Le propriétaire privé victime d’un ouvrage public mal implanté peut exercer une action en démolition sans condition de délai !

 

Dans un arrêt rendu le 27 septembre 2023, société ENEDIS, numéro 466 321, le Conseil d’État affirme qu’une action en démolition à l’encontre d’un ouvrage public mal implanté peut être exercée sans condition de délai :

« Compte tenu des spécificités, rappelées au point précédent, de l’action en démolition d’un ouvrage public empiétant irrégulièrement sur une propriété privée, ni ces dispositions ni aucune autre disposition ni aucun principe prévoyant un délai de prescription ne sont applicables à une telle action. »

 

Contexte de l’affaire :

Des propriétaires privés ont demandé l’annulation d’une décision de la société Enedis datant du 4 août 2017, qui refusait de retirer un pylône électrique implanté irrégulièrement sur leur terrain.

Ils ont également demandé une indemnisation de 30 000 euros pour l’absence l’indemnisation de la présence du pylône et une somme identique pour l’implantation illégale de l’ouvrage.

Ils ont requis qu’Enedis soit enjoint de retirer le pylône et de déplacer la ligne électrique, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

 

Décisions judiciaires antérieures :

Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leur demande par un jugement du 19 décembre 2019.

Sur appel, la cour administrative d’appel de Versailles a annulé ce jugement en ce qui concerne les conclusions à fin d’injonction, enjoignant à Enedis de retirer le pylône et de déplacer ou enfouir la ligne électrique dans un délai de six mois.

 

Pourvoi devant le Conseil d’État :

Enedis a formé un pourvoi devant le Conseil d’État, demandant l’annulation de l’arrêt de la cour administrative d’appel.

Le conseil d’État fait droit à la demande d’ENEDIS en rappelant tout d’abord le principe permettant d’obtenir la démolition d’un ouvrage public mal implanté, lequel suppose d’une part, de s’assurer de l’impossibilité de régulariser la situation, d’autre part, de prendre en compte les inconvénients qu’entraînent la présence de l’ouvrage sur les intérêts publics et privés en présence, puis les conséquences sur l’intérêt général de la démolition avant de prononcer celle-ci :

« 3. Lorsqu’il est saisi d’une demande tendant à ce que soit ordonnée la démolition d’un ouvrage public dont il est allégué qu’il est irrégulièrement implanté par un requérant qui estime subir un préjudice du fait de l’implantation de cet ouvrage et qui en a demandé sans succès la démolition à l’administration, il appartient au juge administratif, juge de plein contentieux, de déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l’ouvrage est irrégulièrement implanté, puis, si tel est le cas, de rechercher, d’abord, si eu égard notamment à la nature de l’irrégularité, une régularisation appropriée est possible, puis, dans la négative, en tenant compte de l’écoulement du temps, de prendre en considération, d’une part les inconvénients que la présence de l’ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d’assiette de l’ouvrage, d’autre part, les conséquences de la démolition pour l’intérêt général, et d’apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n’entraîne pas une atteinte excessive à l’intérêt général. »

 

En l’espèce, le conseil d’État estime que la cour administrative d’appel a prononcé à tort la démolition de l’ouvrage public irrégulièrement planté :

« Dans ces conditions, en estimant qu’eu égard aux inconvénients causés à Mmes D et B par la présence des ouvrages sur leur propriété, leur démolition ne portait pas une atteinte excessive à l’intérêt général, malgré les coûts liés à l’enfouissement de la ligne et à la dépose du pylône et malgré les risques d’interruption du service de distribution d’électricité durant les travaux et alors que le temps écoulé depuis l’acquisition de la propriété supportant les ouvrages en cause était de nature à limiter l’importance des inconvénients allégués, la cour a inexactement qualifié les faits de l’espèce. »

 

Cependant, l’apport principal de l’arrêt est de consacrer l’imprescriptibilité de cette action en démolition :

« 4. Aux termes de l’article 2227 du code civil : « () les actions réelles immobilières se prescrivent par trente ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer». Compte tenu des spécificités, rappelées au point précédent, de l’action en démolition d’un ouvrage public empiétant irrégulièrement sur une propriété privée, ni ces dispositions ni aucune autre disposition ni aucun principe prévoyant un délai de prescription ne sont applicables à une telle action. L’invocation de ces dispositions du code civil au soutien de l’exception de prescription trentenaire opposée par la société Enedis était donc inopérante. Ce motif devant être substitué au motif par lequel l’arrêt attaqué juge non fondée cette exception, il y a lieu, par suite, d’écarter les moyens de cassation dirigés contre le motif retenu par la cour administrative d’appel de Versailles. »

 

En définitive, si l’action demeure indéfiniment ouverte, l’écoulement du temps depuis l’acquisition du terrain sera néanmoins être pris en compte pour apprécier le bien-fondé de la demande de démolition de l’ouvrage mal implanté.

Ronan Blanquet

Avocat

contact@cabinet-blanquet.fr