ressortaient des arrêts suivants :

 

  • Cass. soc. 23/10/2007 n°06-40950 : deux salariés qui, sur 24 et 12 ans de carrière, n’avaient bénéficié que d’un stage de formation de 3 jours, étaient en droit de réclamer des dommages-intérêts à leur employeur en raison de cette carence ;

 

  • Cass. soc. 02/03/10 n°09-40914 : le fait que les salariés n'avaient bénéficié d'aucune formation professionnelle continue pendant toute la durée de leur emploi dans l'entreprise, établissait un manquement de l'employeur à son obligation de veiller au maintien de leur capacité à occuper un emploi, entraînant pour les intéressés un préjudice qu'il appartenait au juge d'évaluer ;

     

  • Cass. soc. 05/06/2013 n°11-21255 : préjudice du salarié à réparer, qui en 16 ans d'exécution du contrat de travail, n'avait bénéficié dans le cadre du plan de formation de l'entreprise, d'aucune formation permettant de maintenir sa capacité à occuper un emploi au regard de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations ;

 

  • Cass. soc. 07/05/2014 n°13-14749 : allocation de 6.000 € de dommages-intérêts accordée en appel à la salariée qui, présente dans l'entreprise depuis 7 ans, n'avait bénéficié au cours de cette période d'aucun stage de formation continue, ce qui caractérisait un manquement de l'employeur à l'obligation de veiller au maintien de la capacité de la salariée à occuper un emploi au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations ;

 

  • CA Agen 14/04/2015 n°14/00610 : le fait de ne pas faire bénéficier les salariés d’une formation pendant toute la durée de l’emploi établissait un manquement de l’employeur à son obligation, manquement qui entraînait un préjudice distinct de celui résultant de la rupture du contrat de travail. Le manquement de la société à son obligation était établi et avait causé à la salariée un préjudice dans la mesure où il l’avait privée de la possibilité d’élargir son champ de compétence et de qualification, respectivement de favoriser son déroulement de carrière au sein de l’entreprise. La Cour d’appel allouait à la salariée (âgée de 60 ans, handicapée) une indemnité de 3.700 € en réparation de son préjudice (24 ans d’ancienneté sans formation).

 

  • Cass. soc. 30/11/2016 n°15-15162 : allocation à la salariée d’une somme à titre de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à l'obligation de formation, la salariée n'ayant bénéficié, en 30 ans de carrière comme manutentionnaire chez l'employeur, d'aucune formation, que peu importe qu'elle n'en eût elle-même pas réclamé.

 

 

Mais, dans son arrêt du 3 mai 2018 (Cass. soc. 03/05/2018 n°16-26796), la Cour de cassation semble rebattre les cartes de ces principes.

Dans cette affaire de 2018, le salarié faisait grief à l'arrêt de la Cour d’appel de l’avoir débouté de sa demande de condamnation de l'employeur au paiement de dommages-intérêts pour défaut de l'obligation de formation.

Ce salarié n'avait bénéficié d'aucune formation professionnelle continue pendant toute la durée de son emploi dans l'entreprise (16 années).

Pour lui, ce fait établissait un manquement de l'employeur à son obligation de veiller au maintien de sa capacité à occuper un emploi, entraînant pour lui un préjudice qu'il appartenait au juge d'évaluer.

La Cour d’appel avait rejeté sa demande de réparation après avoir pourtant constaté que durant 16 années le salarié n'avait reçu aucune formation, mais parce que le salarié n'indiquait pas les postes auxquels il aurait pu prétendre ou les formations demandées qui lui avaient été refusées, et que ses droits au DIF lui avaient été régulièrement notifiés.

Au regard de la jurisprudence constante susvisée, on aurait pu penser que la Cour de cassation aurait donné raison au salarié.

Mais la Cour de cassation a donné tort au salarié, au motif que :

« L'existence d'un préjudice et l'évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond ; la cour d'appel a estimé que le salarié ne justifiait d'aucun préjudice résultant du non-respect par l'employeur de son obligation de formation ; le moyen n'est pas fondé ».

 

En conclusion :

L’indemnisation du salarié, pour non-respect par l'employeur de son obligation de formation, n’est plus automatique.

Il appartient désormais au salarié de démontrer son préjudice subi devant les juges du fond, quelle que soit la durée d’absence de formation.

 

Stéphane VACCA

Avocat barreau de Paris

Droit social individuel et collectif

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