I- INTRODUCTION A LA RESPONSABILITE DECENNALE DES CONSTRUCTEURS

Lorsque le maitre de l’ouvrage (celui qui commande les travaux) est confronté à des désordres affectant les travaux qu’il a fait réaliser, il peut rechercher la responsabilité décennale des constructeurs pour les désordres les plus graves.

La responsabilité décennale est prévue à l’article 1792 du Code Civil qui dispose :

« Tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maitre ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination ».

La présomption de responsabilité

L’article 1792 du Code Civil pose une présomption de responsabilité qui dispense le maitre de l’ouvrage de prouver la faute du constructeur.

En revanche, le maître de l’ouvrage devra établir que les dommages sont imputables aux travaux réalisés par le constructeur.

Cette règle a été rappelée par la Cour de Cassation dans un arrêt de la 3ème chambre civile du 13/06/2019 n°18-16725)

La présomption de responsabilité n’entraine pas une présomption d’imputabilité.

Durée de la garantie

Les constructeurs sont tenus au titre de la responsabilité décennale pendant 10 ans à compter de la réception des travaux (Article 1792-4-1 et 1792-4-3 du Code Civil).

Les sanctions

Le constructeur est tenu de prendre en charge le coût des travaux nécessaires à la réparation des désordres.

L’obligation d’assurance

Les constructeurs qui sont soumis à la responsabilité décennale, ont l’obligation de souscrire une police d’assurance couvrant cette responsabilité dénommée garantie décennale.

 

II- QUELLES SONT LES PERSONNES REDEVABLES DE LA RESPONSABILITE DECENNALE DES CONSTRUCTEURS ?

L’article 1792 du Code Civil précise que « tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit » au titre de la responsabilité décennale.

L’article 1792-1 du Code Civil précise cette notion de constructeur :

« Est réputé constructeur de l’ouvrage :

1° Tout architecte, entrepreneur, technicien ou autre personne liée au maitre de l’ouvrage par un contrat de louage d’ouvrage

2° Toute personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu’elle a construit ou fait construire

3° Toute personne qui, bien qu’agissant en qualité de mandataire du propriétaire de l’ouvrage, accomplit une mission assimilable à celle d’un locateur d’ouvrage »

Dans certaines circonstances, lorsque les conditions de l’article 1792-4 du Code Civil relatif aux EPERS sont réunies, le fabricant peut être tenu au titre de la responsabilité décennale.

L’article 1646-1 du Code Civil soumet également le vendeur d’un immeuble à construire à la responsabilité décennale.

En résumé, sont tenus au titre de la responsabilité décennale :

  • Les professionnels du bâtiment liés au maitre de l’ouvrage par un contrat de louage d’ouvrage
  • Les professionnels qui accomplissent une mission assimilable à celle d’un locateur d’ouvrage
  • Les vendeurs d’un immeuble ayant fait l’objet de travaux relevant de la responsabilité décennale

ATTENTION : Les vendeurs professionnels tels que les promoteurs ne sont pas les seuls sur lesquels pèse la responsabilité décennale.

Les particuliers qui vendent leur immeuble sont également tenus au titre de la responsabilité décennale dès lors que des travaux ont été réalisés il y a moins de 10 ans.

Ils sont soumis à la responsabilité décennale qu’ils aient fait faire les travaux par des professionnels (avec un recours à l’encontre de ces professionnels) ou qu’ils aient fait les travaux eux-mêmes (le fameux CASTOR).

 

III- QUELLES SONT LES CONDITIONS A REUNIR POUR ENGAGER LA RESPONSABILITE DECENNALE DES CONSTRUCTEURS ?

A) La réception de l’ouvrage

La réception est le point de départ de la responsabilité décennale des constructeurs.

L’article 1792-6 du Code Civil définit la réception comme « l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserves. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l’amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement ».

La réception peut ainsi être expresse, tacite ou judiciaire.

- Réception expresse

Un procès-verbal de réception fixant une date de réception est établi, avec ou sans réserves, et signé par les parties.

Les réserves sont les défauts apparents au moment de la réception.

Réception tacite

Dans cette hypothèse les parties à l’acte de construire n’ont signé aucun procès-verbal de réception.

Il est alors nécessaire, pour déterminer l’existence ou non d’une réception tacite, d’établir la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage d’accepter l’ouvrage.

Il appartient à celui qui invoque la réception tacite de la démontrer.

En cas de contestation de la réception tacite, le juge examinera l’ensemble des éléments produits pour rechercher l’existence d’une volonté non équivoque du maître de l’ouvrage d’accepter les travaux tels qu’ils ont été réalisés.

La Cour de Cassation a considéré dans un arrêt de la 3ème chambre civile du 30/01/2019 n°18-10197 que la prise de possession, combinée au paiement intégral du coût des travaux, valait présomption de réception tacite, nonobstant l’absence d’achèvement de la totalité des travaux.

Réception judiciaire

La réception judiciaire est prévue à l’article 1792-6 du Code Civil.

En cas de désaccord entre les parties et lorsque les conditions d’une réception tacite ne sont pas réunies, il appartient au juge, saisi par une des parties, de prononcer, ou non, une réception judiciaire.

Le juge devra s’assurer que l’ouvrage est en état d’être reçu et fixera la date de réception.

Le juge peut prononcer une réception judiciaire même lorsqu’il subsiste quelques défauts.

La demande de réception judiciaire des travaux ne peut être faite que par l’une des parties au contrat de louage d’ouvrage.

Le juge ne peut le faire d’office.

De même, l’assureur Dommages-ouvrage, qui n’est pas partie à la réception de l’ouvrage, n’a pas qualité pour demander la réception judiciaire.

ATTENTION : Les défauts visibles à la réception doivent être signalés en réserves car une réception sans réserve purge les vices et défauts apparents.

B) L’existence d’un vice caché à la réception

La responsabilité décennale ne peut être engagée qu’en présence d’un vice caché à la réception.

La jurisprudence a exclu l’application de la responsabilité décennale pour les vices ayant fait l’objet de réserves à la réception.

Ces derniers relèvent de la garantie de parfait achèvement.

Les vices apparents non réservés sont également exclus de la responsabilité décennale.

La jurisprudence apporte néanmoins des tempéraments.

Elle permet de retenir la responsabilité décennale lorsque les conséquences du vice apparent à la réception ne se sont révélées dans leur ampleur que postérieurement à la réception (notamment 3ème chambre civile 21/09/2022 n°21-16.402).

Par ailleurs, le caractère caché ou apparent s’apprécie en la personne du maitre de l’ouvrage et à la date de la réception (notamment 3ème chambre civile 14/01/2021 n°19-21.130).

En effet, un vice apparent pour un professionnel peut constituer un vice caché pour un profane.

C) Le caractère décennal des désordres

La responsabilité décennale n’a vocation à être recherchée que pour les désordres les plus graves.

Ainsi, la responsabilité décennale ne peut être retenue que lorsque les désordres portent atteinte à la solidité de l’ouvrage ou le rendent impropre à sa destination.

L’atteinte à la solidité de l’ouvrage, déterminée le plus souvent par une expertise judiciaire, est constituée quand la pérennité de l’ouvrage est en jeu (par exemple d’importantes fissures).

L’impropriété à destination relève de l’appréciation souveraine des juges du fond et est retenue lorsque l’ouvrage ne remplit plus son office (par exemple des infiltrations dans une habitation).

La Cour de Cassation dans un arrêt de la 3ème chambre civile du 5/12/2019 n°18-23.379 a rappelé que l’impropriété de l’ouvrage à sa destination s’apprécie par référence à sa destination découlant de son affectation, telle qu’elle résulte de la nature des lieux ou de la convention des parties.

L’impropriété à destination doit être appréciée au regard de l’ouvrage dans son entier.

 

IV- LES CAUSES D’EXONERATION

L’article 1792 du Code Civil prévoit que le constructeur peut être exonéré de sa responsabilité décennale s’il prouve que les dommages proviennent d’une cause étrangère.

La cause étrangère doit présenter les caractères de la force majeure (imprévisibilité, irrésistibilité et extériorité).

L’absence de faute du constructeur, de même que la faute commise par un autre constructeur n’est pas exonératoire.

La démonstration de la faute d’un autre constructeur aura néanmoins un intérêt dans le cadre du recours entre constructeurs.

Enfin, il est possible d’invoquer l’immixtion fautive du maitre de l’ouvrage, mais faut-il encore que celui-ci ait une compétence notoire.

Dans la pratique, la cause étrangère n’est que très rarement retenue.



Le contentieux de la responsabilité décennale des constructeurs est particulièrement technique.

Il est nécessaire de s’entourer de professionnels aguerris à la matière.

N’hésitez pas à contacter le cabinet pour toute question relative à la responsabilité décennale des constructeurs.