J'ai une cliente qui me reproche de lui avoir dit lors d'un rendez-vous que j'allais vérifier dans ma documentation avant de lui confirmer une piste que j'envisageais.
Selon elle, le fait qu'un avocat ne soit pas sûr de lui lors d'un rendez-vous, et qu'il ait besoin de consulter sa documentation avant de confirmer un point, serait un signe d'incompétence.
Cette position est basée sur l'idée qu'un fiscaliste connaît toute la fiscalité par cœur.
Cela révèle une méconnaissance de la complexité du droit fiscal.
Le droit fiscal c'est un empilement d'une multitude monstrueuse de règles.
C'est comme le code de la route mais 100 000 fois plus compliqué.
La plupart des règles sont simples à comprendre, mais le problème c'est l'accumulation des règles.
Il y a aussi bien sûr les changements réguliers des règles. Mais ce n'est pas un réel problème. Même s'il n'y avait aucun changement, le métier conserverait sa difficulté principale. Les changements sont assez limités par rapport à la masse monstrueuse des règles.
Je propose de quantifier cette masse sur la base de la documentation fiscale de référence qui est celle des Editions FRANCIS LEFEBVRE.
Ces éditions publient chaque année un mémento qui résume les règles fiscales. C'est un ouvrage qui sert d'aide-mémoire pour les professionnels sur les règles les plus importantes. C'est par ailleurs un ouvrage incroyablement complet et bien rédigé (je leur donne le prix Nobel de littérature).
Donc, dans cet ouvrage, il y a environ 100 000 paragraphes. Rappelons qu'il s'agit à chaque fois de résumer les règles. S'il y a en moyenne 10 idées importantes par paragraphe, cela fait déjà un million de règles à connaître, à condition de s'en tenir aux idées principales. Mais en pratique, le mémento ne sert que pour les questions simples.
Les éditions LEFEBVRE publient aussi une documentation complète pour chaque sujet. Pour les vieux fiscalistes comme moi, dans l'ancien temps, chaque sujet était contenu dans un très gros dictionnaire bleu avec des écrits, en tout petit, sur des dizaines de milliers de pages, très grandes et très minces. Il fallait être costaud pour être un bon fiscaliste capable de manipuler ces dictionnaires.
Il y a 28 divisions contenant en moyenne 300 000 paragraphes chacune. Le total fait donc près de 8 millions de paragraphes.
Si on suppose que chaque paragraphe comporte à peu près 10 idées importantes, en négligeant les points de détail. Cela veut dire que la connaissance précise du droit fiscal suppose d'apprendre par cœur 80 millions de règles différentes. C'est beaucoup.
Mon calcul est très sommaire mais cela donne une idée de la taille du monstre.
Si on admet qu'un être humain normal peut mémoriser environ 8 000 règles, l'avocat fiscaliste ne connait que 0,0001 % du droit fiscal.
Dans ce métier, on n'apprend pas les règles car c'est impossible, mais on apprend les principales, et surtout on apprend comment les chercher, les comprendre et les appliquer.
Ainsi, le fait pour un avocat fiscaliste d'aller vérifier dans sa documentation avant de donner une réponse définitive n'est pas un signe d'incompétence, mais c'est au contraire un indice de compétence. Pour faire ce métier, il est impératif de rester humble et (presque) tout vérifier.
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