La nouvelle loi n°2024-346 du 15 avril 2024 visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels a été adoptée et publiée au Journal officiel le 16 avril 2024.

Cette loi est venue tout d’abord consacrer le principe jurisprudentiel, dans le Code civil, des troubles anormaux de voisinage. Mais cette loi a surtout pour but de protéger les agriculteurs contre des recours portés devant les juridictions par leurs nouveaux voisins.  

  • La consécration dans le code civil du principe jurisprudentiel d’interdiction des troubles anormaux de voisinage, insérant une exception au principe général

Cette loi consacre le principe jurisprudentiel selon lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage » (Civ. 2e, 19 novembre 1986, n°84-16.379).

Désormais, l’auteur d’un trouble anormal de voisinage pourra voir sa responsabilité engagée sur le fondement du nouvel article 1253 du Code civil.

Cet article, en son 1er alinéa, garantit à tout particulier le droit à une tranquillité de voisinage.

En effet, il permet l’engagement de la responsabilité de l’auteur d’un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage, afin qu’il en répare les dommages causés :

« Le propriétaire, le locataire, l’occupant sans titre, le bénéficiaire d’un titre ayant pour objet principal de l’autoriser à occuper ou à exploiter un fonds, le maître d’ouvrage ou celui qui en exerce les pouvoirs qui est à l’origine d’un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage est responsable de plein droit du dommage qui en résulte ».

Ainsi, peu importe le statut de l’auteur du trouble, il engagera sa responsabilité dès lors que les nuisances excèderont les troubles normaux de voisinage.

Cette loi ne donne pas de définition de la notion de « trouble anormal de voisinage » laissant ainsi au juge une marge d’appréciation. Il reviendra à celui qui se plaint de prouver que le trouble dépasse les inconvénients normaux de voisinage.

En son 2ème alinéa, l’article 1253 du Code civil vient encadrer cette possibilité, en posant une limite à l’engagement de responsabilité de l’auteur de ces troubles :

« Sous réserve de l’article L. 311-1-1 du code rural et de la pêche maritime, cette responsabilité n’est pas engagée lorsque le trouble anormal provient d’activités, quelle qu’en soit la nature, existant antérieurement à l’acte transférant la propriété ou octroyant la jouissance du bien ou, à défaut d’acte, à la date d’entrée en possession du bien par la personne lésée. Ces activités doivent être conformes aux lois et aux règlements et s’être poursuivies dans les mêmes conditions ou dans des conditions nouvelles qui ne sont pas à l’origine d’une aggravation du trouble anormal ».

L’ancien article L. 113-8 du Code la construction et de l’habitation prévoyait que les nuisances dues à des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales, touristiques, culturelles ou aéronautiques n’entraînaient pas droit à réparation lorsque le permis de construire afférent au bâtiment exposé à ces nuisances a été demandé, ou l’acte authentique constatant l’aliénation ou la prise de bail établi, postérieurement à l’existence des activités les occasionnant, dès lors qu’elles sont conformes et qu’elles se sont poursuivies dans les mêmes conditions.

L’alinéa 2 de l’article 1253 du Code civil pose ainsi une exception générale, s’appliquant à toute activité, peu importe sa provenance, elle peut être aussi bien commerciale, industrielle ou artisanale.

Désormais, la responsabilité de l’auteur de troubles anormaux de voisinage ne sera pas engagée dès lors qu’ils proviennent d’activités déjà existantes à l’arrivée des nouveaux voisins, sous réserve que ces troubles anormaux n’ont pas été aggravés ou que les activités soient poursuivies dans les mêmes conditions, et conformes aux lois et aux règlements.

  • Une loi visant à protéger les agriculteurs installés

Au-delà de la codification du principe jurisprudentiel selon lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage », le législateur a eu la volonté d’offrir une protection spéciale et renforcée aux agriculteurs déjà installés contre les recours qui sont engagés par leurs nouveaux voisins, au motif d’un trouble anormal de voisinage.

Le nouvel article L. 311-1-1 du Code rural et de la pêche maritime prévoit que :

« La responsabilité prévue au premier alinéa de l’article 1253 du code civil n’est pas engagée lorsque le trouble anormal provient d’activités agricoles existant antérieurement à l’acte transférant la propriété ou octroyant la jouissance du bien ou, à défaut d’acte, à la date d’entrée en possession du bien par la personne lésée. Ces activités doivent être conformes aux lois et aux règlements et s’être poursuivies dans les mêmes conditions, dans des conditions qui résultent de la mise en conformité de l’exercice de ces activités aux lois et aux règles ou sans modification substantielle de leur nature ou de leur intensité ».

Désormais, les auteurs de ces troubles, préexistants à l’arrivée de nouveaux voisins, qui se situent en milieu rural, ne pourront pas voir leur responsabilité engagée, dès lors que ces activités sont conformes aux lois et aux règlements et se poursuivent dans les mêmes conditions.

Mais également dès lors que ces activités se poursuivent dans des conditions résultant de la mise en conformité de l’exercice de ces activités aux lois et aux règles.

C’est-à-dire qu’une ancienne activité générant des troubles anormaux du fait de sa mise en conformité ne pourra entraîner un droit à réparation du seul fait du trouble anormal qu’elle cause, dès lors que sa mise en conformité n’entraîne pas de modification substantielle de la nature des troubles ou de leur intensité.

Le législateur a ainsi voulu protéger les agriculteurs déjà installés contre les nouveaux arrivants en milieu rural se plaignant des bruits de la campagne et déposant des recours.

Lors de la séance du 8 avril 2024, le garde des Sceaux, M. Eric DUPOND-MORETTI félicitait la commission mixte paritaire en ses termes :

« (…) Enfin, la commission mixte paritaire a souhaité étendre le périmètre d’exonération pour les activités agricoles par l’ajout des dispositions spécifiques dans le code rural et de la pêche maritime. Oui, il est ubuesque que certains, dérangés par le bruit des tracteurs et des moissonneuses, s’attaquent à ceux qui nous nourrissent alors même qu’ils avaient connaissance de l’environnement dans lequel ils s’installaient ! Désormais, cela ne sera plus possible, et c’est heureux (…) ».

Cependant, certains craignent que cette loi n’instaure un « droit à polluer » pour les anciens agriculteurs qui ne verront jamais leur responsabilité engagée pour les troubles anormaux de voisinages qu’ils pourraient causer.

 

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Hélène LELEU

Avocat

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