Mon amour du Droit après l’arrêt Halimi
Par Véronique ATLAN, Avocate au Barreau de PARIS
Le Droit est froid. Il n’obéit pas à l’émotion, mais à la règle. Celle qui ordonne, fait sens.
Les décisions de justice, redoutées, parfois redoutables, sont attendues avec espoir de punir celui qui doit l’être, qui a enfreint, qui a nui.
Elles sont attendues longuement, tardivement, mais avec l’espoir de réparer chacun, de lui octroyer ce que la Société, la loi votée au nom de la République et du peuple, ou le contrat lui garantit.
Elles remplissent cet office souvent, et moi, Avocate, j’ai le sentiment d’y contribuer, quelques fois. En modeste auxiliaire de justice que je suis.
Alors, pour que le souvent tende vers le toujours, le systématique,
Que j’obtienne gain de cause, justice pour mes clients, je recherche, j’explore, je fouille, je mets en perspective la jurisprudence de la Cour de Cassation.Des heures, des semaines, des mois, des années, 26 ans déjà, je la lis, la relis, la décortique, en tire le meilleur parti. Le meilleur profit. Au service de la défense de ceux qui s’y sont conformés ou à l’inverse, se sont écartés de la norme dont elle, Haute Juridiction, Cour Suprême, assure l’interprétation uniforme sur tout le territoire national, en contrôlant les juges du fond.
Elle est ma référence, sa jurisprudence ma bible, prolixe, évolutive, audacieuse aussi.
Et pourtant.
Est arrivé ce mercredi 14 avril 2021 où en fidèle follower du site, des pages des réseaux de la Cour de Cassation, je découvre son communiqué de presse sur l’arrêt Halimi.
En cohérence avec la jurisprudence antérieure, mais pour la première fois de façon aussi explicite, la Cour de cassation explique que la loi sur l’irresponsabilité pénale ne distingue pas selon l’origine du trouble mental qui a fait perdre à l’auteur la conscience de ses actes.
Or, le juge ne peut distinguer là où le législateur a choisi de ne pas distinguer.
Ainsi la décision de la chambre de l’instruction est conforme au droit en vigueur.
Les pourvois formés par les parties civiles sont donc rejetés.
Le couperet tombe. Mon sang se glace. Il n’y aura pas de procès Sarah Halimi.
Je n’y crois pas !
Est-ce mon judaïsme, l’effroi ressenti, l’abomination du crime, des crimes commis sur cette pauvre femme, cette mère, cette sœur, Sarah Halimi, qui me font réagir ainsi ?
Sûrement. Pas seulement. Heureusement.
Alors en parfaite adepte de la lecture attentive des arrêts de cette Cour de Cassation que j’aime tant, je me précipite sur le texte :
https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_criminelle_578/404_14_46872.html
23. Les juges retiennent également que les déclarations de M. Z..., disant qu’il s’était senti plus oppressé après avoir vu la torah et le chandelier, et qu’il pensait que le démon était Mme X..., jointes aux témoignages indiquant l’avoir entendu crier « Allah Akbar, c’est le sheitan, je vais la tuer », puis « j’ai tué le sheitan » et « j’ ai tué un démon », et aux constatations des experts selon lesquelles la connaissance du judaïsme de Mme X... a conduit la personne mise en examen à associer la victime au diable, et a joué un rôle déclencheur dans le déchaînement de violence contre celle-ci, constituent des charges suffisantes de commission des faits à raison de l’appartenance de la victime à la religion juive.
24. Pour dire que le discernement de la personne mise en examen était aboli au moment des faits, l’arrêt relève que le récit de M. Z..., corroboré par celui des membres de sa famille et de la famille P..., montre que ses troubles psychiques avaient commencé le 2 avril 2017, et ont culminé dans la nuit du 3 au 4 avril 2017, dans ce que les experts psychiatres ont décrit de manière unanime comme une bouffée délirante.
27. Ils concluent qu’il n’existe donc pas de doute sur l’existence, chez M. Z..., au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes.
28. En l’état de ces énonciations, déduites de son appréciation souveraine des faits et des preuves, la chambre de l’instruction a, sans insuffisance ni contradiction, et en répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, exposé les motifs pour lesquels elle a déclaré, d’une part, qu’il existait à l’encontre de M. Z... des charges d’avoir commis les faits reprochés, d’autre part, qu’il était irresponsable pénalement en raison d’un trouble psychique ou neuro-psychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes au moment des faits.
29. En effet, les dispositions de l’article 122-1, alinéa 1er, du code pénal, ne distinguent pas selon l’origine du trouble psychique ayant conduit à l’abolition de ce discernement. »
Ai-je la réponse juridique qui apaise mon émotion ?
Il n’existe factuellement et en droit, aucun doute sur le crime antisémite.
Il n’existe aucun doute pour les psychiatres en charge de l’expertise du criminel antisémite et barbare, qu’un trouble psychique ou neuropsychique, au choix, lui a fait perdre son discernement ou, au choix encore, le contrôle de ses actes.
Mais quelle est cette psychiatrie infaillible qui pose un diagnostic alternatif que les juges d’instruction et la Cour de Cassation ne s’autorisent pas à mettre en cause ? Quel est ce juge du Droit, celui que j’aime, qui ne doute plus, qui s’en remet à une science fragile, incertaine, à des experts qui n’émettent que des avis techniques ?
En Avocate curieuse qui ne se contente pas pour toute réponse, de « on ne juge pas les fous » ni de l’adage « dura lex, sed lex » (« la loi est dure mais c’est la loi ») que beaucoup lui opposent pour la faire taire et lui faire croire qu’elle n’y comprend rien, je lis l’avis de l’Avocate Générale dont je retiens les phrases suivantes :"Nous sommes devant des faits, à bien des égards, glaçants: il s’agit du meurtre, d’une femme âgée et admirable, commis dans les pires conditions, “avec sauvagerie” dira un des témoins et avec la circonstance aggravante d’antisémitisme.
Au-delà de l’immense et légitime émotion que cette affaire a suscitée, et que je partage, il me revient la lourde tâche, en tant qu’avocat général, de donner un avis, pour nourrir votre débat, un avis “dans l’intérêt de la loi et du bien commun” , dit le code, sur la valeur des moyens soulevés par les parties civiles.
Cette valeur s’analysera en droit, dans le respect de l’appréciation souveraine des juges du fond, puisqu’il ne peut s’agit ici de rejuger les faits ni, encore moins, de refaire l’instruction.(…)
En réalité, la question qui vous est posée relève d’un choix politique et non d’une analyse juridique.
Il s’agit d’un choix qui par nature ressortit à la compétence des parlementaires mais qui, de plus, s’avère très complexe.
Il suppose de procéder à de nombreuse consultations, il doit s’appuyer sur des analyses médicales notamment sur la toxicomanie et sa co-morbidité avec les pathologie psychiatriques, sur des données, épidémiologiques, criminologiques et sociologiques, sur la connaissance du droit et des pratiques étrangères et sur une étude d’impact.
Cette expertise approfondie est en cours par les pouvoirs publics (…)
(…)Mais, face à l’opposition à la décision fondée sur le sentiment légitime d’impunité, qui renvoie à la fonction rétributive du droit pénal, que répondre ?
L’application de la loi entraîne bien ici une impunité totale alors qu’il y a eu incontestablement une faute, la consommation de cannabis dont les conséquences, même non voulues et non anticipées, ont abouti à la mort de Madame X....
C’est la raison pour laquelle j’ai suggéré, à titre subsidiaire, une cassation pour que les faits puissent être envisagés, au moins, sous la qualification d’homicide involontaire .
En matière de délit non intentionnel en effet, la capacité de discernement s’apprécie au moment de la commission de la faute d’imprudence, soit de la consommation de cannabis. Mais cette qualification n’est, on le comprend aussi, pas adaptée, quand il faudrait certainement une infraction spécifique pour sanctionner l’agent qui a commis un crime ou un délit sous l’emprise d’un trouble mental d’origine exotoxique ayant aboli son discernement, comme cela existe dans certaines législations étrangères.
Il apparaît donc que le droit positif ne permet pas d’apporter à cette situation factuelle une réponse pénale adaptée.
Ce constat autorise-t-il à s’écarter du principe de légalité criminelle et de son corollaire celui de l’interprétation stricte de la loi pénale ?
Autrement dit, est-il suffisant pour justifier que vous énonciez une nouvelle interprétation de l’article 122-1, contraire à sa lettre, à son esprit, et, j’ajouterais, à deux siècles de jurisprudence?
Il me semble que non.
Il n’en irait différemment que si vous posiez un principe général d’exclusion de l’irresponsabilité pénale en cas de trouble mental d’origine exotoxique et c’est un pas qui, à mon sens, ne peut être franchi sans outrepasser votre office.
Seul le législateur pourrait franchir un tel pas.
C’est la raison pour laquelle dans cette affaire je conclus principalement au rejet du pourvoi. »
Voilà Sarah.
La Cour de Cassation n’a pas voulu franchir le pas et parce que le politique n’avait pas encore prévu ce cas, elle a préféré statuer que le délire et la perte de contrôle par un excès de cannabis de celui qui t’a sauvagement assassinée parce que tu étais juive, lui assurait l’immunité.
Ce n’est pas la faute du juge, puisqu’il ne pouvait qu’appliquer la loi.
Ce n’est pas la faute de l’assassin, puisqu’il avait perdu tout discernement, sauf celui de sa haine des juifs.
Ce n’est pas la faute du législateur, car il faudra nombre d’études d’impact pour appréhender ce trouble mental d’origine exotoxique sur la responsabilité pénale du criminel.
Et moi, après cela, je suis en désamour du Droit. De cette Loi et de cette jurisprudence qui avouent ne rien pouvoir pour toi.
Je ne les pardonne pas.
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