Dans la gestion de mes dossiers, je constate avec effroi que les fraudes au faux conseiller bancaire se complexifient.
De plus en plus sophistiquées, ces arnaques ne se limitent plus à un simple appel isolé.
Elles s’étalent désormais sur plusieurs jours, parfois même plusieurs semaines, par une succession de contacts oppressants qui épuisent psychologiquement les victimes.
Derrière ces scénarios machiavéliques se cache une violence invisible, souvent minimisée : celle d’un harcèlement téléphonique qui fragilise les plus prudents et interroge profondément la responsabilité des banques et la protection juridique des clients.
Le spoofing, ou fraude au faux conseiller bancaire, est en train de changer de visage.
Il ne s’agit plus seulement de ces appels isolés où un escroc, usurpant le numéro de la banque, prétendait alerter le client sur une opération suspecte pour lui arracher ses codes de sécurité.
Depuis plusieurs mois, dans les dossiers que je traite, une évolution glaçante se dessine : les fraudeurs ne se contentent plus d’un contact ponctuel. Ils s’invitent désormais dans la vie de leurs victimes sur plusieurs jours, parfois plusieurs semaines, multipliant les appels, perfectionnant leurs scénarios, tissant une toile dans laquelle la personne ciblée finit par s’épuiser psychologiquement et par céder.
Historiquement, ces escroqueries reposaient sur la surprise et la rapidité : un appel, une urgence, une décision précipitée.
Désormais, elles relèvent de véritables campagnes de harcèlement psychologique. Les fraudeurs rappellent, insistent, construisent une mise en scène progressive. Ils ne frappent pas une fois : ils assiègent. Ils ne mentent pas seulement : ils manipulent, ils conditionnent, ils enferment. Parfois même, ils piratent les boîtes emails ou les cartes Sim, et isolent leurs victimes. Ce qui était un coup de filet rapide est devenu une opération de prise au piège.
Le mécanisme est redoutable.
Chaque appel déclenche une montée d’angoisse : « Si je n’agis pas immédiatement, mon argent sera volé ».
Mais l’appel ne met pas fin à l’inquiétude. Il la prolonge, il l’ancre, et le suivant vient raviver la peur. Jour après jour, les victimes perdent le sommeil, la concentration, la lucidité. Leur esprit, saturé par la menace, finit par s’affaiblir. L’effet recherché par les fraudeurs est clair : éroder la résistance rationnelle jusqu’à ce que la personne n’ait plus la force de dire non.
Dans ces dossiers, c’est souvent l’intervention d’un tiers qui permet alors de mettre fin à l’engrenage.
Là où une victime prudente aurait pu résister à un appel unique, comment tenir lorsque la pression est répétée chaque jour, quand l’interlocuteur se présente toujours comme le « conseiller sécurité », quand il appelle du numéro officiel de la banque et qu’il semble tout savoir des habitudes de la victime ?
On touche ici à une dimension rarement prise en compte : l’usure psychologique. Ce n’est pas la naïveté qui piège les victimes, mais la fatigue nerveuse, l’angoisse prolongée, le sentiment d’urgence orchestré et répété.
J’ai rencontré des victimes appelées chaque soir à la même heure par un faux conseiller qui prétendait surveiller « en direct » les transactions suspectes de leur compte. Dans un autre dossier, une véritable pièce de théâtre téléphonique a été orchestrée : plusieurs voix différentes se sont relayées pour incarner tour à tour le conseiller, le responsable conformité, le service juridique de la banque. Cette polyphonie a créé une illusion totale de sérieux et d’organisation. La victime, persuadée d’être au cœur d’un dispositif bancaire coordonné, a coopéré pendant dix jours. Dans d’autres cas, les escrocs ont inventé des « protocoles de sécurité » complexes, multipliant les étapes, les codes, les confirmations, jusqu’à installer la victime dans une dépendance totale. Parfois, le fraudeur exige même qu’elle reste en ligne de longues minutes, voire des heures, pour « sécuriser » les transferts, la coupant ainsi de toute possibilité de se tourner vers un proche ou d’appeler sa banque par un autre canal.
Ce ne sont plus des improvisations. Ce sont des scénarios élaborés, travaillés, peaufinés pour neutraliser toutes les défenses. Ce sont des mises en scène machiavéliques qui empruntent au théâtre, à la psychologie de la contrainte, au conditionnement par répétition.
Et ces méthodes portent leurs fruits : même des personnes instruites, prudentes et averties, finissent par tomber dans le piège après plusieurs jours de harcèlement.
Or, sur le plan juridique, cette évolution met en lumière une contradiction criante.
La plupart des établissements bancaires continuent d’opposer aux victimes le même argument : elles auraient commis une « faute » en fournissant leurs codes ou en validant les opérations. Mais peut-on réellement parler de faute lorsque l’on a résisté plusieurs jours avant de céder sous une contrainte psychologique permanente ? Peut-on raisonnablement reprocher à quelqu’un d’avoir cru à un interlocuteur qui appelait du numéro officiel de sa banque, qui connaissait ses habitudes et qui répétait inlassablement que son argent était en danger ?
La jurisprudence française a largement penché en faveur des victimes de spoofing en cas notamment d’usurpation du numéro de la banque et l’absence de consentement libre et éclairé. Les juges vont désormais devoir se positionner face à ce harcèlement et épuisement psychologue que vivent les victimes. Le spoofing devient une violence insidieuse, répétée, organisée.
L’enjeu est immense, car les conséquences ne sont pas seulement financières. Elles sont psychologiques et sociales.
Beaucoup de victimes sombrent dans la culpabilité : « Comment ai-je pu me laisser piéger ? » Certaines n’osent pas en parler, rongées par la honte, ce qui aggrave leur isolement. D’autres développent une anxiété durable, un sentiment d’insécurité qui déborde dans toute leur vie quotidienne. J’ai rencontré des personnes qui, des mois après, n’arrivent plus à répondre sereinement au téléphone, même pour un simple appel de leur banque. La fraude les a dépouillées de leur argent, mais aussi de leur confiance en elles et dans leurs institutions.
C’est pourquoi il est urgent de changer de paradigme. Le spoofing ne peut plus être analysé comme une fraude ponctuelle où la victime aurait manqué de vigilance. C’est une violence psychologique, organisée et persistante, qui doit être reconnue comme telle. Les banques doivent assumer leur part de responsabilité en renforçant leurs dispositifs de prévention et en cessant de systématiquement rejeter la faute sur les victimes. La justice doit intégrer l’usure psychologique comme un élément déterminant, et cesser de considérer que coopérer sous contrainte équivaut à être négligent.
Derrière chaque dossier, je le répète, il y a une personne qui n’a pas été imprudente, mais harcelée. Une personne qui n’a pas été naïve, mais épuisée. Une personne qui n’a pas fait preuve de légèreté, mais qui a subi un conditionnement machiavélique dont elle n’a pas pu sortir seule.
C’est ce renversement de regard qui est aujourd’hui nécessaire. Tant que nous continuerons à penser en termes de faute et de négligence, nous laisserons les fraudeurs avoir une longueur d’avance. Tant que nous refuserons de voir l’ampleur de la manipulation psychologique, nous condamnerons les victimes deux fois : à perdre leurs économies et à porter la culpabilité d’un piège dans lequel n’importe qui aurait pu tomber.
Le spoofing n’est pas seulement une fraude bancaire. C’est un phénomène de société, qui révèle les failles de nos systèmes de sécurité, mais aussi nos représentations. Il nous oblige à interroger la place de la confiance dans la relation bancaire, la capacité des institutions à protéger leurs clients, et le rôle de la justice dans la protection des plus vulnérables.
Virginie Audinot, Avocat Barreau de Paris Audinot Avocat www.audinot-avocat.com
Page dédiée https://www.fraude-bancaire.fr/
Pas de contribution, soyez le premier