Le 29 juillet 2025, le tribunal judiciaire de Libourne a rendu une décision importante en matière de fraude bancaire de type spoofing. Dans cette affaire (n° 24/00914), deux clients du Crédit Mutuel ont obtenu gain de cause contre leur établissement bancaire, qui refusait de rembourser l’intégralité des fonds détournés.
Voici encore une illustration très récente de la tendance jurisprudentielle favorable aux victimes de ce qu’on appelle le « spoofing », cette fraude bancaire qui consiste pour un tiers malveillant à usurper la qualité de conseiller bancaire auprès de sa victime, en utilisant les coordonnées de sa banque. Par ce procédé indétectable, le fraudeur fait réaliser à la victime différentes opérations à son insu, prétendument pour mettre son argent à l’abri, alors que les virements ou opérations bancaires sont en réalité faites au profit du fraudeur.
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Dans cette affaire (TJ Libourne, 29 juillet 2025, n° 24/00914), les faits remontent aux 20 et 21 décembre 2023. Un couple de clients de la Caisse de Crédit Mutuel du Sud-Ouest a été victime de cette escroquerie particulièrement élaborée.
Tout a commencé par un courriel, en apparence émis par l’ANTAI (Agence nationale de traitement automatisé des infractions), les invitant à régler une amende en ligne. Convaincu de l’authenticité du message, l’un des plaignants a renseigné les coordonnées de sa carte bancaire.
Dès le lendemain, le couple a reçu ensuite un appel d’un prétendu agent « anti-fraude » qui, pour inspirer confiance, utilisait le numéro officiel du service bancaire d’opposition de leur établissement bancaire. L’interlocuteur connaissait également le nom de leur conseillère bancaire et les bénéficiaires déjà enregistrés sur leur espace en ligne, autant d’éléments propres à endormir la vigilance des clients, le tout dans un climat d’urgence.
Le fraudeur leur a alors fait faire plusieurs manipulations en vue, prétendument de faire stopper les flux malveillants en cours sur leur compte…
Résultat : plusieurs opérations frauduleuses ont été validées, pour un montant total de 9 811,40 euros. Si la banque est parvenue à récupérer une partie des fonds (3 995 €), 5 818 € demeuraient perdus.
Le couple a rapidement dénoncé la fraude, déposé plainte en gendarmerie et sollicité le remboursement des sommes perdues.
Cela étant, la banque (Caisse de Crédit mutuel du Sud Ouest Blaye) n’a pas jugé devoir les rembourser du montant ainsi détourné par leur interlocuteur.
Aucune résolution amiable du litige n’ayant pu aboutir, le couple a, par acte du 27 juin 2024, assigné la Caisse de Crédit mutuel du Sud Ouest devant le Tribunal judiciaire de Libourne, sur le fondement de l’article L. 133-18 et suivants du Code monétaire et financier, aux fins de voir la banque condamnée à leur rembourser la somme en question, outre 2 000 € de dommages et intérêts et 2 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile (frais de procédure).
Au soutien de ses demandes, le couple victime faisait valoir qu’il n’avait commis aucune négligence grave et n’était pas responsable du détournement de ses fonds dès lors, d’une part, que le courriel d’origine frauduleuse ne présentait aucune anomalie sérieuse et paraissait réellement émis par le site ANTAI, et que d’autre part, les identifiant et mot de passe n’avaient jamais été communiqués ; et qu’enfin, le numéro appelant de la personne se présentant comme un agent anti-fraude était le même que celui qui est communiqué pour faire opposition à un moyen de paiement en cas de fraude ; que leur interlocuteur connaissant le nom de leur conseillère bancaire, de même que le nom des bénéficiaires enregistrés dans leur espace “virements” ; que la teneur crédible de la conversation et l’urgence dans laquelle ils ont été placés (fraude en cours) ne révélaient aucune anomalie apparente ; que la fraude avait été facilitée par une déficience technique avérée, l’escroc ayant manifestement eu accès à l’espace en ligne pour réaliser des mouvements inter-comptes ; que la banque a enfin manqué à son obligation de vigilance en ne détectant pas les mouvements inhabituels de leurs comptes.
De son côté, la Caisse de Crédit mutuel du Sud Ouest demandait au Tribunal, de débouter les requérants de leurs demandes, et de les condamner solidairement à lui payer la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile. Elle soutenait que les opérations litigieuses, avaient nécessairement été autorisées, au sens du Code monétaire et financier, puisque le couple, en se connectant à leur application, pour répondre à la demande de son interlocuteur, avait donné accès à ses comptes bancaires et effectué les opérations demandées ; qu’à tout le moins, ils ont ainsi commis une négligence grave exonérant la banque de toute obligation de remboursement dès lors qu’ils avaient activement participé à la réalisation des opérations.
La position du tribunal est salutaire : imprudence, mais pas négligence grave.
Le juge n’a pas suivi l’argumentation de la banque.
• Concernant le courriel frauduleux, il a été jugé « particulièrement trompeur », sans anomalie apparente permettant de douter de son authenticité.
• Concernant l’appel du faux conseiller, le tribunal a relevé que le numéro utilisé était celui du service officiel de la banque et que l’escroc disposait d’informations personnelles précises. Dans ce contexte, les clients ont pu légitimement être trompés.
Le tribunal a donc considéré que les victimes avaient fait preuve, « tout au plus, d’imprudence », mais pas de négligence grave au sens du Code monétaire et financier. Dès lors, la banque ne pouvait s’exonérer de son obligation de remboursement.
La Caisse de Crédit mutuel du Sud Ouest a ainsi été condamnée à verser :
• 5 818 € au titre des sommes détournées et demeurant non restituées,
• les intérêts majorés prévus par l’article L.133-18 CMF, à compter du 31 janvier 2024 (date à laquelle la banque avait refusé le remboursement),
• 1 000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens de l’instance.
En revanche, les demandeurs n’ont pas obtenu réparation pour le préjudice financier supplémentaire qu’ils invoquaient, faute de justifications suffisantes.
Cette décision ne peut qu’être saluée, et elle est riche d’enseignements.
Ce jugement illustre en effet parfaitement la ligne de partage que les juridictions cherchent à tracer en matière de fraude bancaire. Les clients ont l’obligation de faire preuve de prudence et de respecter les règles de sécurité, mais la « négligence grave », seule cause d’exonération pour les banques, suppose un comportement fautif manifeste.
En l’espèce, la sophistication de la fraude (usurpation d’un numéro officiel, connaissance d’informations personnelles, courriel imitant un site public) a conduit le tribunal à considérer que les victimes ne pouvaient raisonnablement détecter l’arnaque.
Pour les particuliers, cette décision confirme la tendance jurisprudentielle en leur faveur : être abusé par un faux conseiller ne signifie pas automatiquement perdre ses économies.
Pour les établissements bancaires, elle rappelle une exigence forte : la charge de la preuve de la négligence grave incombe à la banque, et celle-ci ne peut se contenter d’invoquer la participation involontaire du client.
Le jugement rendu le 29 juillet 2025 par le tribunal judiciaire de Libourne apporte donc des enseignements concrets pour tous les consommateurs.
D’abord, il confirme un principe : en cas de fraude, votre banque doit vous rembourser immédiatement, sauf si elle prouve une négligence grave de votre part. C’est à l’établissement bancaire de démontrer que vous avez commis une faute lourde, et non à vous de prouver votre bonne foi.
Ensuite, il rappelle que tomber dans le piège d’un faux conseiller ne suffit pas à caractériser une négligence grave. Les arnaques sont devenues si sophistiquées (usurpation de numéros officiels, connaissance de données personnelles, discours crédibles) que même un client prudent peut se faire piéger.
Que faire en pratique si vous êtes victime ?
1. Réagissez immédiatement : opposez votre carte, bloquez vos moyens de paiement.
2. Prévenez votre banque par écrit et conservez toutes les preuves (emails, captures d’écran, journal d’appels).
3. Déposez plainte rapidement : la plainte est un élément important pour appuyer votre demande de remboursement.
4. Ne cédez pas si la banque refuse : la jurisprudence montre que de nombreux refus de remboursement ne tiennent pas devant le juge.
Ce jugement constitue donc une victoire symbolique pour les victimes, et un signal clair : la justice ne confond pas imprudence ponctuelle et négligence grave.
Virginie Audinot, Avocat
Barreau de Paris
Audinot Avocat
www.audinot-avocat.com
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