Selon l’article L. 314-8 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), le carte de résident longue durée UE est délivrée de plein droit aux ressortissants de pays tiers ayant résidé en France de manière régulière et ininterrompue pendant une durée d’au moins 5 ans. Outre une assurance maladie, les étrangers doivent également justifier de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à leurs besoins.

La question qui nous intéresse en l’espèce est celle de savoir si un étranger peut, à l’appui de sa demande, justifier de ressources stables, régulières et suffisantes provenant d’une tierce personne. Autrement dit, les ressources en question doivent-elles nécessairement être propres au demandeur (salaires ou autre) ou peuvent-elles provenir d’une autre personne ?

Nous allons voir que la réponse s’avère différente en droit français et en droit l’Union européenne.

 

I. La question de la provenance des ressources en droit français

 

1. Les textes français

En vertu de l’article L. 314-8 du CESEDA, les ressources prises en compte sont « toutes les ressources propres du demandeur, indépendamment des prestations familiales et des allocations ».

Les conditions de fond pour l’obtention de la carte longue durée UE sont détaillées par l’article R. 314-1-1 du CESEDA.

S’agissant spécifiquement de la condition de ressources, cette disposition prévoit que :

« L'étranger qui sollicite la délivrance de la carte de résident portant la mention " résident de longue durée-UE " doit justifier qu'il remplit les conditions prévues aux articles L. 314-8, L. 314-8-1 ou L. 314-8-2 en présentant, outre les pièces mentionnées aux articles R. 311-2-2 et R. 314-1, les pièces suivantes : (…) 2° La justification qu'il dispose de ressources propres, stables et régulières, suffisant à son entretien, indépendamment des prestations et des allocations mentionnées au 2° de l'article L. 314-8, appréciées sur la période des cinq années précédant sa demande, par référence au montant du salaire minimum de croissance (…) »

Ainsi, les textes exigent du demandeur qu’il justifie de « ressources propres », c’est-à-dire de ressources personnelles, excluant de ce fait toute prise en charge par une tierce personne (sauf entre époux).

 

2. La jurisprudence française

S’appuyant sur les dispositions des articles L. 314-8 et R. 314-1-1, la jurisprudence administrative exige que le demandeur justifie de « ressources propres » (cf. CAA Bordeaux, 3 oct. 2019, n° 18BX04533 ; CAA Nantes, 6 juin 2019, n° 18NT03234).

Ainsi, la Cour administrative d’appel de Douai a considéré que :

« les dispositions précitées de l'article L. 314-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être interprétées conformément aux objectifs de la directive n° 2003/109/CE du 25 novembre 2003 relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée, dont elles assurent la transposition et qui visent à permettre la délivrance d'un titre de séjour de longue durée, valable dans l'ensemble du territoire de l'Union, aux ressortissants de pays tiers résidant dans un Etat membre et remplissant certaines conditions, dont celle de disposer de ressources suffisantes pour ne pas être à la charge de l'Etat, ainsi qu'à uniformiser la définition des ressources prises en compte à cette fin ; qu'il résulte des dispositions de l'article 5 de la directive qu'elles ne permettent aux Etats-membres de ne prendre en compte que les ressources propres du demandeur, sans y adjoindre les prestations dont il peut bénéficier au titre de l'aide sociale » (CAA Douai, 5 juill. 2016, n° 15DA01752 ; cf. dans le même sens TA Montreuil, 25 mars 2016, n° 1510563).

Dans le cas d’espèce, la Cour administrative d’appel n’avait pas à statuer sur un recours tendant à justifier de ressources provenant d’une tierce personne. Il n’en demeure pas moins qu’elle interprète l’article 5 de la directive comme permettant aux États membres de ne prendre en compte que les « ressources propres du demandeur ».

 

II. La question de la provenance des ressources en droit de l’Union européenne

 

1. La directive 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003 relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée

Le statut de résident de longue durée-UE découle de la transposition de la directive 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003 relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée.

L’article 5 de la directive, intitulé « Conditions relatives à l’acquisition du statut de résident de longue durée », dispose :

« 1. Les États membres exigent du ressortissant d’un pays tiers de fournir la preuve qu’il dispose pour lui et pour les membres de sa famille qui sont à charge :

a) de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille sans recourir au système d’aide sociale de l’État membre concerné. Les États évaluent ces ressources par rapport à leur nature et à leur régularité et peuvent tenir compte du niveau minimal des salaires et pensions avant la demande d’acquisition du statut de résident de longue durée».

Ce texte exige donc la production par le demandeur de la preuve qu’il dispose de « ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille ».

La directive ne mentionne aucune exigence pour le ressortissant étranger de fournir la preuve de « ressources propres ».

Eu égard à la transposition effectuée par la France et à la jurisprudence administrative, la question induite est celle de savoir si les ressources en question doivent provenir personnellement du demandeur (ou de son conjoint) ou si elles peuvent provenir d’une tierce personne dès lors qu’elles sont suffisantes et répondent aux conditions de stabilité et de régularité.

En l’absence de précision de la directive sur ce point, il convient de se reporter à la position de la Cour de justice de l’UE.

 

2. La CJUE et la provenance des ressources

La Cour de justice de l’UE s’est prononcée sur la notion de « ressources » visée à l’article 5 de la directive à l’occasion d’une question préjudicielle introduite par le Conseil belge du contentieux des étrangers (CJUE, X c. Belgische Staat, 2 oct. 2019, affaire C-302/18).

  • Le contexte

L’affaire concerne le rejet par la Belgique d’une demande d’obtention du statut de résident longue durée introduite par un ressortissant camerounais. Ce dernier avait produit, au soutien de sa demande, des documents de son frère au titre de preuves de moyens de subsistance stables, réguliers et suffisants. Le dossier contenait par ailleurs une attestation du frère du demandeur dans laquelle il s’engageait à veiller à ce que « l’intéressé dispose pour lui-même et les membres de sa famille qui sont à sa charge, de moyens de subsistance stables, réguliers et suffisants pour subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille afin d’éviter de devenir une charge pour les pouvoirs publics ».

L’administration belge a rejeté sa demande au motif que l’intéressé ne dispose pas de « ressources propres ». Le demandeur formait alors un recours contre cette décision devant le Conseil du contentieux des étrangers sur le fondement d’une interprétation erronée de la condition de ressources contenue dans l’article 5 de la directive 2003/109/CE, lequel ne comporte aucune exigence quant à la provenance des ressources.

C’est dans ce contexte que le Conseil du contentieux belge décidait du renvoi préjudiciel devant CJUE quant à la question de savoir si la notion de « ressources » en cause concerne uniquement les « ressources propres » du demandeur ou si cette notion recouvre également les ressources mises à sa disposition par une tierce personne.

  • Notion autonome du droit de l’UE

La CJUE fait le constat que la notion de « ressources » visée à l’article 5 de la directive est une notion autonome du droit l’Union en ce que la disposition ne fait aucun renvoi au droit national des États membres. Dès lors, cette notion doit être interprétée de manière uniforme sur tout le territoire de l’Union.

Par conséquent, les États membres ne disposent d’aucune marge d’interprétation dans la transposition de cette disposition. Conformément aux compétences de la Cour, il lui appartient donc d’assurer une application uniforme du droit de l’Union.

  • L’interprétation de la Cour

La Cour relève d’abord un défaut d’équivalence terminologique en langues espagnole, française et italienne d’une part et en langues néerlandaise et allemande d’autre part. S’agissant de la première série de langues, les textes emploient une notion équivalente à celle de « ressources », à savoir tous moyens financiers à disposition du demandeur sans référence à leur provenance. Quant aux versions néerlandaise et allemande, elles font référence à la notion plus restrictive de ‘revenus’.

Confrontée à l’incertitude terminologique, la CJUE procède ensuite à une interprétation téléologique du texte à la lumière d’autres directives européennes ainsi que de sa propre jurisprudence. Elle en déduit dès lors que, compte tenu de l’objectif et du contexte, « la provenance des ressources visées à cette disposition n’est pas un critère déterminant pour l’Etat membre concerné aux fins de vérifier si celles-ci sont stables, régulières et suffisantes » (§41).

La Cour dit finalement pour droit :

« L’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109/CE du Conseil, du 25 novembre 2003, relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée, doit être interprété en ce sens que la notion de « ressources » visée à cette disposition ne concerne pas uniquement les « ressources propres » du demandeur du statut de résident de longue durée, mais peut également couvrir les ressources mises à la disposition de ce demandeur par un tiers pour autant que, compte tenu de la situation individuelle du demandeur concerné, elles sont considérées comme étant stables, régulières et suffisantes. »

Eu égard à la position de la CJUE, les dispositions susmentionnées du CESEDA sont en contradiction avec le droit de l’Union en ce qu’elles exigent du demandeur la preuve de « ressources propres ». Leur modification est par conséquent incontournable pour les rendre conformes au droit de l’Union européenne. Il conviendra par ailleurs d’être attentif aux décisions futures des juridictions administratives sur ce point.