Alors que la France accélère sa transition énergétique, les projets d’énergies renouvelables, notamment les parcs éoliens, se heurtent de plus en plus à des considérations environnementales majeures. La récente condamnation pénale de deux exploitants de parcs éoliens dans l’Hérault – EDF Renouvelables et Valeco – pour destruction d’espèces protégées, marque un tournant décisif dans le contentieux environnemental. Cette affaire, inédite en ce qu’elle mobilise le droit pénal pour trancher un conflit entre production énergétique et protection de la faune, appelle une réflexion globale.
Comment cette décision illustre-t-elle un glissement des équilibres entre impératifs climatiques et conservation de la biodiversité ?
Elle manifeste à la fois le renforcement des exigences de précaution (I), la consolidation d’un régime de responsabilité pénale autonome et dissuasif (II), et une portée politique et symbolique qui dépasse le cadre juridique strict (III).
I. La consécration de la biodiversité comme limite juridique au développement des énergies renouvelables
A. Une interprétation rigoureuse du code de l’environnement
L’article L.411-1 du code de l’environnement prohibe strictement la destruction d’espèces protégées ou l’altération de leurs habitats, sauf à obtenir une dérogation prévue par l’article L.411-2. Depuis la décision du Conseil d’État du 9 décembre 2022, la simple présence d’un individu d’une espèce protégée suffit à rendre nécessaire une telle dérogation, ce qui renforce considérablement la protection de la faune sauvage.
Dans l’affaire des parcs d’Aumelas et de Bernagues, les exploitants n’ont pas sollicité de dérogation, malgré la présence connue de faucons crécerellettes. L’exploitation a ainsi été poursuivie sans évaluation complète des risques pour la biodiversité.
B. L’émergence d’un contentieux fondé sur le préjudice écologique
La jurisprudence récente confirme que la seule altération d’un habitat ou l’abstention de mesures de prévention suffit à caractériser l’infraction (Cass. crim., 18 oct. 2022, n° 21-86.965 ; Cass. crim., 14 nov. 2023, n° 22-86.922). En outre, le juge peut désormais ordonner la réparation du préjudice écologique (Cass. crim., 26 mars 2024, n° 23-81.410 ; T. corr. Montpellier, 22 avr. 2024, n° 2024/122).
Ces jurisprudences imposent donc une responsabilité environnementale renforcée, détachée de la seule logique réparatrice civile, intégrant pleinement la préservation des écosystèmes dans le raisonnement juridictionnel.
II. L’affirmation d’un droit pénal environnemental autonome et dissuasif
A. Une responsabilité pénale fondée sur la négligence ou l’imprudence
L’article L.415-3 du code de l’environnement prévoit que le fait de porter atteinte à la conservation d’espèces protégées, même par négligence grave, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 150 000 € d’amende. En cas d’infraction commise en bande organisée, les peines peuvent atteindre 7 ans de prison et 750 000 €.
Le juge pénal exige simplement l’établissement d’une faute d’imprudence ou de négligence, ce qui abaisse considérablement le seuil de constitution de l’infraction. Il n’est plus nécessaire d’établir une intention délibérée de nuire à l’environnement.
B. Une jurisprudence répressive en pleine consolidation : vers un contentieux pénal écologique autonome
La multiplication des condamnations pénales en matière de destruction d’espèces protégées ou de leurs habitats naturels révèle un changement d’approche jurisprudentielle : les juridictions mobilisent désormais tout l’arsenal du droit pénal pour sanctionner efficacement les atteintes à la biodiversité.
Dans l'affaire jugée par la cour de cassation, Cass. crim., 18 oct. 2022, n° 21-86.965, la société GRT Gaz a été condamnée à 500 000 € d’amende pour avoir omis les reboisements prévus après la destruction de 40 hectares de haies. Son dirigeant a également été poursuivi.
Dans l'affaire jugée par la cour de cassation, Cass. crim., 14 nov. 2023, n° 22-86.922, le propriétaire d’un étang a été sanctionné pour avoir mis à sec une zone hébergeant des cistudes, en violation d’un arrêté préfectoral.
Dans l'affaire jugée par la cour de cassation, Cass. crim., 26 mars 2024, n° 23-81.410, la Cour reconnaît un véritable préjudice écologique à raison de la destruction d’habitats de tortues d’Hermann, condamnant solidairement deux sociétés et un particulier à 184 752 €.
Le Tribunal correctionnel Montpellier, le 22 avr. 2024, n° 2024/122, a ordonné l’évaluation d’une remise en état écologique après destruction d’une station d’espèces protégées.
Le TJ de Marseille, 22 nov. 2024, n° 21292000190, a condamné un capitaine de yacht pour mouillage dans un herbier de posidonie, avec réparation de la perte écosystémique.
Cette jurisprudence confirme que la responsabilité pénale s’étend à tous les maillons de la chaîne économique et que les juges exigent des mesures concrètes de préservation ou de restauration.
III. Une affaire emblématique aux répercussions politiques et symboliques majeures
Les décisions des 7 et 9 avril 2025 du tribunal judiciaire de Montpellier marquent par leur portée. Le tribunal a ordonné la mise à l’arrêt de près de 40 éoliennes, pour une durée de quatre à douze mois, avec exécution provisoire.
Les peines sont à la hauteur du préjudice :
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EDF Renouvelables : 5 millions d’euros d’amende, dont la moitié avec sursis, pour la mort de 70 faucons crécerellettes.
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le dirigeant est puni de 6 mois d’emprisonnement avec sursis.
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ERL (Valeco) : 200 000 € d’amende pour la mort d’un aigle royal reproducteur.
Les faits étaient connus depuis de nombreuses années. Dès l’installation des parcs, les exploitants avaient été prévenus par les ONG et les autorités du risque de collision avec des espèces fragiles. Leur inertie a été perçue comme un mépris manifeste des alertes environnementales.
La symbolique est forte. Comme l’a souligné la Ligue pour la protection des oiseaux, chaque aigle royal doit être vu « comme une petite Joconde ». La logique de l’espèce quantitativement menacée cède la place à une approche qualitative, où chaque individu compte.
Enfin, cette affaire révèle une offensive politique croissante contre le droit des espèces protégées :
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en février 2025, la présomption de non-intentionnalité prévue dans la loi d’orientation agricole a été censurée par le Conseil constitutionnel ;
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la loi de simplification de la vie économique, actuellement examinée, pourrait faciliter les dérogations faune-flore pour les projets énergétiques.
Les ONG redoutent un recul du principe d’interdiction stricte, socle du droit de l’environnement. En ce sens, l’affaire d’Aumelas-Bernagues apparaît comme un bastion jurisprudentiel, affirmant la primauté de la biodiversité sur les logiques de développement non encadré.
Conclusion
L’affaire montpelliéraine marque un changement d’ère : l’État de droit écologique s’affirme face aux impératifs énergétiques. Le développement des énergies renouvelables, pour légitime qu’il soit, ne peut s’affranchir de l’exigence de préservation des milieux naturels. L’affaire EDF Renouvelables – Valeco illustre la montée en puissance d’un droit environnemental répressif, qui ne se contente plus de réguler, mais sanctionne de manière effective, dans une logique de dissuasion et de réparation.
Pour les porteurs de projets, cette affaire constitue un signal fort : la transition énergétique ne pourra s’accomplir sans justice environnementale.
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