Nous rencontrons régulièrement des salariés en contentieux avec leur employeur en raison de l'exercice de leur liberté d'expression. L'occasion de rappeler les règles applicables à ce sujet qui touche à l'exercice d'une liberté fondamentale dans le cadre précis de l'emploi salarié.
1.La liberté d’expression du salarié, une liberté fondamentale
La liberté d’expression est une liberté fondamentale protégée par l'article 11 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. Le salarié a le droit de s'exprimer librement dans l’entreprise et aussi en dehors de celle-ci, sur tout sujet. Le salarié peut ainsi émettre un avis en entreprise, y compris sur les pratiques internes, mais aussi signaler en interne et en externe certains faits illicites qui se produisent dans son entreprise, notamment des faits de harcèlement moral ou sexuel, d'atteinte à la santé ou à l'environnement. Il agit ainsi comme lanceur d’alerte. Afin que le lanceur d'alerte ne soit pas exposé au danger d'être sanctionné par l'employeur dans l'exercice de son droit, une protection légale a été mise en oeuvre à son bénéfice :
- Garantie de confidentialité : son identité comme lanceur d’alerte auprès des autorités judiciaires n’est pas divulguée
- Protection contre les sanctions disciplinaires (suspension, mise à pied, licenciement, non renouvellement d’un CDD)
- Irresponsabilité civile du lanceur d'alerte
- Irresponsabilité pénale du lanceur d'alerte
Le salarié est donc protégé dans sa liberté d'expression et l'employeur ne peut pas le sanctionner pour ce seul motif.
2. Les limites à la liberté d’expression du salarié
La liberté d'expression du salarié n'est toutefois pas sans limite. Pour éviter d'être sanctionné, le salarié doit être de bonne foi dans l'exercice de sa liberté d'expression. De même, en dehors du cas spécifique du lanceur d'alerte, l’exercice de sa liberté d’expression ne doit pas contrevenir de façon disproportionnée à l’intérêt de l’entreprise.
- Interdiction au salarié de dénigrer l’entreprise
Hors le cas spécifique du lanceur d’alerte, le salarié ne doit pas porter atteinte de façon disproportionnée à l’image et aux intérêts de l’entreprise dans laquelle il travaille. C'est l'interdiction de l'abus de la liberté d'expression. Pour apprécier si le salarié a, ou non, abusé de sa liberté d'expression, la Cour de cassation distingue selon que le dénigrement de l'entreprise a été effectué dans une sphère privée ou publique. Par exemple, le fait pour le salarié de tenir des propos malveillants à l’égard de son entreprise dans un groupe restreint et privé ne constitue pas un abus sanctionnable de la liberté d'expression, car les informations ne sont pas portées à la connaissance de tous. Au contraire, le fait pour un salarié de tenir des propos injurieux envers des membres de son entreprise sur un groupe public, par exemple des réseaux sociaux, constitue un dénigrement de l’entreprise. Dans ce cas, le salarié s'expose à un licenciement, mais également à une plainte au pénal pour diffamation. Après la rupture du contrat de travail, le salarié reste tenu par l'interdiction de dénigrer de son entreprise. Dès lors, si le salarié porte abusivement atteinte à l’image de l’entreprise, il peut s’exposer à une plainte pénale à son encontre.
- Interdiction au salarié de divulguer des informations confidentielles
Peut également constituer un abus à la liberté d’expression, la divulgation par le salarié d’informations confidentielles sur l’entreprise, comme par exemple, la divulgation d’informations sur le savoir-faire de l’entreprise, les formules de fabrication, les inventions techniques ou graphiques de l’entreprise. C’est une déclinaison de l’obligation de loyauté du salarié l’égard de son contrat de travail. En effet, même sans mention dans le contrat de travail, le salarié est tenu de respecter une obligation de discrétion envers son entreprise. Le salarié ne doit pas révéler à autrui les informations confidentielles dont il aurait eu connaissance dans le cadre de ses fonctions. Il ne s'agit pas une obligation générale de discrétion. Elle ne s’étend pas aux informations qui ne présentent pas un caractère confidentiel. Une information confidentielle se définit comme une information qui n’est pas connue de tous et qui, si elle était divulguée à la connaissance de ceux qui l’ignore, pourrait causer un préjudice aux intérêts légitimes de l’entreprise. En cas de manquement à cette obligation de discrétion, le salarié s’expose à des sanctions pouvant aller jusqu’au licenciement pour faute grave. Attention donc aux abus à la liberté d’expression !
Il est important de préciser qu’en cas de contentieux sur la liberté d’expression devant le Conseil de prud'hommes ou au pénal, le salarié peut, dans le cadre de sa défense, produire des informations ou des documents internes à l’entreprise, à condition seulement que ces éléments soient nécessaires à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi (Cour de cassation, Chambre sociale, 22 décembre 2023, n°21-11330, n°21-11330 . Cour de cassation, Chambre sociale, 17 janvier 2024, n°22-17474).
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