Faute d'avoir été immatriculée au registre du commerce et des sociétés dans le délai prévu par l'article 44 de la loi du 15 mai 2001, une société civile immobilière, dépourvue de personnalité morale, est soumise aux règles applicables aux sociétés en participation. N'ayant pas été organisée par un pacte conforme à celui d'une société en participation à durée déterminée, la société en cause est nécessairement à durée indéterminée. Le créancier de l’un des associés, agissant sur le fondement de l’action oblique, est donc fondé à demander la dissolution de la société, l'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de l'indivision et la licitation de l'immeuble (Cass. civ. 3, 04-05-2016, n° 14-28.243, FS-P+B)
En l’espèce deux personnes physiques détenaient cinquante et cent cinquante parts du capital d'une société civile immobilière créée le 22 juin 1970. La société était propriétaire d'un immeuble. Un jugement du 15 novembre 1999 avait condamné l’un des associés à payer différentes sommes à un tiers. Les procédures de recouvrement forcé engagées par ce dernier étaient demeurées infructueuses. Sur le fondement des articles 1166 et 815-17 du Code civil, ce créancier avait assigné les deux associés de la société civile aux fins de voir juger que, faute d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés, la société était devenue une société en participation, que les biens sociaux étaient la propriété indivise des associés, de voir prononcer la dissolution de la société et ordonner l'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de l'indivision et la licitation de l'immeuble indivis. L’action oblique a été jugée recevable. Les juges du fonds ont ordonné la dissolution de la société, l'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de l'indivision existant entre les associés relativement à l'immeuble et la licitation de celui-ci. L’associé poursuivi s’est pourvu en cassation.
Il doit être rappelé qu’en vertu de l’article 1842 du Code civil, créé par la loi n° 78-9 du 4 janvier 1978 modifiant le titre IX du livre III du Code civil, « les sociétés autres que les sociétés en participation visées au chapitre III jouissent de la personnalité morale à compter de leur immatriculation ». L’article 4 de la loi précitée précisait toutefois que « par dérogation à l'article 1842 du code civil, les sociétés non immatriculées à la date prévue à l'alinéa précédent conserveront leur personnalité morale. Les dispositions relatives à la publicité ne leur seront pas applicables. Toutefois, leur immatriculation et l'application des dispositions relatives à la publicité pourront être requises par le ministère public ou par tout intéressé dans les conditions prévues à l'article 1839 du Code civil ».
L’article 44 de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques a mis fin à la survivance de la personnalité morale malgré l’absence d’immatriculation des sociétés créés avant l’entrée en vigueur de la loi du 4 janvier 1978.
Ce texte dispose que « le quatrième alinéa de l'article 4 de la loi n° 78-9 du 4 janvier 1978 modifiant le titre IX du livre III du code civil est abrogé le premier jour du dix-huitième mois suivant la publication de la présente loi. Les sociétés civiles procèdent, avant cette date, à leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés ».
Les sociétés civiles devaient donc s’immatriculer avant le 1er novembre 2002.
Le texte ne prévoyait cependant pas de sanction en cas de violation de cette obligation.
La Cour de cassation a précisé que « il résulte de la combinaison des articles 1842 du Code civil, 4 de la loi n° 78-9 du 4 janvier 1978 et 44 de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 que les sociétés civiles n'ayant pas procédé à leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés avant le 1er novembre 2002 ont, à cette date, perdu la personnalité juridique » (Cass. com., 26-02-2008, n° 06-16.406, F-P+B). Ces sociétés deviendraient à compter de cette date des sociétés en participation (Voir par exemple CA Bordeaux, 19-12-2012, n° 11/00670 ; TGI Paris, 2ème, 08-07-2015, n° 13/15694), ce que confirme l’arrêt rapporté en précisant que « faute d'avoir été immatriculée au registre du commerce et des sociétés dans le délai prévu par l'article 44 de la loi du 15 mai 2001, la société civile dépourvue de personnalité morale était soumise aux règles applicables aux sociétés en participation ».
La question se posait par ailleurs en l’espèce de la faculté pour le créancier de l’un des associés, agissant sur le fondement de l’action oblique (C. civ., art. 1166), de demander la dissolution de la société en participation.
Aux termes de l’article 1872-2 du Code civil, « lorsque la société en participation est à durée indéterminée, sa dissolution peut résulter à tout moment d'une notification adressée par l'un d'eux à tous les associés, pourvu que cette notification soit de bonne foi, et non faite à contretemps.
A moins qu'il n'en soit autrement convenu, aucun associé ne peut demander le partage des biens indivis en application de l'article 1872 tant que la société n'est pas dissoute ».
Les associés soutenaient que la transformation d'une société civile non immatriculée au 1er novembre 2002 en société en participation, résultant de l'application de l'article 44 de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, n'avait eu pour effet que de faire perdre à cette société la personnalité morale et n'avait eu aucune incidence sur le contrat social. En conséquence, toujours selon les associés, les statuts de la société civile, qui fixaient la durée de la société à cinquante années, n'avaient pas été modifiés par cette transformation. Ils en concluaient que le créancier ne pouvait demander la dissolution
La Cour de cassation rejette cette argumentation.
Elle approuve les juges du fond d’avoir décidé que faute d'avoir été immatriculée au registre du commerce et des sociétés dans le délai prévu par l'article 44 de la loi du 15 mai 2001, la société civile dépourvue de personnalité morale était soumise aux règles applicables aux sociétés en participation et que, n'ayant pas été organisée par un pacte conforme à celui d'une société en participation à durée déterminée, la société en cause était nécessairement à durée indéterminée. En conséquence, le créancier de l’un des associés était fondé à demander la dissolution de la société, l'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de l'indivision et la licitation de l'immeuble.
Julien PRIGENT
Avocat - Paris
Pas de contribution, soyez le premier