Le 9 mars 2023 tout gabonais résidant sur le territoire national comme à l’étranger était frappé de stupeur en apprenant le naufrage du navire Esther miracle, opéré par la Royal Cost Marine.
La réaction rapide des plus hautes autorités du pays, couplée aux efforts des services de secours et de la Croix Rouge, sans oublier la mobilisation des forces de défense ont permis le sauvetage de nombre de nos frères, cousins, parents et amis.
Après l’effroi et la tristesse manifestés par trois jours de deuil national, vient le temps de l’enquête auquel suivra le temps des responsabilités.
En tant que juristes et avocats, nous ne pouvons que réaffirmer la nécessité d’une enquête rapide et apaisée dans le respect des principes fondamentaux chers à notre état de droit que sont : le contradictoire, la présomption d’innocence et le secret de l’instruction.
Mais dans un pays où, les citoyens sont parfois si mal informés de leurs droits, il nous paraissait essentiel, pour que justice soit faite et dans un objectif de vulgarisation, de rappeler aux rescapés et aux familles endeuillés quelques-uns des principes régissant l’indemnisation des victimes de catastrophe maritime en République gabonaise.
En effet, le droit maritime gabonais, est le fruit d'une conjugaison délicate entre normes nationales et règles internationales spéciales. Sur le plan national, c’est le code de la marine marchande - ce code vieux de 60 ans qui est par ailleurs en cours d'actualisation -, qui fait loi en la matière. Trouvent également à s'appliquer des normes internationales auxquelles il convient de se référer. Or le Gabon n’étant pas signataire de la Convention internationale d’Athènes de 1974, c’est sur les règles posées par le Code Communautaire de la Marine Marchande de 2012 (Ci-après « CCMM ») qu’il convient de se pencher.
I- La responsabilité du transporteur de passagers
En vertu de l’article 598 du CCMM, « le transporteur est tenu de mettre et de conserver le navire en état de navigabilité, convenablement armé, équipé et approvisionné pour le voyage considéré et de faire diligence pour assurer la sécurité des passagers. »
Il appartient donc au transporteur de veiller à ce que son navire soit à même d’effectuer le voyage envisagé, notamment en veillant à ce qu’il ne soit pas surchargé, qu’il dispose d’un nombre de gilets de sauvetage suffisant, et qu’il dispose de toutes les certifications attestant de sa navigabilité.
L’article 599 alinéa 3 du CCMM pose une règle de responsabilité spécifique en cas de naufrage, il prévoit que « La faute ou la négligence du transporteur, de ses préposés ou mandataires agissant dans l'exercice de leurs fonctions est présumée, sauf preuve contraire, si la mort ou les lésions corporelles du passager résultent directement ou indirectement d'un naufrage, d'un abordage, d'un échouement, d'une explosion ou d'un incendie, ou d'un défaut du navire, ou de tout sinistre majeur. »
C’est bien parce que ces hypothèses peuvent s’avérer dramatiques que le législateur a considéré qu’elles justifiaient que la responsabilité du transporteur soit engagée automatiquement. Il appartiendra donc à la compagnie qui exploitait l’Esther Miracle, de prouver que le naufrage ne peut lui être imputé.
Cette disposition se veut particulièrement protectrice des droits des passagers car ces derniers bénéficieront obligatoirement d’une indemnisation, et ce même dans l’hypothèse où les investigations ne permettraient pas de déterminer la cause de l’accident.
II- Indemnisation en cas de décès ou de lésions corporelles
Bien qu’il soit impossible de combler le vide immense qui touche le cœur des familles endeuillées, une juste indemnisation peut les aider à se reconstruire et à pallier les pertes financières qu’engendre la perte d’un être proche. C’est pourquoi le CCMM encadre l’indemnisation des victimes de lésions corporelles et des ayants droit des personnes décédées.
L’indemnisation des victimes est limitée à 46 666 unités de compte[i] par passager victime, ce qui correspond à environ 38 millions de Francs CFA au jour où nous écrivons la présente note.
Précision faite qu’il s’agit ici d’un plafond maximum d’indemnisation, dès lors il appartiendra au tribunal de fixer l’indemnisation due en fonction de la gravité des lésions de la victime ou du préjudice des ayants droit.
Aussi en vertu de l’article 578 du CCMM, le transporteur perd le bénéfice de cette limitation de responsabilité s'il est prouvé que les dommages résultent d'un acte ou d'une omission que le transporteur a commis, soit avec l'intention de provoquer ces dommages, soit témérairement et en sachant que ces dommages en résulteraient probablement.
Pour l’instant il est trop tôt pour affirmer que la Royal Cost Marine n’a pas respecté les obligations qui étaient les siennes en matière de sécurité et de sûreté du navire. Il appartiendra à l’enquête en cours de déterminer les causes exactes de ce drame.
Néanmoins il est légitime de penser que la limitation de responsabilité pourrait être levée par les juges si l’enquête établissait que le naufrage est la conséquence d’une surcharge du navire, ou que le transporteur a entrepris le voyage en connaissance d’un risque de voie d’eau.
Cette circonstance permettrait aux victimes de solliciter une indemnisation supérieure aux 38 millions de Francs CFA évoqués précédemment.
III- Indemnisation des bagages
En outre, il découle de l’article 580 du CCMM qu'il appartient au passager d’adresser une notification écrite au transporteur en cas de perte de ses bagages dans le délai de 15 jours suivant la date à laquelle la livraison aurait dû avoir lieu.
Si le passager ne procède pas à cette notification, il lui appartiendra de prouver qu’il n’a pu récupérer ses bagages. Dans la mesure où l’Esther Miracle a sombré, ce qui a par conséquent entraîné la perte totale de sa cargaison, une telle preuve serait facile à apporter.
S’agissant des bagages perdus, l’indemnisation est limitée à 833 unités de compte par passager et bagage cabine soit environ 683.209 Francs CFA, au jour où nous écrivons.
Elle est limitée à 3 333 unités de compte par véhicule transporté soit environ 2.733.672 Francs CFA au jour où nous écrivons, et à 1 200 unités de compte pour tout autre type de bagage soit environ 984.214 Francs CFA à ce jour.
Nous rappellerons aux survivants et aux familles touchés dans ce drame que l’article 602 du CCMM oblige tout transporteur de passager à souscrire une assurance responsabilité civile. Par conséquent vous disposez d’un droit d’action direct à l’encontre de l’assureur de la Royal Cost Marine, ce qui permettrait de contourner l’obstacle de l’insolvabilité du transporteur.
Enfin, il est important de noter que cette action judiciaire doit impérativement, sous peine de prescription, être engagée dans les deux ans qui suivent la date à laquelle le navire aurait dû arriver à destination. Une fois ce délai écoulé, ces demandes ne pourront plus être entendues par les tribunaux.
Rappel des actions à mener :
- Contacter un avocat,
- Mettre en demeure la Royal Cost Marine et son assureur,
- Introduire une action judiciaire avant le 9 mars 2025.
[i] L’unité de compte est le DTS. Les droits de tirage spéciaux (DTS ; en anglais Special Drawing Rights, SDR), également au singulier, sont un instrument monétaire international créé par le FMI en 1969 pour compléter les réserves officielles existantes des pays membres.
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