Allongement des délais de chantier et responsabilité du maître d’ouvrage

 

CE, 10 avril 2024, Commune de Gignac, req. n° 482722

 

Le 10 avril 2024, le Conseil d’Etat a rendu un arrêt qui a permis, d’une part, de rappeler le type de contrôle exercé par le juge administratif lorsqu’il est amené à apprécier l’examen porté par le maître d’ouvrage sur les capacités financières de la personne titulaire du marché et, d’autre part, de clarifier le cadre de la responsabilité de celui-ci[1]

 

La commune de Gignac a conclu un marché de travaux avec plusieurs entreprises dans le but de procéder à l’extension d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées. Une société titulaire du lot « voiries réseaux divers » se voit notifier une proposition de décompte général et définitif par la commune, document qui a pour objet de clore financièrement le marché. Elle refuse et lui communique en retour un mémoire en réclamation. Elle souhaite être indemnisée des préjudices qu’elle estime avoir subis du fait de l’allongement de la durée du chantier. Celui-ci est implicitement rejeté par la commune.

 

 

Classiquement, la reconnaissance de la responsabilité nécessite la réunion de trois conditions : un fait dommageable (ou une faute), un préjudice et un lien de causalité entre les deux. En matière de marchés publics, la responsabilité du maître d’ouvrage ne peut être engagée que si une faute a été commise par celui-ci ou qu’il y a eu un bouleversement de l’économie du contrat : « Considérant que les difficultés rencontrées dans l’exécution d’un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l’entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie soit que ces difficultés ont eu pour effet de bouleverser l’économie du contrat, soit qu’elles sont imputables à une faute de la personne publique »[2].

 

Cette faute peut justement être caractérisée lorsque l’autorité administrative n’a pas évalué correctement les capacités de l’attributaire à exécuter le marché : la société doit donc apporter la preuve que cette mauvaise appréciation est la cause des difficultés d’exécution[3].

 

Il est de jurisprudence constante que le contrôle opéré par le juge est restreint à l’erreur manifeste d’appréciation lorsqu’il s’agit d’examiner l’appréciation portée par l’autorité administrative […] sur les garanties et capacités techniques et financières que présentent les candidats à un marché public.

 

La Cour a relevé qu’une faute a été commise par la commune, liée à « une erreur d’appréciation des capacités de l’attributaire à conduire les travaux ».

 

Le Conseil d’Etat estime que le juge du fond a excédé le contrôle limité à l’erreur manifeste d’appréciation, en sanctionnant une erreur commise par un pouvoir adjudicateur dans son appréciation portée sur les garanties, capacités et références professionnelles des candidats.

 

Dans cette affaire, le Conseil d’Etat reproche à la Cour administrative d’appel de ne pas avoir vérifié le caractère direct du lien de causalité « entre les fautes qu'elle a imputées à la commune de Gignac » à savoir « le choix de l’attributaire du lot de gros œuvre » dont elle n’a pas suffisamment apprécié les capacités à exécuter les travaux, et « les préjudices invoqués par la société Spie Batignolles Malet, résultant des frais supplémentaires liés à l'allongement du chantier ». En l’absence de lien direct de causalité, la responsabilité ne peut être engagée.

 

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Hélène LELEU

Avocat

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[1] CE, Commune de Gignac, 10 avril 2024, n° 482722

[2] CAA Lyon, 7 juin 2018, n° 15LY03166

[3] CE, 12 novembre 2015, n° 384716